Accord UE-Mercosur : et maintenant ?
Les négociations de l’accord UE-Mercosur, engagées depuis la fin des années 1990, connaissent un nouveau rebondissement après que Madame Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, s’est rendue en Uruguay le 6 décembre 2024 pour acter la fin de sa renégociation. Une nouvelle version du volet commercial de l’accord UE-Mercosur vient d’être dévoilée.

Par Alan Hervé, Professeur à Sciences Po Rennes – Chaire Jean Monnet en droit de l’Union européenne, auteur de l’ouvrage « Les Accords de libre-échange de l’Union européenne » (Bruylant, 2023, 220 p.).
L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur est-il désormais signé ?
Contrairement à ce que l’on a pu lire et entendre dans certains médias généralistes, l’accord n’a pas été signé, et encore moins conclu par la présidente de la Commission, qui n’en a pas le pouvoir. Côté européen, il faudra encore attendre pour ce faire une décision du Conseil autorisant sa signature, conformément à ce qu’indique l’article 218 § 5 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Les procédures en vigueur au sein des pays du Mercosur conditionneront de la même manière la signature et la conclusion éventuelle de ce texte conventionnel.
La renégociation du texte est cependant bel et bien terminée, ce qui signifie que les équipes de négociateurs se sont entendues sur le contenu de l’ensemble des futurs engagements conventionnels. Rien n’empêche en théorie qu’elle soit à nouveau réouverte, ce qui semble néanmoins peu probable politiquement. Autre hypothèse, l’accord peut tout simplement ne jamais être signé, à l’instar de l’accord sur l’investissement finalisé fin 2020 entre l’UE et la Chine, resté mort-né sur fond de tensions politiques entre les deux partenaires.
Quelle sera la forme de cet accord ?
Pour l’heure, et aussi curieux que cela puisse paraître après tant d’années de négociation et de discussion, l’incertitude demeure sur cette question. Nous ne disposons à ce jour que du résultat des négociations commerciales, sans connaitre celui des négociations politiques. Ni les membres du Conseil, ni ceux du Parlement européen ne savent précisément quelle forme prendra cet accord, ce secret étant encore jalousement gardé par la Commission et ses partenaires du Mercosur.
Relevons simplement que la Commission n’évoque plus l’existence d’un accord d’association et privilégie l’expression de « partenariat ». Deux grandes options sont encore ouvertes. Première option, un découpage du résultat négocié, où les dispositions de nature commerciale seraient rassemblées dans un accord de libre-échange séparé de l’accord politique. Seconde option, sans doute plus probable au regard des termes choisis ces derniers jours par la Commission, un accord de partenariat, incluant une partie politique et une partie commerciale rassemblées dans le même instrument.
Dans la première hypothèse, la ratification de l’accord commercial pourrait être facilitée car il s’agirait très probablement d’un accord relevant de la compétence exclusive de l’Union, qui pourrait être signé et conclu après une décision prise par le Conseil à la majorité qualifiée, et après l’approbation du Parlement européen qui intervient entre la signature et la conclusion.
La seconde hypothèse – celle de l’accord unique – rendrait plus difficile la ratification, puisque l’accord, dont le contenu relèverait probablement de compétence partagées entre l’Union et ses États membres, pourrait être considéré comme mixte c’est-à-dire que sa conclusion devrait faire intervenir conjointement l’Union européenne et ses 27 États membres, conformément à chacune de leurs procédures constitutionnelles internes. L’expérience de la ratification du CETA a montré les difficultés d’une telle voie. Cependant, même dans l’hypothèse d’un accord unique, on peut imaginer que la décision d’autoriser la signature du texte sera accompagnée d’une décision autorisant l’application provisoire du texte, particulièrement concernant sa partie commerciale. Une telle décision pourrait être prise, en cas de passage au vote, à la majorité qualifiée. Notons que le CETA est ainsi appliqué à titre provisoire depuis 2017, de même que l’accord d’association UE-Cariforum, depuis 2008.
Plusieurs questions restent en suspens. Premièrement, quelle sera la position des États membres ? Si les principales forces politiques françaises sont défavorables au texte, les grands partis de gouvernement allemands (SPD, CDU) le soutiennent. En Italie, le ministre de l’agriculture y est apparemment opposé mais ce n’est pas nécessairement le cas du reste de son gouvernement. La Belgique devrait s’abstenir car, si la Wallonie partage la position française, la Flandre penche plutôt du côté des Pays Bas et de l’Allemagne. La Pologne, qui présidera l’Union et aura donc la maîtrise de l’agenda des réunions du Conseil au premier semestre 2025 semble pour l’heure opposée à la signature, qui ne devrait donc pas être proposée avant l’été 2025, sous présidence danoise. Deuxièmement, à supposer qu’il soit sollicité pour approuver l’accord, il est encore difficile d’anticiper la position du Parlement européen, tous les groupes, à l’exception de la Gauche (GUE), étant divisés sur cette question.
