Mandats d’arrêt contre Netanyahou et Gallant : quelles conséquences juridiques ?
Par plusieurs communiqués publiés sur son site Internet le 21 novembre, la Cour pénale internationale (CPI) a fait savoir que la chambre préliminaire I, compétente pour l’enquête du Procureur de la CPI concernant la « Situation dans l’État de Palestine », a décerné ce même jour des mandats d’arrêt contre M. Benyamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël, et Yoav Gallant, son ancien ministre de la Défense. Quel est le cadre, le contenu et les effets de ces mandats d’arrêt ?
Par Didier Rebut, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas, Directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris, Membre du Club des juristes
Dans quel cadre la CPI a-t-elle décerné des mandats d’arrêt contre Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant ? Quels sont leur contenu ?
Ces mandats d’arrêt ont été rendus dans le cadre d’une enquête ouverte par le Procureur de la CPI sur « la situation dans l’État de Palestine ». Cette enquête a conduit le procureur de la CPI à solliciter le 20 mai 2024 des mandats d’arrêt contre M. Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant en leur reprochant d’être responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui auraient été commis par l’armée israélienne dans le cadre des opérations de guerre que celle-ci mène dans la bande de Gaza depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. C’est en réponse à cette requête que la chambre préliminaire I de la CPI a décerné ces deux mandats d’arrêt le 21 novembre.
Un mandat d’arrêt n’est a priori pas public. La chambre préliminaire a cependant décidé de communiquer sur le contenu des deux mandats d’arrêt décernés contre Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant en expliquant que des faits similaires à ceux visés par ces deux mandats d’arrêt sont en train de se commettre. Elle semble donc considérer que la divulgation de leur contenu serait justifiée par la nécessité d’alerter sur la continuation actuelle des crimes visés par ces mandats alors que ceux-ci concernent la période entre le 8 octobre 2023 et le 20 mai 2024, qui est la date de la requête du Procureur. Elle ajoute que cette communication intervient aussi dans l’intérêt des victimes et de leur famille. On peut aussi penser que les magistrats de la chambre préliminaire ont surtout voulu communiquer eux-mêmes sur ces mandats d’arrêt pour éviter les spéculations et fausses informations qui n’auraient pas manqué s’ils étaient demeurés secrets. Cette publicité avait déjà été le fait du Procureur de la CPI quand il avait présenté sa requête le 20 mai 2024, puisqu’il avait conjointement fait une déclaration très précise sur les faits qui justifiaient, selon lui, sa requête. Le communiqué de la chambre préliminaire sur le contenu des deux mandats d’arrêt s’inscrit donc dans la continuité de la publicité donnée à cette procédure.
Concernant leur contenu, les informations communiquées par la chambre préliminaire révèlent que les deux mandats d’arrêt donnent très largement raison à la requête du Procureur, ce que celui-ci a souligné dans une déclaration publiée le même jour.
Comme le Procureur l’avait réclamé, les deux mandats d’arrêt incriminent MM. Netanyahou et Gallant pour la commission de crimes de guerre entre le 8 octobre 2023 et le 20 mai 2024 qui auraient consisté dans l’emploi de la famine comme méthode guerre. Le communiqué énonce qu’ils auraient sciemment privé la population civile de Gaza de nourriture, d’eau, de médicaments, de carburant et d’électricité en entravant ou limitant l’aide humanitaire. Il précise que la chambre préliminaire a considéré que ces restrictions ne répondaient pas à un objectif militaire et que seule une aide humanitaire minimale a été autorisée.
Les mandats d’arrêt incriminent aussi MM. Netanyahou et Gallant pour crimes contre l’humanité conformément à la requête du Procureur. La chambre préliminaire a ainsi considéré que les opérations de guerre menées par l’armée israélienne dans la bande de Gaza avaient donné lieu à une attaque généralisée et systématique contre sa population civile et que, dans ce cadre, auraient été commis des crimes contre l’humanité par meurtres, persécutions et autres actes inhumains.
Le communiqué explicite ces qualifications. C’est ainsi que le crime contre l’humanité pour meurtre serait caractérisé par la destruction d’une partie de la population civile de Gaza du fait du manque de nourriture, d’eau, d’électricité, de carburant et de fournitures médicales ; les actes inhumains seraient caractérisés par le fait que les médecins de Gaza ont été contraints de procéder à des opérations sans anesthésie, y compris sur des enfants, du fait que l’armée israélienne aurait limité, et même empêché intentionnellement la fourniture à Gaza de médicaments anesthésiques ; les persécutions consisteraient dans la privation de la population civile de Gaza de ses droits fondamentaux à la vie et à la santé et alors que cette population aurait été visée pour des motifs politiques et/ou nationaux. En revanche, les mandats d’arrêt n’ont pas retenu la qualification de crimes contre l’humanité par extermination qui avait été sollicitée par le Procureur.
