Par Thibaut Fleury Graff, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas (IHEI)

Pourquoi le droit de l’Union en matière d’asile et de migration doit-il être réformé ?

Les textes européens qui régissent ces questions ont été adoptés, dans leur dernière version en date, au début des années 2010 : la directive « Qualification », qui harmonise les conditions d’éligibilité à une protection internationale, date de 2011 ; les directives « Procédures » et « Accueil », relatives aux procédures d’asile et à l’accueil de celles et ceux qui sollicitent une protection, de 2013 – tout comme le « Règlement Dublin », dont l’objet est d’identifier l’État membre responsable d’une demande d’asile, et le « Règlement Eurodac », relatif quant à lui aux prises d’empreintes digitales des demandeurs d’asile.

Or, le contexte migratoire a considérablement changé en dix ans : en 2011, date de l’adoption de la directive « Qualification », le nombre total de demandes d’asile déposées auprès de l’un ou l’autre des Etats membres de l’UE dépassait à peine les 300 000 ; elles étaient de près d’un million dix ans plus tard – cap franchi entre 2015 et 2016, avec respectivement 1 300 000 et 1 200 000 demandes. A défaut d’être « massives » – elles n’ont jamais représenté, même au plus fort de la « crise », plus de 0,2% de la population européenne totale – ces arrivées sur le territoire européen ont été significatives, et ont créé d’importantes tensions entre les Etats membres, du fait notamment de l’incapacité de ces derniers, en dépit des tentatives de la Commission, à s’organiser pour accueillir solidairement ces ressortissants d’Etats tiers fuyant, pour beaucoup, les conflits syriens et afghans.

Face à cet échec, l’Union s’est d’abord organisée dans l’urgence, en signant par exemple le très controversé « Accord UE-Turquie », par lequel cette dernière s’engage notamment à réadmettre sur son territoire les étrangers s’étant irrégulièrement rendus en Grèce, puis en renforçant considérablement son agence de surveillance des frontières extérieures, Frontex, dont les pratiques de refoulement illégales ont été documentées par les médias européens. Parallèlement à ces mesures, la Commission a, dès 2016, proposé une réforme de fond des règles européennes, ainsi que l’adoption de nouvelles mesures, que le Parlement vient de voter après de longues négociations.

Que contient le Pacte européen sur la migration et l’asile ?

Le Pacte contient d’abord une évolution formelle importante : certaines directives existantes sont remplacées par des règlements. Les nouvelles mesures seront ainsi directement et immédiatement applicables dans les Etats membres, sans nécessité de transposition en droit interne. Les procédures en matière de protection internationale, de même que les conditions à remplir pour obtenir une telle protection, ne seront donc plus harmonisées, mais uniformisées par les nouveaux Règlements que le Parlement vient de voter.

Sur le fond, les réformes sont nombreuses, et certaines ont déjà été décrites ici dans leurs grandes lignes. Globalement, la réforme entreprise vise à limiter, autant que faire se peut, les entrées sur le territoire européen, à faciliter l’éloignement de celles et ceux qui ne peuvent prétendre à une protection, et à mettre en place un embryon de solidarité entre Etats membres. L’une des grandes nouveautés du Pacte est en effet l’adoption d’un règlement dit « Filtrage », visant à « assurer une identification rapide de la procédure correcte applicable aux personnes entrant dans l’UE sans remplir les conditions d’entrée requises ». Le Règlement obligera les Etats à identifier et contrôler les personnes concernées, et à statuer dans les cinq jours sur la procédure applicable (asile ou retour). La possibilité de rejeter une demande d’asile pour les personnes en provenance d’un « pays tiers sûr » est en outre systématisée par le Règlement « Procédures », quand un nouveau Règlement, relatif aux « situations de crise », permettra aux Etats, sur autorisation de la Commission, de déroger aux règles de droit commun (délai d’enregistrement des demandes de protection plus long, allongement de la durée de rétention des demandeurs d’asile, etc.) lorsqu’ils feront face à un « afflux massif ».

Enfin – et pour s’en tenir aux quelques mesures les plus saillantes, alors que l’ensemble de ce paquet législatif représente plus de mille pages de nouvelles mesures (voir l’ensemble des textes concernés) – la réforme du Règlement Dublin, lequel devient « Règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration », n’a pas atteint l’objectif d’abord visé par la Commission d’instaurer une solidarité interétatique obligatoire en matière d’accueil des demandeurs d’asile : à la relocalisation contrainte de ces derniers sur l’ensemble du territoire européen s’est substituée une possibilité de simple participation financière au bénéfice des Etats les plus sollicités, qui demeurent les Etats de première entrée. Seule l’adoption inédite d’un « cadre européen pour la réinstallation » – ce mécanisme qui consiste à admettre sur le territoire européen des personnes déjà protégées dans un Etat tiers – apparaît finalement comme une réelle avancée humanitaire dans ce « paquet asile et migration ».

Quelles sont les prochaines étapes avant l’adoption définitive du Pacte ?

Formalisée en septembre 2020, après les premières propositions de 2016, cette réforme devrait, après plus de quatre ans de négociations et d’amendements, être adoptée avant les élections européennes de juin prochain. Seule manque désormais son adoption, qui ne devrait être que simple formalité, par le Conseil, dans les semaines à venir.