La Hongrie de Viktor Orban quitte la Cour pénale internationale : pour quels effets ?
Jeudi 3 avril, le gouvernement hongrois a annoncé le retrait de la Hongrie du Statut de la Cour pénale internationale, alors que le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, visé depuis le 21 novembre 2024 par un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité émis par cette juridiction, était en visite à Budapest.

Par Thomas Herrmann, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Quelle est la procédure de retrait du Statut de Rome et quels en sont les effets ?
La procédure de retrait comporte plusieurs étapes. Il faudra d’abord que le parlement hongrois adopte le projet de loi actant le retrait de la Hongrie du Statut de la CPI. Il faudra ensuite que le gouvernement magyar adresse au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies une notification écrite du retrait. Conformément à l’article 127 § 1 du Statut de Rome, le retrait de la Hongrie ne prendra effet qu’un an plus tard. En attendant, la Hongrie demeure tenue de coopérer avec la Cour, comme l’a bien rappelé le porte-parole de la Cour pénale internationale, Fadi El Abdallah, en réponse à l’annonce du gouvernement hongrois. En outre, l’article 127 § 2 du Statut, prévoit que le retrait ne libère pas l’État des obligations qui lui incombaient alors qu’il était Partie au Statut. Le retrait n’a donc pas d’effet rétroactif, comme on a pu le voir au sujet des Philippines dans l’affaire Rodrigo Roa Duterte.
À l’évidence, le gouvernement hongrois n’ignore pas que le retrait annoncé ne peut pas avoir pour effet de le libérer immédiatement de son obligation de coopérer avec la Cour dans le cadre des affaires en cours, notamment celle impliquant le premier ministre israélien. Les raisons qui l’ont déterminé à annoncer le retrait de la Hongrie du Statut de Rome au moment même où Viktor Orban reçoit la visite de Benjamin Nétanyahou sont donc avant tout politiques et diplomatiques.
Réagissant à l’annonce du retrait de la Hongrie, la Présidence de l’Assemblée des États Parties au Statut de Rome a exprimé sa préoccupation. Regrettant « la tournure qu’ont pris les événements », elle a déclaré que le retrait d’un État Partie nuit à la quête commune de justice et à la lutte contre l’impunité et a exhorté « la Hongrie à continuer à être une partie déterminée au Statut de Rome » (communiqué de presse du 3 avril 2025). Si la procédure de retrait était conduite jusqu’à son terme, la Hongrie deviendrait le troisième État Partie à se retirer du Statut de Rome, après le Burundi en 2017 et les Philippines en 2019.
La Hongrie a-t-elle l’obligation d’exécuter le mandat d’arrêt délivré par la CPI à l’encontre du Premier ministre Benjamin Nétanyahou ?
La question est fort controversée. L’obligation générale des États Parties au Statut de Rome de coopérer avec la Cour pénale internationale et plus spécialement l’obligation des États Parties d’exécuter les mandats d’arrêt qu’elle délivre est clairement inscrite dans le Statut de la Cour (v. nota. les dispositions des articles 58 § 5, 59 § 1, 86 et 89 § 1).
Cependant, la Cour internationale de justice, dans le cadre d’un litige opposant la Belgique à la République démocratique du Congo, a énoncé que les personnes occupant un rang élevé dans l’État, telles que le chef de l’État, le chef du gouvernement ou le ministre des Affaires étrangères, devaient jouir, pendant toute la durée de leur charge, d’une immunité de juridiction pénale les protégeant contre tout acte d’autorité émanant d’un autre État. La Cour a précisé que cette immunité était valable même lorsque la personne en cause était soupçonnée ou accusée d’avoir commis des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. Elle a ainsi jugé que la diffusion, par une juridiction belge, d’un mandat d’arrêt émis à l’encontre du ministre congolais des affaires étrangères, constituait une violation du droit international engageant la responsabilité de la Belgique vis-à-vis du Congo (CIJ, Affaire relative au mandat d’arrêt du 11 avril 2000, R.D.C. c. Belgique, Arrêt du 14 février 2002).
Il résulte de ce qui précède que, dans l’hypothèse où le mandat d’arrêt délivré par la Cour pénale internationale vise un chef d’État ou de gouvernement, un conflit de normes existe, au moins en apparence : d’un côté, les États Parties au Statut de Rome ont le devoir d’exécuter le mandat en vertu de leur obligation de coopération avec la Cour, mais de l’autre, ils ont le devoir de s’abstenir de l’exécuter, conformément à la règle de droit international coutumier relative à l’immunité pénale des chefs d’État ou de gouvernement étranger.