Les mandats d’arrêt imputent ces crimes de guerre et ces crimes contre l’humanité à MM. Netanyahou et Gallant en qualité de coauteurs, ce qui induit que leur commission leur est directement et personnellement reprochable. Ils les mettent aussi en accusation pour crimes de guerre comme supérieurs hiérarchiques civils pour avoir intentionnellement dirigé une attaque contre la population civile.
Quels sont les effets de ces mandats d’arrêt pour MM. Netanyahou et Gallant ?
Ces mandats d’arrêt n’ont pas d’effet immédiat pour MM. Netanyahou et Gallant qui vivent en Israël, lequel n’est pas partie à la CPI. La population israélienne leur apporte, semble-t-il, résolument son soutien. Ils n’ont donc rien à redouter de ces mandats d’arrêt dans leur pays.
Le principal effet de ces mandats d’arrêt est a priori de les empêcher de se rendre dans un État ayant adhéré au statut de la CPI car cette adhésion leur fait obligation d’en respecter les décisions et notamment d’exécuter les mandats d’arrêt décernés par celle-ci s’ils sont en position de le faire. Un État partie à la CPI devrait donc arrêter MM. Netanyahou ou Gallant s’ils se rendent sur son territoire. Certes, cette arrestation n’est pas certaine car elle dépend de la décision de chaque État de donner effet à ces mandats d’arrêt sur son territoire. Mais il est difficile pour un État de droit de refuser de respecter les mandats d’arrêt qui s’imposent à lui en vertu d’une convention internationale à laquelle il a librement consenti d’adhérer. En ce sens, le gouvernement italien a fait savoir qu’il serait dans l’obligation de faire arrêter M. Netanyahou en Italie, alors même qu’il a, dans le même temps, fermement condamné la décision de la CPI. Les mandats d’arrêt de la CPI font donc courir le risque à MM. Netanyahou et Gallant d’être arrêtés dans les pays ayant adhéré à la CPI. Cela devrait les dissuader de s’y rendre sauf, peut-être, dans des cas exceptionnels où ils auraient reçu l’assurance de ne pas être inquiétés. Par exemple, M. Viktor Orban, Premier ministre de la Hongrie qui est partie à la CPI, a fait savoir qu’il n’entendait pas donner effet aux mandats d’arrêt et qu’il invitait même M. Netanyahou à se rendre sur son territoire.
En revanche, les mandats d’arrêt de la CPI n’ont aucun effet dans les pays qui ne sont pas parties à son statut. Cela est le cas bien sûr des États-Unis qui ont fortement critiqué la CPI et qui vont vraisemblablement prendre des mesures de rétorsion à son égard. Cela est aussi le cas, par exemple, de la Chine, de l’Inde ou de la Russie qui n’ont pas adhéré à la CPI. MM. Netanyahou et Gallant peuvent s’y rendre sans aucun risque d’y être arrêtés, puisque les mandats d’arrêt de la CPI n’y ont aucune valeur.
La chambre préliminaire de la CPI a aussi décerné le même jour un mandat d’arrêt contre Mohamed Deïf, chef militaire du Hamas.
Le Procureur de la CPI avait simultanément sollicité des mandats d’arrêt contre MM. Netanyahou et Gallant et contre Ismaël Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, Yahya Sinouar, chef du Hamas dans la bande de Gaza et Mohammed Deif, chef militaire du Hamas. Cette simultanéité avait suscité des critiques qui lui reprochaient d’avoir mis sur le même plan des dirigeants d’une organisation terroriste et des dirigeants élus d’une démocratie.
Ismaël Haniyeh et de Yahya Sinouar ont été tués par l’armée israélienne avant que la chambre préliminaire ait pris sa décision, ce qui a conduit le procureur de la CPI à retirer ses requêtes. En revanche, la demande de mandat d’arrêt concernant Mohammed Deif a été maintenue parce que la preuve de son décès, qui est fortement présumé, n’a pas été rapportée. C’est cette demande qui a conduit la chambre préliminaire à décerner un mandat d’arrêt à son encontre le même jour que ceux décernés contre MM. Netanyahou et Gallant. Ce faisant, la chambre préliminaire s’est inscrite dans la continuité de la démarche du procureur consistant à ne pas faire de distinction entre les crimes reprochés à Israël et à ses dirigeants et les crimes reprochés au Hamas et à ses dirigeants. Cela lui permet aussi très opportunément de ne pas décerner de mandat d’arrêt seulement contre MM. Netanyahou et Gallant, alors que le décès de Mohammed Deif ne fait semble-t-il guère de doute.
Le mandat d’arrêt contre Mohammed Deif porte sur les qualifications de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les faits en cause sont ceux commis le 7 octobre 2023. Les mandats d’arrêt énoncent que Mohammed Deif aurait la qualité de coauteur de ces crimes, qu’il aurait ordonné ou encouragé leur commission et n’aurait pas exercé le contrôle qui convient sur les forces placées sous son commandement et son contrôle effectifs et qui auraient commis ces crimes. Comme cela a été dit, ce mandat d’arrêt devrait demeurer sans effet compte-tenu du décès présumé de Mohammed Deif.