Par Frederick T. Davis, ancien procureur fédéral et membre des barreaux de New York et de Paris

Comment est composé le rapport du Conseiller spécial Jack Smith ?

Le 14 janvier 2025, le procureur général américain, Merrick Garland, a rendu public la moitié d’un « Rapport final » soumis par l’ancien « Conseiller spécial », Jack Smith, nommé par M.Garland pour diriger une enquête sur des actes criminels potentiels commis par l’ancien président Donald Trump. Le rapport final se compose de deux volumes : le premier porte sur les enquêtes concernant l’insurrection du 6 janvier 2021, lorsque des émeutiers ont attaqué le Capitole pour tenter d’empêcher l’enregistrement formel des votes qui avaient élu Joseph Biden comme président ; le second traite des allégations selon lesquelles Trump aurait illégalement conservé des documents classifiés et sensibles après avoir quitté la présidence, et aurait, avec d’autres, entravé l’enquête à ce sujet. M. Smith avait obtenu des actes d’accusation (« indictments ») contre Trump dans ces deux affaires, mais après l’élection de Trump le 5 novembre 2024, il est devenu évident qu’aucune de ces procédures ne pouvait se poursuivre en raison d’une politique ferme et de longue date du ministère de la Justice (Department of Justice ou DOJ) interdisant la poursuite pénale d’un président en fonction. Cela a mis fin au mandat de M. Smith, qui a démissionné le 10 janvier après avoir soumis son « Rapport final » à M.Garland. Jusqu’à présent, M. Garland n’a publié que la partie du rapport concernant le 6 janvier ; l’autre volume, contenant des informations sensibles sur des individus encore poursuivis, n’a pas été rendu public pour le moment.

Qui était le Conseiller spécial et quelles étaient ses prérogatives ?

Il y a plusieurs années, le DOJ a adopté des règlements internes formels pour établir des procédures en matière d’enquêtes pénales susceptibles de générer un « conflit d’intérêts » avec le ministère. Contrairement à une procédure antérieure où un procureur spécial avait une plus grande indépendance formelle parce qu’il était nommé par un panel de juges, les règlements actuels garantissent une certaine transparence formelle des actes d’un Conseiller Spécial nommé par le procureur général. Notamment, ces règlements prévoient que, bien que le procureur général conserve le pouvoir de contrôler toute décision du Conseiller spécial, il doit, dans tout cas de désaccord, en informer les dirigeants des deux partis politiques au Congrès. Lorsque Donald Trump a annoncé qu’il se présenterait contre Joseph Biden lors de l’élection de 2024, créant ainsi un conflit avec le procureur général dépendant du président, M. Garland a nommé M. Smith, un procureur chevronné alors en poste à La Haye au sein des Chambres Spécialisées pour le Kosovo.

Les règlements applicables disposent qu’à la fin de son mandat, le Conseiller Spécial doit soumettre au procureur général un rapport confidentiel expliquant ses décisions de poursuite ou de non-poursuite, ce que M. Smith a fait peu avant sa démission le 10 janvier. Les règlements permettent également au procureur général de déterminer si la publication d’un tel rapport serait « dans l’intérêt public, » ce que M. Garland vient de décider.

Que dit le Rapport final sur les événements du 6 janvier et Donald Trump ?

Le Rapport final relatif au 6 janvier est un document détaillé et bien rédigé de 137 pages, avec de nombreuses références et des annexes. Il couvre non seulement les événements dramatiques du 6 janvier, mais aussi les tentatives multiples de Trump et de ses alliés pour renverser les résultats de l’élection de 2020, en se concentrant sur quatre initiatives parallèles :

Les pressions (ou menaces) exercées sur des responsables d’États où Biden avait clairement gagné, pour « trouver » des voix supplémentaires en faveur de Trump.

La création de groupes de « faux électeurs » dans des États-clés où Biden avait gagné, ces derniers signant des certificats frauduleux affirmant que leur État avait voté pour Trump.

Les efforts visant à nommer un nouveau procureur général qui aurait promis à Trump d’utiliser le DOJ pour déclarer – sans fondement factuel – que les élections dans certains États en faveur de Biden étaient illégales.

Enfin, le rôle de Trump dans l’incitation de la foule qui a pris d’assaut le Capitole le 6 janvier.

Bien que le Rapport final soit une lecture intéressante et contienne un résumé historique utile et souvent dramatique, il n’apporte que peu d’éléments nouveaux : presque tous les détails ont déjà été explorés publiquement, que ce soit lors des auditions du Congrès ou dans divers procès civils et pénaux. Néanmoins, élément le plus important de ce rapport, M. Smith insiste sur le fait que les preuves à sa disposition auraient été largement suffisantes pour obtenir la condamnation de Trump lors d’un procès. Mais même cette affirmation n’est pas véritablement « nouvelle », car pour obtenir les actes d’accusation, M. Smith était soumis à des règles déontologiques bien connues, l’obligeant à ne porter des accusations formelles qu’en cas de base factuelle solide.

Quelle est l’importance du Rapport final et que signifie-t-il ?

Le Rapport final de M. Smith est une sorte de triste « fin » à sa poursuite énergique – et, à mon avis, professionnellement compétente – mais finalement infructueuse contre Trump. En tant qu’ancien procureur fédéral, j’ai toujours considéré que les preuves disponibles étaient exceptionnellement solides pour démontrer des actes criminels pour lesquels Trump devrait être tenu responsable. M. Smith a mené son enquête avec une diligence et une rigueur méticuleuse, parfois perçues comme trop lentes, bien qu’une démarche plus rapide aurait risqué de créer des irrégularités graves. Ses efforts ont été contrariés par les stratégies de retardement des avocats de Trump et par une décision sans précédent de la Cour suprême élargissant les conceptions antérieures de l’immunité présidentielle.

En fin de compte, la seule responsabilité pénale imposée à Trump pour ses actes avant, pendant et après sa première présidence sera la condamnation de l’État de New York, enregistrée la semaine dernière, pour falsification de documents commerciaux liés à des paiements de « silence à l’actrice pornographique Stormy Daniels ».

« L’affaire Trump », dans son sens le plus large, était sans précédent et a totalement dépassé la capacité des procédures pénales normales à y répondre de manière satisfaisante. Les procédures juridiques applicables aux enquêtes pénales ne se sont pas révélées à la hauteur pour gérer de manière efficace la situation extraordinaire et historique qui s’est présentée.  Ce n’était finalement pas un problème « juridique », mais plutôt « politique », sur lequel l’Amérique a voté de manière décisive le 5 novembre dernier.