Par Frederick T. Davis, ancien procureur fédéral et membre des barreaux de New York et de Paris

Qu’est-ce que le principe de l' »exécutif unitaire » prôné par le président Trump ?

La théorie de l’ »exécutif unitaire » est un principe radical, que Donald Trump a adopté avec enthousiasme, selon lequel le président détient des pouvoirs illimités sur l’ensemble des agences regroupées dans la « branche exécutive » du gouvernement des États-Unis, et que toute contrainte imposée à ses pouvoirs par le Législatif est inconstitutionnelle. Si elle était pleinement appliquée sans contrôle de la part des tribunaux (ou des électeurs), cette théorie aurait un impact considérable sur la démocratie américaine.

Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, les nominations aux postes fédéraux étaient régies par le principe « to the victor belong the spoils » (« au vainqueur reviennent les dépouilles »), c’est-à-dire que chaque administration présidentielle était libre de renvoyer la plupart des hauts fonctionnaires nommés par l’administration précédente (du moins si elle appartenait à un parti politique différent) et d’en nommer des nouveaux. Cela a non seulement conduit à la corruption et au népotisme, mais a également sapé la capacité des fonctionnaires à développer une expertise cohérente.

Au fil du temps, le Législatif a adopté diverses règles applicables à de nombreuses agences dites « quasi-indépendantes » qui respectaient le pouvoir du président de nommer des responsables de son choix, mais avec certaines limites procédurales. L’objectif principal de ces procédures était double : d’une part, donner à certains administrateurs un degré d’indépendance limitée, et d’autre part, garantir un niveau de transparence. Pour atteindre le premier objectif, certains administrateurs, une fois nommés, devaient exercer leur mandat pour une durée déterminée et ne pouvaient être révoqués qu’en cas d’incompétence ou pour d’autres critères quasi-objectifs. Pour assurer la transparence, certains administrateurs pouvaient être révoqués par le président, mais uniquement avec un préavis (par exemple 30 jours) accompagné d’une « déclaration de motifs » soumise au Législatif et rendue publique.

Donald Trump a indiqué qu’il ne respecterait ni les dispositions légales adoptées par le Congrès au cours des 150 dernières années, ni les traditions qui les accompagnent. Lui et ses partisans considèrent que les agences administratives constituent un « état profond » qui va à l’encontre des traditions démocratiques car elles sont imperméables aux changements exigés par l’électorat. Sa théorie la plus radicale repose sur l’Article II de la Constitution qui dispose, sans limitation ni exception, que « le pouvoir exécutif sera confié à un président des États-Unis d’Amérique », impliquant ainsi que toute tentative du Congrès de limiter ce « pouvoir » serait inconstitutionnelle.

Le président Trump prend cette théorie très au sérieux. Le 18 février, il a publié un décret intitulé « Assurer la responsabilité de toutes les agences », qui réduit drastiquement les pouvoirs de nombreuses agences fédérales en imposant que toutes leurs activités soient soumises à l’examen et au contrôle de la Maison-Blanche. Dès le premier jour de sa présidence, il a systématiquement limogé de nombreux responsables normalement protégés par l’une ou l’autre des garanties procédurales mises en place par le Législatif.

Quel serait l’effet de ce programme s’il était pleinement appliqué ?

L’impact est difficile à évaluer mais sera sans aucun doute considérable.

De nombreuses décisions importantes pour les Américains et le monde sont prises par des responsables d’agences qui ont bénéficié de plus d’un siècle d’indépendance et de responsabilité. Au minimum, les actions de Donald Trump sapent la capacité des agences à fonctionner indépendamment des intérêts politiques. Nombre d’entre elles disposent d’un « inspecteur général » dont le travail ne peut être effectué de manière efficace que s’il dispose d’un certain degré d’indépendance et de transparence, mais Trump a systématiquement limogé beaucoup d’entre eux sans respecter les obligations légales de notification au Congrès.  Globalement, l’impact sur la compétence en matière de prise de décision, sur le moral au travail et sur le recrutement ne fait que commencer à se faire sentir. La « promesse » de Trump à ses partisans était de « révolutionner » le gouvernement américain afin de le conformer strictement à sa vision, et il a immédiatement commencé à mettre cela en œuvre.

Les tribunaux vont-ils réagir ?

Probablement, mais il faudra du temps pour déterminer si Trump sera bloqué dans son entreprise révolutionnaire visant à transformer l’ensemble de la structure des agences fédérales.

Plus de vingt procès importants ont déjà été intentés contre l’un ou l’autre des décrets de Trump par des fonctionnaires limogés, des syndicats, des villes et des États. Afin de suivre en temps réel l’ensemble de ces procès, le New York Times a publié un article recensant ces derniers et donnant accès aux dossiers judiciaires, incluant toutes les plaidoiries et autres documents déposés.

Dans certains cas, les plaignants ont obtenu une suspension temporaire retardant l’application de certaines mesures de Trump, mais aucune décision n’est encore définitive. Il faudra du temps avant qu’un schéma de décisions n’émerge et ne passe par de longs processus d’appel. En fin de compte, la Cour suprême sera confrontée à des contestations fondamentales qui touchent au cœur de la « séparation des pouvoirs » entre les trois branches du gouvernement et à la théorie des « checks and balances » (« freins et contrepoids ») qui les régit. En 2020, la Cour a rendu une décision favorable à Trump selon laquelle le directeur d’une agence exerçant un mandat de cinq ans pouvait être révoqué par le Président « à sa discrétion ». Il reste à voir si elle appliquera ce principe à l’ensemble des agences.

En attendant, nous pourrions assister à des événements quasi quotidiens qui risquent d’être assez chaotiques à court terme.  Le 5 mars, la Cour suprême a refusé, par un vote de 5-4, une demande de l’administration Trump visant à lever une injonction bloquant temporairement ses tentatives de réduire presque totalement l’aide étrangère. Cette décision est provisoire et concernait une question de procédure et pas le fond, mais le fait que la Cour soit si divisée indique que l’évolution juridique de cette question ne sera pas linéaire.