Statut des repentis : comment fonctionne le modèle italien ?
Pour lutter plus efficacement contre le crime organisé, le Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti veut permettre aux membres des réseaux criminels d’obtenir des avantages en échange d’informations utiles aux parquets. Le statut de « repenti-collaborateur de justice » existe en France depuis 10 ans mais seules 42 personnes et leurs proches font partie du programme. D’où l’idée de s’inspirer du modèle italien.
Par Luca Luparia Donati, Professeur de droit à l’Université Roma III et ancien membre de la Commission de réforme de la justice pénale en Italie
Comment le statut des repentis est-il encadré en Italie ?
Le statut du repenti (collaborateur de justice) en Italie a fait l’objet de nombreuses réformes au cours du temps. Aujourd’hui, la législation en la matière est assez structurée, le Parlement étant intervenu pour corriger les nombreuses incohérences du passé. Le texte principal est la loi n° 45 de 2001, mais des modifications ont été apportées par la suite, voire sont toujours en chantier.
En Italie, on considère fondamentalement que l’étape la plus délicate de la collaboration se situe au début de la procédure, lorsque ceux qui font partie des organisations criminelles décident de se repentir et d’offrir leur aide à la justice. Il s’agit souvent de personnes déjà sous le coup de procès ou faisant l’objet de mesures provisoires, qui demandent à s’entretenir avec le ministère public dans le cadre de leur dossier. Dans ces cas-là, le procureur écoute le déclarant et établit un procès-verbal de leur échange. Si celui-ci manifeste son intention de collaborer avec la justice, le PV est alors interrompu et il est invité à se soumettre à un interrogatoire en présence de son avocat. Des éléments émergent alors à charge de la personne qui est amenée à évoquer les circonstances de sa participation ainsi que celle d’autres personnes à une association criminelle (dans la plupart des cas de type mafieux).
Lors de l’interrogatoire qui suit, on lui demande quelles sont les circonstances dont il peut parler (indiquer les chefs ou les participants, les auteurs d’homicides non élucidés, les lieux dans lesquels sont dissimulés les armes, ou les biens de l’association criminelle…). A ce stade, la personne se voit présenter la législation sur les collaborateurs et on la met en garde sur les obligations afférentes. Elle est ensuite invitée à désigner les éventuels proches qui sont exposés à un danger grave, actuel et concret en raison des déclarations qui seront faites. Le collaborateur est enfin soumis à un ou plusieurs interrogatoires dans lesquels il rapporte toutes les informations dont il a connaissance dans les 180 jours qui suivent sa manifestation de volonté ; une des conditions d’accès au programme est que les déclarations doivent être nouvelles, complètes et fiables.
Comment fonctionnent les mesures de clémence et de protection ?
La personne qui décide de collaborer avec la justice est soumise, ainsi que ses proches, à des mesures spéciales de protection demandées, prononcées par une commission spéciale à la demande du magistrat. L’exécution est quant à elle confiée au Service central de protection. Cette séparation des rôles est essentielle en ce qu’elle permet d’introduire des filtres entre chaque communication adressée au collaborateur ou à ses proches. De cette façon, vivant dans des lieux secrets avec une identité de couverture, ils sont protégés de façon plus efficace. Le juge Falcone avait déjà prévu que la mise en œuvre des mesures de protection soit confiée à des tiers par rapport aux enquêteurs, précisément pour éviter le mélange des rôles et les conflits d’intérêts qui, en accordant ou refusant la protection, pouvaient altérer l’authenticité des déclarations. La protection dure aussi longtemps que nécessaire, indépendamment de la durée des différents procès. Le système de protection, selon les informations disponibles, concerne aujourd’hui environ 6500 personnes : 1277 collaborateurs ainsi que 4915 proches.
Le dispositif prévoit également d’importantes réductions de peine pour le collaborateur de justice. Quant aux condamnés, ils peuvent bénéficier de la libération conditionnelle, de permissions et de la détention à domicile, sur consultation du procureur national antimafia et antiterrorisme. Cependant, les mesures d’aménagement ne peuvent être accordées qu’après avoir purgé au moins un quart de la peine infligée, ou bien en cas de condamnation à perpétuité, après avoir purgé au moins dix ans de prison. Il convient de noter que si les aménagements de peine venaient à être révoqués, le Juge pourrait revenir sur une décision définitive et supprimer la reconnaissance des circonstances atténuantes liée au statut de collaborateur.
Quels sont les limites de l’expérience italienne ?
Le fond du problème est bien sûr le risque d’erreurs judiciaires associé au dispositif des repentis. Malheureusement, l’histoire italienne foisonne d’affaires dans lesquelles des innocents ont été injustement accusés par des repentis auteurs de déclarations mensongères. Aujourd’hui, on fait donc très attention au recueil des déclarations, pour éviter par ailleurs un autre risque, à savoir diriger les enquêteurs sur de fausses pistes. Le recueil de toutes les déclarations pendant les premiers mois a ainsi largement diminué le risque de déclarations suggérées par autrui et contradictoires. Le code de procédure pénale italien prévoit en tout état de cause aujourd’hui qu’on ne peut pas condamner une personne uniquement sur la base des déclarations d’un repenti. Celles-ci doivent être corroborées par d’autres éléments démontrant la fiabilité des informations fournies.
Enfin, eu égard à la protection, le système d’anonymat a présenté certaines failles. Une proposition de loi a été déposée en 2024 pour intervenir sur ce problème, en prévoyant par exemple de gérer les appartements dans lesquels sont logées les familles des protégés en dissimulant les références cadastrales, les fichiers, les libellés des factures et en créant également des numéros fiscaux fictifs.