Guerre commerciale : comment l’Union Européenne peut répondre aux mesures de Donald Trump
La question commerciale est au cœur de l’agenda politique de l’administration Trump II. Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump enchaîne les executive orders (décrets présidentiels) et les annonces de nouveaux droits de douane à un rythme inédit, notamment vis-à-vis des produits européens.

Par Alan Hervé, Professeur de droit public à Sciences Po Rennes et spécialiste de la politique commerciale européenne
Quelles sont les mesures américaines à l’origine de la réaction de l’Union européenne ?
Début février, les premières mesures tarifaires ont d’abord visé les importations originaires du Canada, du Mexique et de la Chine, au nom de la lutte contre l’immigration illégale et le trafic des opioïdes (Fentanyl). Le 10 février, un nouveau pas a été franchi avec, comme en 2018, un tarif de 25% sur l’ensemble des importations, y compris celles originaires de l’UE, d’acier et d’aluminium, applicables depuis le 12 mars. Comme en 2018, les mesures sur l’acier et l’aluminium sont justifiées au nom de la sécurité nationale et d’une loi de 1962 directement héritée du contexte de la guerre froide.
L’administration en place ne s’arrêtera probablement pas à cela. Une escalade tarifaire est en cours avec la Chine. Après que cette dernière a décidé de prendre des mesures de rétorsion sur une série de produits agricoles américains, les États-Unis ont annoncé début mars une nouvelle hausse des tarifs douaniers pour tous les produits originaires de Chine (de 10% à 20% de la valeur des produits importés). Cette mesure aura nécessairement des effets pour l’Europe, puisqu’une partie des produits visés, initialement destinés au marché américain, sera sans doute réexportée vers l’Union européenne.
Deux autres annonces suscitent de lourdes inquiétudes côté européen. Le 13 février, la présidence a publié un mémorandum qui demande à l’administration de préparer un plan destiné à imposer à l’ensemble des importations des mesures fondées sur une logique de réciprocité tarifaire et commerciale (« Fair and reciprocal plan ») dans le but de réduire le déficit commercial américain. Sont ici visées non seulement les mesures tarifaires des pays tiers, mais également tous les autres obstacles au commerce (barrières règlementaires, fiscales et autres). Au nom de ce concept de réciprocité, on peut s’attendre, dans les semaines et les mois à venir, à une multiplication des sanctions commerciales unilatérales de la part des Etats-Unis visant potentiellement l’ensemble des produits européens, à commencer par l’industrie automobile ou encore les produits agricoles.
Pour finir, le 21 février, la présidence a dévoilé un nouveau mémorandum consacré aux mesures étrangères visant les entreprises étatsuniennes du numérique. La réglementation européenne est directement visée et plusieurs États membres, dont la France, sont nommément désignés. L’administration américaine est invitée à ouvrir des enquêtes afin de défendre les entreprises et l’innovation contre des pratiques « d’extorsions » et des sanctions « injustes » qu’elles subiraient dans l’UE, du fait de mesures fiscales ou de charges réglementaires et administratives excessives. Un nouveau train de sanctions économiques et commerciales est sans aucun doute en préparation.
En quoi consistent les premières mesures de rétorsion adoptées par l’Union européenne ?
L’Union européenne a annoncé le 12 mars vouloir réagir en deux temps concernant les mesures tarifaires effectivement applicables depuis cette date aux importations d’acier. Elle a tout d’abord choisi de mettre fin à la suspension des contre-mesures qui visaient, entre 2018 et 2020, une série de produits originaires des Etats-Unis, et alors adoptées en réaction aux droits de douane imposés sur l’acier et l’aluminium. Autrement dit, il s’agit là d’une réactivation automatique de mesures déjà existantes et suspendues durant le mandat de Joe Biden, ce qui a pour avantage d’éviter de longues discussions sur la proportionnalité et le contenu de la réaction, notamment sur la liste des produits ciblés. Concrètement, il a suffi à la Commission européenne de ne pas reconduire la décision de suspension applicable jusqu’au 31 mars 2025. Du fait de cette simple abstention, les sanctions européennes seront donc à nouveau applicables à compter du 1er avril 2025. La Commission prépare de surcroît des sanctions additionnelles, qui devraient être applicables à compter de mi-avril.
Quelle est la procédure applicable et quels sont les produits visés par ces nouvelles mesures ?
L’Union européenne agit sur le fondement d’un règlement dit « de base » concernant l’exercice des droits de l’Union pour l’application et le respect des règles du commerce international. Dans le cas de l’acier et de l’aluminium, elle considère les mesures américaines comme des mesures de sauvegarde. Cette qualification est opportune car elle lui permet d’agir au titre du règlement de prendre des mesures de rétorsion sans avoir à engager au préalable une procédure de règlement des différends devant l’OMC. Le règlement de base confère à la Commission le pouvoir d’adopter la mesure par un acte d’exécution, conformément à la procédure d’examen, qui implique une consultation et, en principe, l’avis favorable d’une majorité qualifiée d’États membres de l’Union réunis au sein d’un comité spécifique (procédure dite de comitologie). Le Parlement européen n’intervient pas et est simplement tenu informé. La Commission doit, en outre, tenir compte des « parties prenantes », notamment les associations professionnelles, qui sont concernées par d’éventuelles mesures de politique commerciale. C’est souvent cet impératif qui complexifie l’adoption de sanctions par l’Union dans un contexte d’intégration et d’interdépendance des économies, l’objectif étant d’identifier des secteurs et des produits frappés par des tarifs douaniers sans affecter de façon excessive les intérêts économiques de l’Union, a fortiori dans un contexte de lutte contre l’inflation.
Les sanctions adoptées en 2018 et 2020 visent une série de produits américains et imposent des droits de douane additionnels à hauteur de 25, voire 50% dans certains cas. Sont notamment concernés des produits céréaliers, comme le maïs, de façon à frapper les États de la Corn Belt qui sont réputés soutenir majoritairement les républicains. La Commission a, du reste, annoncé que le second train de sanctions pourrait concerner une gamme étendue de produits industriels et agricoles : produits en acier et en aluminium, textiles, articles en cuir, appareils électroménagers, outils ménagers, plastiques, bois, volaille, bœuf, produits laitiers, sucre, légumes…
On notera que la Commission n’a pas encore envisagé de viser d’autres domaines, notamment les services et les droits de propriété intellectuelle, alors que le règlement de base l’y autorise depuis 2021. On ajoutera que l’Union européenne s’est dotée d’autres instruments qui pourraient à l’avenir être activés pour réagir à de nouvelles mesures américaines, en particulier le règlement anticoercition. La Commission, et l’Union dans son ensemble, n’envisagent toutefois pas encore de franchir une étape supplémentaire dans un contexte de tensions grandissantes entre les États-Unis et leurs « alliés ». Les Européens ne manquent jamais de rappeler leur volonté de ne pas appliquer de sanctions, si les États-Unis renoncent finalement à mettre en œuvre les leurs.