La gestion des contentieux civils à l’épreuve de la crise sanitaire Covid-19
Par Philippe Métais, Avocat associé et Elodie Valette, Avocat counsel, White & Case LLP.
Par Philippe Métais, Avocat associé, et Élodie Valette, Avocat counsel, White & Case LLP
Le fonctionnement de l’ensemble des juridictions du territoire est très affecté par la crise sanitaire Covid 19. La circulaire relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie Covid-19 diffusée par la Chancellerie le 14 mars 2020 a invité les juridictions à mettre en place des plans de continuité de l’activité1. Depuis le 16 mars 2020, les juridictions sont fermées et seules les audiences relatives aux « contentieux essentiels » sont maintenues, leur liste étant limitée, notamment, aux « référés devant le tribunal judiciaire visant l’urgence ».
Afin d’adapter et de préciser les règles de justice administrative et judiciaire, le gouvernement a déposé trois projets de loi, dont un projet de loi « Urgence ». Adoptée dimanche 22 mars au soir dans un hémicycle quasiment vide, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-192 instaure, pour deux mois, un état d’urgence sanitaire et comporte une série d’habilitations du gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance en vue de prendre des mesures modifiant les règles d’organisation et de procédure juridictionnelles le temps de la crise sanitaire (article 11 2° b et c). C’est dans ces circonstances que l’« ordonnance portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété3» a été adoptée le 25 mars 2020 en Conseil des ministres.
Transfert de compétence territoriale aux juridictions en capacité de fonctionner
L’ordonnance prévoit tout d’abord en son article 3 un transfert de compétence territoriale avec la possibilité, pour le premier président de la cour d’appel, de désigner, par ordonnance, une juridiction du ressort de la cour, pour connaître tout ou partie de l’activité relevant de la compétence d’une autre juridiction du ressort qui serait dans l’incapacité de fonctionner. Une situation de litispendance, au sens de l’article 100 du Code de procédure civile, est susceptible de naître de ce transfert. En effet, le dessaisissement de la première juridiction saisie – désormais dans une situation d’incapacité totale ou partielle de fonctionner – au profit de la seconde – devant laquelle l’activité objet de l’instance pendante devant la première juridiction aura été transférée n’est pas prévu.
Échanges des actes de procédures entre les parties, tenue des audiences et publicité des débats
L’ordonnance portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire adoptée le 25 mars 2020 privilégie une communication « par tout moyen, notamment électronique » (article 4) et invite les parties à « échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen » (article 6 al. 1er). On observera que devant le Tribunal judiciaire de Paris, les messages RPVA ne sont plus traités par les greffes civils4 de sorte qu’à moins que les greffes ne communiquent avec les parties par courriel – au risque d’une cyberattaque, la communication par voie postale sera vraisemblablement privilégiée, étant précisé que les services postaux sont également impactés par la crise sanitaire.
Le recours au juge unique est préconisé en période de confinement et c’est donc fort logiquement que l’ordonnance prévoit que le président de la juridiction pourra décider que la juridiction saisie statuera « en juge unique en première instance et en appel dans toutes les affaires qui lui sont soumises » (article 5). L’ordonnance traite également de la publicité des débats en période de confinement (articles 5 et 6). Il est ainsi prévu que le président de la juridiction pourra décider que « les débats se dérouleront en publicité restreinte », étant observé qu’« en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience, les débats se tiennent en chambre du conseil », le cas échéant en présence de journalistes (article 6). Ces dispositions ne devraient pas prêter à discussion au regard de la « distanciation sociale » préconisée en cette période de crise sanitaire.
Les conditions du recours à la visioconférence en matière civile sont également précisées. Il est prévu que le juge pourra « par une décision non susceptible de recours, décider que l’audience se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle », ou bien encore « en cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen » il pourra « décider d’entendre les parties et leurs avocats par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique ».
En période de confinement, l’ordonnance précise que « lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider que la procédure se déroule selon la procédure sans audience ». Il est ajouté qu’« à l’exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, les parties disposent d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience » (article 8). Ce recours est parfaitement en ligne avec les termes du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, publié le 12 décembre 2019 instituant l’accord exprès des parties en matière de procédure sans audience5.
Les référés filtrés avant l’audience
La rédaction de l’article 9 au sujet des procédures de référé ne manquera pas de surprendre. Il est prévu en effet que « la juridiction statuant en référé peut rejeter la demande avant l’audience, par ordonnance non contradictoire si la demande est irrecevable ou s’il n’y a pas lieu à référé ». Ce filtre peut paraitre excessif mais dont acte. On rappellera que la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (DACS) a publié le 19 mars 2020 une « dépêche sur l’audiencement des référés civils et la conservation des procédures sur requête urgentes6» limitant l’introduction de nouvelles procédures en référé aux référés « urgence » (article 834 du Code de procédure civile) et « sauvegarde » (article 835 du Code de procédure civile). La dépêche précise ensuite que « la condition d’urgence prévue par l’article 834 du code de procédure civile résulte de la nature de l’affaire et non de la convenance des parties », elle ajoute que « Si l’urgence est étroitement dépendante des faits de chaque espèce, elle n’est caractérisée que dans les cas où il est avéré qu’un retard dans la prise de décision du juge préjudicierait aux parties ».
La question de l’articulation de cette ordonnance avec la circulaire du 14 mars 2020 précitée et les plans de continuation de l’activité mis en œuvre par les différentes juridictions se pose. Les dispositions de l’ordonnance ont elles vocation à s’appliquer à l’ensemble des affaires d’ores et déjà pendantes devant les juridictions – dont l’activité a été fortement réduite depuis le début de la période de confinement ainsi qu’à de nouvelles affaires dont ces mêmes juridictions seraient saisies pendant la période troublée que nous traversons ? A cet égard, il sera procédé par renvoi aux plans de continuation d’activités déployés par l’ensemble des juridictions du territoire.
(1) Circulaire du 14 mars 2020 relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19 http://circulaire.legifrance.gouv.fr/index.php?action=afficherCirculaire&hit=1&r=44946, V. également Dépêche de la Direction des Affaires Civiles et du Sceaux sur l’audiencement des référés civils et la conservation des procédures sur requêtes urgentes https://www.cnb.avocat.fr/sites/default/files/depeche_dacs.pdf
(2) https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000041746313
(3) Ordonnance n°2020-304 https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000041755577
(4) http://dl.avocatparis.org/com/site/Vademecum_COVID19_avocats.pdf Vademecum diffusé par l’ordre des avocats de Paris le 25 mars 2020, p.14
(5) La nouvelle mise en état devant le tribunal judiciaire, La Gazette du Palais, 28 janvier 2020, P. Métais et E. Valette
(6) Dépêche de la Direction des Affaires Civiles et du Sceaux sur l’audiencement des référés civils et la conservation des procédures sur requêtes urgentes https://www.cnb.avocat.fr/sites/default/files/depeche_dacs.pdf
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