Le compte à rebours du troisième référendum calédonien est lancé
Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, maître de conférences en droit public à l’Université de Bretagne Occidentale et à Paris-Dauphine.
Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, maître de conférences en droit public à l’Université de Bretagne Occidentale et à Paris-Dauphine
Les Calédoniens ont déjà refusé à deux reprises l’accès à la « pleine souveraineté » lors des référendums du 4 novembre 2018 et du 4 octobre 2020. Ils seront pourtant convoqués pour un 3e vote. Pour préparer cette échéance, le Premier ministre vient d’inviter les élus à Paris du 25 mai au 3 juin 2021.
Quels sont les enjeux de cette prochaine réunion à Paris ?
Cette initiative répond à un besoin impérieux : entretenir le dialogue entre les partenaires de l’Accord de Nouméa signé entre l’État, les responsables indépendantistes et les dirigeants loyalistes.
La nécessité est d’autant plus forte que la situation politique est complexe. Ainsi, le 2 février dernier, les indépendantistes ont quitté le gouvernement collégial afin de faire pression sur l’issue d’un dossier industriel, entraînant sa chute. Le 17 février, pour la première fois depuis 1998, les mêmes indépendantistes ont obtenu la majorité au sein des 11 membres du nouveau gouvernement à la suite d’une alliance avec un petit parti, « l’Éveil océanien », lors d’un vote du congrès de Nouvelle-Calédonie. Mais, depuis cette date, ils ne parviennent pas à élire leur président. Cela fait donc deux mois que le 16e gouvernement à majorité loyaliste continue à assurer la gestion des dossiers courants dont la pandémie sanitaire. Cette carence explique que le budget de la collectivité n’a pas été voté avant le 31 mars, ce qui a conduit le haut-commissaire à confier à la Chambre territoriale des comptes son élaboration. Il faut encore ajouter à ces difficultés le fait que le 8 avril dernier les indépendantistes ont demandé l’organisation du troisième référendum sur l’accès de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté comme ils en avaient la possibilité juridique.
Devant une telle accumulation, il est heureux que le chef de l’État ait pu susciter cette initiative. Partant, celle-ci est néanmoins originale dans la forme qu’elle semble prendre. En effet, s’il est de tradition que les dirigeants calédoniens se retrouvent à Paris pour débattre de leur avenir, l’habitude était de les réunir sous la forme du « comité des signataires ». Or, pour le moment, seuls dix élus semblent conviés en lieu et place de la trentaine des invités habituels.
Il est probable que ce format restreint suscitera des commentaires et nourrira des frustrations. Et le risque existe, si le Gouvernement ne dissipe pas rapidement les ambiguïtés, que cette question de forme ne vienne altérer la préparation de la rencontre. Ainsi par exemple, au regard du rôle charnière occupé par « l’Éveil océanien » au sein du congrès, il serait probablement judicieux de ne pas omettre d’associer la communauté wallisienne à ce tour de table.
D’autant que les questions évoquées sont décisives comme le choix de la date de ce référendum. En effet, l’Accord de Nouméa prévoit qu’en cas de résultat négatif de la première consultation sur l’accession à la pleine souveraineté, une deuxième consultation pouvait être organisée à la demande du tiers des membres du congrès, dans la deuxième année suivant la première. Et si le vote était à nouveau négatif, une troisième consultation était possible dans les mêmes conditions et dans les mêmes délais. Or le premier référendum s’est tenu le 4 novembre 2018 et le second le 4 octobre 2020. Les élus calédoniens avaient donc la possibilité, à compter du 4 avril 2021, de demander à l’État d’organiser le troisième. La démarche des indépendantistes était attendue, elle s’est concrétisée par un courrier daté du 8 avril. L’État dispose maintenant de 18 mois pour convoquer les électeurs, c’est-à-dire au plus tard le 5 octobre 2022.
Reste en conséquence à fixer une date convenant à tous. Souhaitant éviter que la Nouvelle-Calédonie devienne un enjeu de la campagne présidentielle et des législatives, le dernier comité de signataires d’octobre 2019 a accepté que le référendum ne se tienne pas entre la mi-septembre 2021 et la fin août 2022. Mais si les loyalistes veulent que l’incertitude sur l’avenir du territoire soit levée le plus vite possible et militent pour un vote avant la fin 2021, les indépendantistes préféreraient septembre 2022, leur permettant ainsi de mieux préparer l’échéance…
Ce 3e référendum ressemblera-t-il aux deux précédents ?
Sur la forme sans doute mais naturellement pas dans son issue. Sur les modalités pratiques comme sur la composition de la liste électorale, les tensions apparues lors des deux précédentes consultations ont trouvé des réponses robustes dans les lois organiques du 5 août 2015 et du 19 avril 2018. Il n’y a donc aucune raison de craindre de nouvelles difficultés.
Par contre, au soir de ce 3e référendum, il y a aura un vainqueur et un vaincu. Les deux précédentes consultations n’étaient que des étapes, le prochain scrutin sera le terme. Et l’histoire n’est pas écrite d’avance.
Les indépendantistes comptent sur la dynamique observée dans les résultats de 2018 et de 2020 : le « oui » est passé de 43,3 % à 46,74 % avec une participation qui a cru de 4,7 % pour atteindre 85,7 %. Les analyses post-électorales révèlent d’ailleurs que la progression du « oui » est indexée sur le recul de l’abstention. Les indépendantistes peuvent donc espérer créer la surprise.
Les loyalistes soulignent que le « non à l’indépendance » est arrivé en tête des votes à deux reprises, même avec une hausse des votants. Ils gagent donc qu’un troisième revers attend inévitablement les indépendantistes.
Quoi qu’il en soit, si le « oui » l’emporte, s’ouvrira une période de transition pour organiser le transfert des compétentes toujours assumées par l’État. Et si le « non » gagne, alors tout est à inventer puisque l’accord de Nouméa se contente d’une formule évasive : « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ».
Le futur de la Nouvelle-Calédonie est donc incertain ?
Le passé peut revenir toujours et nourrir des tentations de repli. Certains, sans doute fatigués ou amers, susurrent déjà des projets de partition du territoire dont la seule conséquence immédiate sera d’exacerber les différences. Ce serait non seulement une fausse bonne solution mais surtout un renoncement terrible que cette fragmentation vers l’infiniment petit politique.
L’Accord de Nouméa n’est ni un bréviaire ni un catéchisme. C’est la démonstration d’une volonté politique incarnée par des Hommes qui ont su se hisser à la hauteur de l’Histoire. Comprenant que tout était à redouter s’ils persistaient à s’isoler les uns des autres, ils ont décidé d’espérer ensemble. Le souvenir de ces statuts de Commandeurs a tiré vers le haut les trente dernières années.
L’époque est différente. Les visages et les styles aussi. Si l’esprit consensuel qui prévalait en 1998 s’est dissous, il existe toujours, heureusement, des élus qui acceptent d’assumer le temps long. Il leur appartient de trouver le chemin pour dessiner une nouvelle organisation politique – non limitée dans le temps – permettant à la Nouvelle-Calédonie de poursuivre son émancipation dans le respect des convictions de chacun. Une autonomie plus accentuée est toujours possible mais si la « pleine souveraineté » ne peut pas être l’autonomie, elle doit pouvoir être autre chose que l’indépendance. Le droit comparé et les choix faits par d’autres peuples comme celui des îles Cook illustrent qu’aucun des défis à relever n’est impossible.