Précisons encore que, compte tenu de la sensibilité du sujet, la possibilité de recours contentieux contre la procédure de conclusion de cet accord n’est pas à exclure. À l’instar de ce qui s’est passé avec le CETA, des saisines des juridictions nationales et européennes pourraient intervenir très vite, mais elles ne seraient toutefois en principe pas suspensives.
Passons maintenant au contenu de l’accord. Quels sont de votre point de vue les changements les plus notables par rapport au texte de 2019 ?
Il s’agit, pour reprendre une expression éculée, d’un changement dans la continuité. La base de la renégociation engagée en 2023 a été celle du résultat obtenu quatre ans plus tôt. La plupart des dispositions initialement négociées n’ont pas été modifiées. Il en va ainsi des dispositions générales sur le commerce des marchandises, des services et de l’investissement ou encore dans le domaine de la propriété intellectuelle. C’est aussi le cas, hormis quelques exceptions, des listes de concessions, qui définissent le degré d’ouverture et de libéralisation des échanges bilatéraux.
Sur le fond, les modifications sont diverses et répondent à des demandes aussi bien européennes que latino-américaines. On notera ainsi des ajustements dans les calendriers de désarmement tarifaire, notamment dans les secteurs agricoles et automobiles. Un nouveau dispositif de sauvegarde permettra aux pays du Mercosur d’étendre les restrictions aux exportations en cas de circonstances exceptionnelles (déséquilibre budgétaire ou encore dépréciation monétaire). Les Européens pourront quant à eux se satisfaire d’une extension du nombre d’indications géographiques protégées et d’un accès renforcé aux matières premières, en particulier aux terres rares.
L’avancée présentée comme majeure par la Commission concerne la question du développement durable. Le chapitre négocié en 2019 demeure inchangé mais il est enrichi d’une nouvelle annexe dont les dispositions nous paraissent toutefois décevantes puisqu’elles ont un caractère principalement déclaratoire. Est ainsi répété ad nauseam l’attachement des parties à la protection de l’environnement et aux droits sociaux, la nécessité d’une coopération accrue dans ces domaines.
L’accord continue en revanche d’exclure les dispositions sur le développement durable du système bilatéral de règlement des différends commerciaux et de confier la résolution d’éventuels désaccords concernant leur bonne application à des groupes d’experts qui rendront de simples recommandations. Il ne sera en conséquence pas possible à une partie d’obtenir de la part d’un arbitre le droit de sanctionner commercialement une partie qui violerait des engagements de nature sociale ou environnementale. Les avancées obtenues dans les textes conclus avec le Royaume Uni et la Nouvelle Zélande ne sont donc pas transposées à l’accord UE-Mercosur en dépit des engagements affichées par la Commission en 2022 au sujet de ses futurs accords de libre-échange.
Certes, le respect de l’Accord de Paris est désormais qualifié de clause essentielle ce qui autorisera une partie à suspendre tout ou partie de l’accord en cas de dénonciation ou de violation grave de ce dernier. Mais cette innovation doit être relativisée. L’Accord de Paris, si important soit-il politiquement, n’impose aux États que des obligations réduites. Le nouveau chapitre de l’accord UE-Mercosur consacré prend en outre bien soin de préciser, dans une note de bas de page, que cette qualification de clause essentielle demeure limitée à l’Accord de Paris et ne concerne pas les autres engagements internationaux climatiques négociées ultérieurement. Sans grande surprise, le projet d’accord ne contient aucune « clause miroir ».
Ce résultat, assez décevant du point de vue social et environnemental, démontre que l’Union européenne n’a pas été en capacité d’imposer ses vues, ou du moins celles de certains de ses États membres, aux pays du Mercosur, dont l’essentiel des échanges commerciaux se font aujourd’hui avec la Chine. La faiblesse des concessions faites aux Européens, dont le marché n’est peut-être plus aussi attractif que dans le passé, témoigne peut-être aussi d’un véritable rééquilibrage des rapports de force entre les diplomaties commerciales du nord et celles des pays du sud global.