À vrai dire, la difficulté concerne surtout les mandats d’arrêts émis à l’encontre des chefs d’État ou de gouvernement des États tiers au Statut de Rome. En effet, on admet généralement que les États Parties peuvent être présumés avoir renoncé au bénéfice des immunités de leurs chefs d’État et de gouvernement dans le cadre de leurs relations avec la CPI et les autres États Parties agissant pour le compte de celle-ci (l’article 27 du Statut de Rome prévoit expressément que les immunités pénales des chefs d’État ou de gouvernement n’ont aucune valeur et ne peuvent produire aucun effet devant la Cour pénale internationale), pour en déduire qu’ils peuvent exécuter un mandat d’arrêt à l’encontre du chef d’État ou de gouvernement d’un autre État Partie sans craindre de violer l’immunité pénale consacrée par la Cour internationale de Justice. Aucun raisonnement de la sorte ne saurait être tenu à l’égard des États tiers qui, par définition, n’ont pas ratifié le Statut de Rome et n’ont pas reconnu la compétence de la Cour. Pour eux, le conflit de normes demeure entier. Schématiquement, deux thèses opposées s’affrontent.
Les États hostiles ou réticents à l’idée d’exécuter un mandat d’arrêt à l’encontre d’un chef d’État ou de gouvernement étranger se fondent généralement sur l’article 98 § 1 du Statut de Rome pour justifier leur position. Ce texte dispose que « La Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise ou d’assistance qui contraindrait l’État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d’immunité des États ou d’immunité diplomatique d’une personne ou de biens d’un État tiers, à moins d’obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue de la levée de l’immunité ».Suivant cette analyse, le Statut de Rome lui-même trancherait le conflit de normes en faisant prévaloir l’immunité des chefs d’État ou de gouvernement des États tiers sur l’obligation de coopération des États Parties avec la CPI. Telle est notamment la position de la France exprimée dans un récent communiqué du Ministère des Affaires étrangères. Si elle voulait se défendre sur le terrain juridique, la Hongrie pourrait employer la même argumentation.
Au contraire, les différentes chambres de la CPI considèrent que les États Parties doivent exécuter les mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale à l’encontre des chefs d’État ou de gouvernement, même lorsqu’ils visent le chef d’État ou de gouvernement d’un États tiers. Dans la procédure diligentée contre la Jordanie pour non-exécution du mandat d’arrêt décerné contre le président soudanais Omar Al-Bashir, la Chambre d’appel de la CPI a tenu un raisonnement que l’on peut décomposer en deux temps (arrêt du 6 mai 2019) : 1/ le principe selon lequel les chefs d’État ou de gouvernement ne jouissent d’aucune immunité devant les juridictions pénales internationales prévaut en droit international de façon constante depuis la naissance de la justice pénale internationale à Nuremberg en 1945 ; 2/ par suite, les chefs d’État ou de gouvernement des États tiers ne bénéficient d’aucune immunité lorsque les États Parties au Statut de Rome agissent non pour leur propre compte, mais pour celui de la Cour pénale internationale ; lorsque, en somme, ils ne sont que le bras armé et servile de celle-ci.
La CPI a-t-elle les moyens de contraindre la Hongrie à exécuter le mandat d’arrêt visant le premier ministre Benjamin Nétanyahou ?
L’article 87 § 7 du Statut de Rome prévoit qu’en cas de non-coopération d’un État Partie, la Cour pénale internationale « peut en prendre acte et en référer à l’Assemblée des États Parties ». Ainsi, la Cour ne peut prononcer ni condamnation ni injonction à l’encontre d’un État Partie ayant manqué à son obligation de coopération ; elle ne peut que constater son manquement, puis renvoyer la question à l’Assemblée des États Parties. Cette dernière instance, qui est composée des représentants des États Parties au Statut de Rome, n’a aucun pouvoir de sanction (v. l’article 112 du Statut de Rome) ; elle ne peut qu’emprunter les voies de la diplomatie et doit faire preuve de force de conviction et de persuasion afin de déterminer les autorités de l’État Partie en cause à coopérer pleinement avec la Cour (Non-coopération | International Criminal Court).
Une chambre préliminaire de la CPI a récemment jugé que la Mongolie avait manqué à son obligation de coopération en refusant d’exécuter le mandat d’arrêt émis à l’encontre du président Vladimir Poutine alors que celui-ci était en visite à Oulan-Bator (décision du 24 octobre 2024). La Cour statuera probablement dans le même sens à l’endroit de la Hongrie vis-à-vis du mandat d’arrêt émis contre le premier ministre israélien. Sans doute, un État comme la France pourrait craindre la portée symbolique d’une décision de la CPI constatant qu’il a manqué à son obligation de coopération. Mais la Hongrie, qui vient d’annoncer son retrait du Statut de Rome dans le contexte de son rapprochement diplomatique avec Israël et les États-Unis, n’a pas grand-chose à craindre d’une telle décision.