Quand Trump encourage les entreprises américaines à pratiquer la corruption à l’étranger
Le 10 février 2025, le président Donald Trump a signé un décret ordonnant au Département de la Justice (DOJ) de "suspendre" toutes les enquêtes et poursuites en vertu du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) jusqu'à ce que le département ait achevé un examen complet de ses politiques relatives à cette loi.

Par Frederick T. Davis, ancien procureur fédéral et membre des barreaux de New York et de Paris
Que signifie exactement ce décret ?
Cet événement est très important et inquiétant : il signifie que l’administration Trump va relâcher la pression sur les entreprises américaines impliquées dans des actes de corruption à l’étranger. Cela ne manquera pas de provoquer des conflits avec les principaux partenaires commerciaux des États-Unis, notamment la France.
Le Foreign Corrupt Practices Act (« FCPA ») est une loi adoptée dans les années 1970 qui criminalise le fait de verser un pot-de-vin à un agent public étranger. Avant cela, les paiements illicites à l’étranger étaient généralement tolérés, voire encouragés par certains pays, comme la France, qui permettait même de les déduire fiscalement. Le FCPA n’a été appliqué que sporadiquement jusqu’à l’an 2000, lorsque l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), avec un fort soutien américain, a promulgué la Convention de l’OCDE contre la corruption d’agents publics, signée par les grandes puissances économiques. Cette convention oblige les pays signataires à adopter des lois criminalisant la corruption à l’étranger et à poursuivre les infractions. L’objectif global était de créer un « level playing field » où les entreprises concourent sur la base de la qualité et du prix, plutôt que sur la taille de leurs pots-de-vin.
L’efficacité des membres de l’OCDE en matière de poursuite de la corruption à l’étranger a été initialement très inégale, comme l’ont montré les audits réguliers de l’OCDE. Mais au cours de la dernière décennie, de nombreux pays ont renforcé leur capacité à lutter contre ces crimes, avec des succès notables. En France en particulier, la création du Parquet National Financier et de l’Agence Française Anticorruption, l’adoption de la Loi Sapin II, ainsi que certaines décisions importantes de la Cour de Cassation ont accru les pouvoirs des procureurs français. Cela a conduit à des succès notables, comme l’accord de 2020 conclu avec Airbus par le DOJ américain, le Serious Fraud Office (SFO) britannique et le PNF français, ce dernier ayant joué un rôle de leader.
Ainsi, la France, le Royaume-Uni et d’autres pays européens ont développé des relations cordiales et mutuellement bénéfiques avec leurs homologues du DOJ : ensemble, ils ont poursuivi des objectifs communs avec des moyens comparables.
Le récent décret de Trump ne peut signifier qu’une chose : à l’avenir, les entreprises américaines en concurrence avec des sociétés d’autres pays sur les marchés mondiaux trouveront une oreille attentive au sein du DOJ lorsqu’elles feront valoir que le FCPA ne devrait pas s’appliquer à leurs activités. Ce qui est particulièrement troublant, c’est la justification avancée lundi par le Bureau du Président : selon lui, suspendre l’application du FCPA et en réduire l’urgence donnerait aux entreprises américaines un « avantage » par rapport aux entreprises d’autres pays dans le commerce mondial. En clair, l’administration Trump propose de revenir sur plus de 40 ans de collaboration internationale en réinstaurant un monde où les entreprises sont encouragées à se livrer à la corruption pour mieux se positionner.
Est-ce légal ?
Le droit administratif américain ne prévoit aucun mécanisme permettant de contester le décret du président Trump : en tant que président, il a le pouvoir d’ordonner à son procureur général d’appliquer ses directives.
Ce décret semble cependant être en contradiction avec la Convention de l’OCDE que les États-Unis ont signée. Son article 5 impose à tous les signataires que les enquêtes et les poursuites contre la corruption d’un agent public étranger « ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre Etat ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause. » Toutefois, aucun mécanisme efficace ne semble en mesure de contraindre le DOJ à respecter ses obligations sous ce traité.
Quelles sont les prochaines étapes probables ?
Aux États-Unis, les changements seront drastiques : une étude récente a montré qu’à la fin de l’administration Biden, l’application du FCPA par le DOJ et la Securities and Exchange Commission était robuste. En particulier, les deux agences avaient accordé la priorité à la poursuite des individus en plus des personnes morales, avec un certain succès. Il est impossible d’en mesurer l’ampleur exacte, mais un ralentissement marqué de ces efforts – et, en pratique, le démantèlement de l’unité FCPA du DOJ – semble inévitable.
La réaction en Europe sera intéressante. Il y a une dizaine d’années, le DOJ américain était perçu comme ciblant agressivement, et au-delà des principes normaux de territorialité, les entreprises européennes (en particulier françaises) pour des violations présumées de la FCPA : des entreprises comme Alstom, Alcatel et Technip ont payé de lourdes amendes au Trésor américain pour des actes ayant peu de lien avec les États-Unis. Comme j’ai écrit à l’époque, la raison de cette agressivité américaine était claire : le DOJ comblait un vide, car les procureurs français manquaient des moyens procéduraux nécessaires. Aujourd’hui, en parallèle avec le SFO britannique, ils disposent de ces pouvoirs et, dans certains cas, ont la compétence de poursuivre des entreprises étrangères – y compris américaines. Ironiquement, une absence d’activité du côté américain peut pousser les parquets européens à prendre la place de « policiers mondiaux » – un rôle que les États-Unis avaient eux-mêmes assumé auparavant.