Par Constance Chevallier-Govers, Maître de conférences HdR en droit à la faculté de droit de l’UGA- CESICE, Chaire Jean Monnet

Quelles sont les raisons qui ont motivé la réforme du règlement de Dublin ?

C’est initialement le règlement de Dublin qui a révélé ses limites, dans la mesure où le mécanisme de détermination de l’État responsable de la demande d’asile aboutit à une concentration des demandes dans les États de première entrée. Une étude du Parlement européen montre que sur la période 2008-2017, 90 % des demandes d’asile se concentraient dans dix États membres de l’Union. Une première tentative de réforme avait échoué lors de la précédente Commission. En effet, le 6 avril 2016, la Commission avait déjà proposé de réformer le règlement de Dublin dans le cadre d’une réforme plus large de la politique européenne d’asile. La Commission européenne avait présenté ses propositions de réforme du régime d’asile européen commun, par la création d’un système de répartition des demandes d’asile entre les États membres. Malheureusement, cette réforme, qui se concentrait sur la politique commune d’asile, n’avait pas pu voir le jour dans la mesure où un certain nombre d’États ne souhaitaient pas plus de solidarité entre les États membres dans la gestion de l’asile, sans une réflexion plus large sur la politique commune d’immigration. 

La Commission Van der Leyen a changé de perspective en liant l’asile et la migration au sein d’un Pacte comprenant des réformes non seulement de la politique d’asile (fondée sur l’article 78 TFUE) mais aussi d’autres en lien avec la politique d’immigration (fondée sur l’article 77 TFUE). Si ce lien entre asile et migration a été critiqué par certains, il a eu le mérite de rendre possible l’adoption du paquet législatif appelé “Pacte sur la migration et l’asile”. Les cinq actes législatifs de l’UE sur lesquels la présidence espagnole et le Parlement se sont mis d’accord visent à définir un cadre général de la gestion de l’asile et de la migration et la procédure d’asile, mais aussi à prévoir un certain nombre de mécanismes à cet effet  et enfin des dérogations en cas de situation de crise.

Quelle est la proposition de règlement relative à la gestion générale de l’asile et de la migration ?

Le règlement sur la gestion de l’asile vise à remplacer celui de Dublin. Le Commissaire Schinas, quand il a présenté les éléments phares du Pacte, avait affirmé solennellement que ce nouveau règlement avait vocation à mettre fin au système de Dublin (« Dublin put to bed »). Si la proposition de règlement modifie à la marge les critères de détermination de l’État responsable de la demande d’asile, il maintient l’État de première entrée comme étant responsable, dans l’hypothèse où les critères énumérés dans un ordre hiérarchisé ne sont pas remplis. Le premier critère à prendre en compte pour déterminer l’État responsable de la demande d’asile est celui de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le deuxième critère est l’État membre dans lequel un membre de la famille nucléaire a obtenu une protection internationale, ou continue d’avoir la qualité de demandeur. À défaut, c’est l’État membre qui a délivré un titre de séjour ou un visa. Un nouveau critère intervient alors : c’est celui de l’État membre dans lequel un établissement d’enseignement a délivré un diplôme ou un titre de qualification. Enfin, si aucun de ces critères ne s’applique,l’État membre d’entrée irrégulière sera responsable de l’examen de la demande, à condition que celle-ci soit enregistrée dans les trois ans suivant l’entrée irrégulière. 

L’apport principal du règlement est la mise en place d’un mécanisme de solidarité obligatoire entre les États membres, mais qui contient une certaine flexibilité. Un nouveau mécanisme de répartition est accessible pour tous les États membres qui font face à une forte pression migratoire. Après l’activation de ce mécanisme, la Commission évalue le nombre de demandeurs d’asile, ainsi que les besoins du marché du travail et propose un plan de répartition entre les États membres, proportionnellement à leur taille et leur économie : 50 % du calcul basé sur le PIB et 50 % sur la taille de la population. La relocalisation reste donc toujours une option, et les États qui acceptent cette dernière sont récompensés par une contribution financière de 10 000 euros pour chaque personne accueillie. 

Dans la version initiale de la Commission, les États refusant la relocalisation des demandeurs d’asile avaient une autre option pour manifester leur solidarité : ils pouvaient choisir de  » parrainer  » le retour vers le pays d’origine des personnes ayant fait l’objet d’une décision de retour, c’est-à-dire qu’un État membre assumerait la responsabilité de l’exécution du retour d’une personne n’ayant pas le droit de rester, pour le compte d’un autre État membre. Lors de la première lecture du texte par le Conseil le 13 juin 2023, la possibilité pour l’État de substituer la relocalisation par le parrainage au retour a été retirée. Par contre, l’État peut toujours refuser la relocalisation, mais dans ce cas la solidarité prend une forme financière, dans la mesure où l’État devra payer 20 000 euros pour chaque demandeur d’asile qu’il aura refusé d’accueillir.

Enfin, la proposition inclut une clause « droits de l’homme », rendant impossible le transfert vers un État membre de l’UE dans lequel il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La proposition de règlement sur la procédure d’asile modifie la directive qui impose aux États de l’Union des normes minimales communes dans la procédure à suivre pour examiner une demande d’asile. Elle inclut également un certain nombre de modifications. Ainsi est prévue une procédure d’asile à la frontière, encore appelée procédure accélérée pour les personnes de “mauvaise foi”.

