Le règlement de la succession de Johnny Hallyday de nouveau au point mort ?
Depuis maintenant plus d’un an, les héritiers de Johnny Hallyday se déchirent par médias interposés sur leurs droits respectifs dans la succession du rocker. Au-delà de la question de savoir si la loi américaine doit ici être appliquée, ce qui pour l’heure préoccupe les enfants biologiques du défunt c’est le sort des bénéfices de la vente du tout dernier album de leur père, sorti en octobre 2018. Alors qu’une nouvelle étape procédurale était sur le point d’être franchie en France, la Bank of America désignée comme trustee au printemps dernier du « JPS Trust » a décidé de démissionner ce qui, évidemment, pourrait ralentir l’avancée du règlement de la succession et des litiges en cours.
Décryptage par Sara Godechot-Patris, professeur de droit à l’Université Paris-Est Créteil.
« La démission du trustee ne remet pas pour autant en cause l’existence du trust»
Quel est le rôle d’un trustee ?
Le trustee est la colonne vertébrale du trust ; sans lui le trust ne peut fonctionner. Pour s’en persuader il suffira de rappeler que le trust, institution sans équivalent en droit français, est une opération à trois personnes, aux termes de laquelle le constituant – en l’espèce Johnny Hallyday – place des biens sous le contrôle d’un trustee dans l’intérêt d’un ou plusieurs bénéficiaires. Le trust étant une institution extrêmement flexible, l’étendue des pouvoirs du trustee dépend largement de l’acte constitutif du trust. Mais quels qu’en soient les termes, il n’en demeure pas moins que c’est au trustee qu’il appartient de gérer les biens qui lui ont été confiés et de procéder à la distribution des fruits et revenus du trust et, à terme de ses biens. Car c’est le trustee qui détient la propriété dite légale des biens mis en trust.
Du bénéfice de ce trust – ou plutôt de ces trusts car le dispositif en l’espèce est d’une rare complexité – , les enfants biologiques de Johnny Hallyday ont, on le sait, été écartés. Or il semble qu’à ce jour, le trust ait sous son contrôle une bonne partie du patrimoine du défunt. Et puisque les biens mis en trust sont entre les mains du trustee, ce n’est pas tant contre les bénéficiaires du trust que contre lui que les enfants biologiques doivent agir s’ils veulent obtenir des droits dans la succession de leur père. Il est, pour ainsi dire, leur interlocuteur privilégié. C’est dire qu’en l’absence de trustee, la procédure engagée en France perd de son sens, puisque fait défaut un contradicteur déterminant.
Pour quelles raisons le trustee a-t-il démissionné ?
Les raisons pour laquelle la Bank of America a démissionné n’ont pas été divulguées. Peut-être des désaccords profonds l’opposaient-ils au protector. En effet, Johnny Hallyday avait prévu dans l’acte constitutif de trust un protector dont la désignation appartiendrait désormais à son épouse. Aurait été désignée une proche de cette dernière, experte en finance et en optimisation fiscale. Le protector est garant de la bonne exécution du trust. L’étendue de ses pouvoirs dépend là encore de l’acte constitutif du trust. A supposer qu’ils soient importants, le protector peut certainement entraver l’action du trustee. Ceci étant, la démission tient peut-être à d’autres considérations.
Reste à savoir, si la Bank of America était en droit de démissionner. En principe, en droit américain, dès que le trustee accepte sa fonction, il ne peut plus unilatéralement démissionner ou se refuser à agir pour le trust, à moins que l’acte constitutif du trust organise une éventuelle démission et la nomination d’un successor trustee. L’acte peut également aménager un délai de préavis et une période de transition. À défaut de stipulation dans l’acte constitutif, le trustee doit engager une procédure judiciaire pour confirmer sa décision qui doit, bien évidemment, reposer sur des motifs suffisamment graves. On ignore dans quelle configuration se trouvait en l’espèce la Bank of America.
Quelles sont les conséquences de cette démission ?
Si le trustee est la cheville ouvrière du trust, la démission du trustee ne remet pas pour autant en cause l’existence du trust. On peut néanmoins se demander si dans l’affaire Hallyday tous les éléments du dossier ont été communiqués. Car, que la démission ait été conventionnellement prévue ou qu’elle s’opère de manière judiciaire, il appartient normalement au trustee démissionnaire de transférer les biens du trust à son successeur. Or de cela, il n’a jamais été fait état lors des derniers rebondissements ; on aurait plutôt tendance à laisser croire à une vacance du trust, à rebours des principes en la matière.
Par Sara Godechot-Patris