Procédure pour déficit excessif : comment la France peut-elle rentrer dans les clous ?
Le 26 juillet dernier, sur recommandation de la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne a ouvert une procédure de déficit excessif à l’encontre de la France et de six autres États européens et a décidé que la Roumanie resterait placée sous cette procédure ouverte depuis 2020.
Par Corinne Delon Desmoulin, professeure de droit public à l’Université Rennes 2 et directrice du LiRIS.
Comment la stabilité économique de l’Union européenne est-elle assurée ?
En application des règles prévues depuis 1992 par le traité selon lesquelles « les Etats membres évitent les déficits publics excessifs » (art. 126 TFUE), mais également par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) adopté dans le prolongement du traité en 1997 et modifié en dernier lieu le 23 avril 2024, la Commission européenne est chargée, chaque année, de surveiller la situation budgétaire et macro-économique de chaque Etat membre. Depuis la réforme du PSC initiée en 2010, cette surveillance s’opère dans le cadre d’un calendrier commun appelé « Semestre européen ». Ce cadre de gouvernance économique et budgétaire a vocation à garantir la stabilité économique de l’Union européenne et de la zone euro. Cela implique de s’assurer de la viabilité des finances publiques des États membres en corrigeant les déficits publics excessifs et de l’absence de déficits macro-économiques, qui pourraient être sources de déséquilibres.
Qu’est-ce qu’une procédure pour déficit excessif (PDE) ?
Aux termes du Traité, les déficits publics d’un pays sont considérés comme excessifs lorsque le déficit des administrations publiques (comprenant l’État, les collectivités territoriales et la Sécurité sociale) dépasse les 3 % de son PIB alors que la dette est supérieure à 60 % du PIB. Le Pacte de stabilité vise à garantir que les États membres de l’Union européenne conduisent des politiques économiques et budgétaires prudentes en période de conjoncture économique favorable afin de disposer de marges suffisantes lorsque la conjoncture se détériore. Ainsi, lorsqu’un État membre ne respecte pas l’un ou l’autre des plafonds établis par le Traité, des objectifs précis lui sont fixés par la Commission européenne dans le cadre d’une trajectoire de référence, en fonction de son évolution et des risques pesant sur la soutenabilité des finances publiques du pays, Si, toutefois, l’État concerné ne suit pas les recommandations du Conseil, des sanctions graduées sont prévues: le Conseil va tout d’abord mettre en demeure l’État membre de prendre des mesures appropriées dans un délai déterminé (art. 126 § 9 TFUE), en informer le Conseil européen et rendre publiques ses recommandations si l’Etat membre n’a toujours rien entrepris. Il pourra ensuite lui infliger une amende allant jusqu’à 0,05 % du PIB pour une période de six mois, cette amende sera payée tous les six mois jusqu’à ce que le Conseil estime que l’État membre concerné a pris des mesures suivies d’effets. Pour les Etats membres de la zone euro, ces sanctions peuvent être alourdies à différentes étapes de la PDE par des dépôts de l’ordre de 0,2 % du PIB portant ou non intérêt, et éventuellement par des amendes s’élevant également à 0,2 % du PIB.
A la lumière du programme national de réforme et du programme de stabilité 2024 (désormais appelé plan budgétaire et stratégique national depuis la réforme du PSC d’avril 2024) présentés par la France en mai dernier et d’une évaluation globale de la situation de la France, la Commission européenne a estimé que trop de vulnérabilités pesaient sur la soutenabilité de la dette à moyen terme et justifié le déclenchement de la PDE. Le montant de la dette française qui, d’après les prévisions disponibles au printemps, dépasserait les 112 % du PIB, conjuguée à un déficit public sans doute supérieur à 5 % pour 2024 (et finalement supérieur à 6 %) inquiétaient la Commission européenne, gardienne de la discipline budgétaire.
Est-ce la première fois que la France fait l’objet d’une telle procédure ?
La procédure pour déficit excessif est un élément clé du volet correctif du pilier budgétaire du Pacte de stabilité et de croissance. La PDE est déclenchée par la Commission européenne contre un État membre, lorsque ce dernier ne se conforme pas aux règles européennes. La France a déjà connu une telle situation entre 2003 et 2007 puis entre 2009 et 2017. Ainsi, en 2009, le Conseil a suivi les recommandations de la Commission européenne et a ré ouvert une procédure de déficit excessif. La France a bénéficié à plusieurs reprises de délais supplémentaires et a fini par sortir de cette procédure en 2018 mais elle est restée sous surveillance étroite de la Commission européenne compte tenu de ses vulnérabilités. D’ailleurs, dès 2019, la Commission a considéré que la France connaissait des déséquilibres macro-économiques et a formulé des recommandations réitérées chaque année depuis lors. En juin 2024, la Commission a estimé que la France avait résolu ces déséquilibres… au moment où s’ouvrait donc une procédure pour déficit excessif.
Que doit faire désormais la France ?
Dès cet automne, le gouvernement français doit rendre sa stratégie de redressement des finances publiques en réponse à la recommandation du Conseil et son projet de plan budgétaire pour 2025. Par ailleurs, avec la réforme adoptée au mois d’avril 2024 du cadre de gouvernance économique, les États membres doivent désormais présenter des plans budgétaires et structurels nationaux à moyen termecouvrant une période de quatre ou cinq années selon les cas. Cette année, le document devait être présenté fin septembre. Toutefois, en raison, des élections législatives anticipées et du retard pris dans la nomination d’un nouveau gouvernement, la France a demandé des délais supplémentaires. Ce document contient les engagements de l’État membre en matière de trajectoire budgétaire, d’investissements et de réformes. Le Haut Conseil des finances publiques a rendu son premier avis sur ce document le 10 octobre dernier.
Cependant, il faudra surtout convaincre la Commission européenne que les mesures nécessaires au redressement des finances publiques seront prises. Or, elles sont loin d’être consensuelles. Les premiers échanges intervenus à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale laissent penser qu’il ne sera pas facile de trouver un consensus. D’autant que, selon la Commission, dans sa proposition de recommandation au Conseil du 19 juin dernier, les défis auxquels le gouvernement doit s’attaquer sont nombreux. Si la Commission préconise de limiter la croissance des dépenses publiques et de revoir à la baisse les dépenses fiscales, elle encourage également la France à des changements plus vastes et à réformer un système fiscal jugé trop complexe et un système éducatif qui ne répond pas aux attentes, à accélérer la mise en œuvre du plan pour la reprise et la résilience initié après la crise sanitaire de 2020 et notamment le voletREPowerEUqui vise à réduire la dépendance de l’Union européenne aux combustibles fossiles russes et à accélérer la transition écologique. Alea jacta est !