En quoi consiste la proposition de règlement sur le filtrage ?

Le mécanisme de filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures consiste à mettre en place un certain nombre de contrôles en amont de l’entrée sur le territoire de l’Union européenne. Il impose aux autorités de contrôle aux frontières de procéder à un contrôle sanitaire et à un contrôle de la vulnérabilité préliminaires; un contrôle d’identité par rapport aux informations contenues dans les bases de données européennes; l’enregistrement des données biométriques (données dactyloscopiques et images faciales) dans les bases de données correspondantes; et un contrôle de sécurité par une interrogation des bases pertinentes de données nationales et de l’Union, en particulier le système d’information Schengen (SIS), afin de vérifier que la personne ne constitue pas une menace pour la sécurité intérieure.

La proposition de règlement impose ainsi aux États de mettre en place des contrôles qui doivent avoir lieu dans les cinq jours du franchissement de la frontière, applicables à tous les ressortissants de pays tiers qui franchissent illégalement les frontières extérieures d’un État membre par voie terrestre, maritime ou aérienne, qu’ils aient ou non demandé une protection internationale. À l’issue de ce filtrage, les personnes devraient être orientées vers une procédure d’asile normale ou à la frontière, ou bien faire l’objet d’une procédure d’éloignement. Cet aiguillage doit permettre d’accélérer le traitement des demandes d’asile. 

Le règlement prévoit que ce filtrage doit être fait à la frontière extérieure de l’UE et que les personnes faisant l’objet du filtrage ne sont pas autorisées à entrer sur le territoire de l’Union européenne. C’est ce qui a été qualifié de “fiction juridique de non-entrée”. Cette fiction avec la disjonction entre le passage de la frontière et l’entrée sur le territoire a des conséquences au regard des droits fondamentaux des personnes soumises au filtrage.

Le Pacte comporte également une proposition de règlement modifiant le contenu et le fonctionnement d’Eurodac. Ce système, qui avait initialement été conçu pour inclure les empreintes digitales de demandeurs d’asile dans le but de faciliter la détermination de l’État responsable de la demande d’asile, comprendra également des données biométriques supplémentaires, telles que des images faciales. La liste des personnes enregistrées dans Eurodac est étendue, notamment aux bénéficiaires de la protection temporaire. Enfin, la collecte de données biométriques deviendra obligatoire pour les personnes âgées de six ans au moins, contrairement à l’âge de 14 ans en vigueur selon les règles actuelles.

Quelles dérogations en cas de situation de crise ?

En cas de situation de crise, la proposition de règlement prévoit un certain nombre de dérogations dans la gestion des demandeurs d’asile. Le règlement a vocation à s’appliquer dans trois situations : en cas d’afflux massifs, de force majeure ou bien d’instrumentalisation des migrants. Dans ces situations, l’enregistrement des demandes de protection internationale peut intervenir au plus tard quatre semaines à compter de leur introduction, ce qui permet d’alléger la charge pesant sur les administrations nationales rudement mises à l’épreuve. Il y a également la possibilité du maintien des demandeurs d’asile à la frontière pendant une période pouvant aller jusqu’à 20 semaines, le temps que leur demande de protection internationale soit examinée. La détention des demandeurs déboutés peut être prolongée au-delà du maximum légal de 12 semaines pour atteindre un maximum de 20 semaines, jusqu’à ce que la procédure de retour soit achevée. 

Par ailleurs, la proposition initiale de la Commission contenait un dispositif intégré de protection dite « immédiate », en attribuant la décision du déclenchement à la Commission. Cette procédure visait à accorder une protection immédiate d’un an à une catégorie de ressortissants de pays tiers exposés à un risque élevé de violence aveugle, dans des situations exceptionnelles de conflit armé, et qui ne sont pas en mesure de retourner dans leur pays d’origine. La protection immédiate avait vocation à remplacer la protection temporaire, qui était considérée à l’époque comme non opérationnelle. Or, la guerre en Ukraine a démontré que le dispositif existant de “protection temporaire” était efficace et qu’il n’était donc pas nécessaire de le remplacer par la “protection immédiate”, qui a donc été supprimée lors de la première lecture du texte par le Conseil le 13 juin 2023.

L’adoption du Pacte en trilogue constitue un accord provisoire qui sera ensuite présenté aux représentants des États membres (Coreper) pour confirmation. Objectif : que les cinq règlements soient définitivement adoptés avant les élections européennes de juin 2024. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a salué cet « accord historique » sur le Pacte migration et asile. Pourtant, certaines ONG de défense des droits des migrants considèrent que ce pacte comporte des risques pour les droits fondamentaux des demandeurs d’asile et des personnes entrant illégalement sur le territoire de l’Union européenne. La députée Fabienne Keller a, pour sa part, précisé que le Parlement européen avait obtenu des garanties sur un mécanisme de surveillance des droits fondamentaux, sur les conditions d’accueil des familles avec jeunes enfants et sur l’accès à un conseil juridique gratuit pour les migrants.