Gestation pour autrui : La filiation enfin envisagée ?
Les époux Mennesson, qui réclament depuis dix-huit ans la reconnaissance de filiation de leurs deux filles, nées de gestation pour autrui (GPA) aux États-Unis, attendaient la décision de la Cour de cassation à son sujet, vendredi 5 octobre dernier.
Retour sur cette procédure avec Antoine Gouëzel, professeur de droit à l’Université de Rennes 1.
« La Cour a toujours refusé la transcription de l’acte de naissance lorsqu’il désigne la mère d’intention comme mère, car l’acte ne correspond pas à la réalité »
Dans quel contexte s’inscrit cette décision de la Cour de cassation ?
Cette décision constitue une étape supplémentaire dans la saga des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui.
Face à la prohibition de la gestation pour autrui en droit français (article 16-7 du code civil), les époux Mennesson ont fait le choix de se rendre aux États-Unis où cette opération est admise. Des jumelles, conçues avec les gamètes de M. Mennesson et d’une donneuse, y sont nées. L’acte de naissance américain, dressé conformément à une décision de justice locale, désigne les époux Mennesson comme parents des jumelles.
Revenus en France, ils demandent la transcription de cet acte de naissance. Les tribunaux s’y opposent, au motif qu’une fraude à la loi française a été commise et que la gestation pour autrui viole les principes fondamentaux de notre système juridique.
Les époux Mennesson saisissent alors la Cour européenne des droits de l’homme, qui condamne la France en 2014. Les juges de Strasbourg estiment que le refus de reconnaissance de la filiation paternelle, dès lors qu’elle correspond à la réalité biologique, viole le droit au respect de la vie privée des enfants et est contraire à leur intérêt supérieur. La Cour de cassation s’est rapidement inclinée en modifiant sa jurisprudence.
Les époux Mennesson ont alors mis en œuvre la nouvelle procédure de réexamen des décisions de justice en matière civile, créée par une loi du 18 novembre 2016. Le 16 février 2018, la Cour de réexamen a fait droit à leur demande et ordonné que leur affaire soit de nouveau examinée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui s’est donc prononcée le 4 octobre 2018. Celle-ci n’a cependant pas tranché le litige : elle a transmis à la Cour EDH une demande d’avis et, dans l’attente, a sursis à statuer.
En quoi consiste la procédure de demande d’avis à la Cour Européenne des Droits de l’Homme ?
La Cour de cassation utilise pour la première fois la nouvelle procédure de demande d’avis, prévue par le protocole n° 16 à la convention européenne. Entré en vigueur le 1er août 2018 à la suite de sa ratification par la France, il vise à renforcer le fameux « dialogue des juges », en favorisant la coopération entre les juridictions supérieures nationales et la Cour EDH. Il doit également permettre de prévenir des violations de la Convention.
Selon l’article 1er du protocole, une haute juridiction peut « adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles ». Un collège de cinq juges européens se prononcera alors sur l’acceptation – ou non – de la demande d’avis. Si sa décision est favorable, la Grande chambre sera saisie pour rendre son avis. Celui-ci a un caractère purement consultatif, même si l’on imagine mal la juridiction qui l’a sollicité ne pas le suivre. La Cour de cassation pourra alors enfin trancher le litige.
L’affaire Mennesson est donc encore loin d’être terminée !
Pourquoi cette demande d’avis à la Cour EDH ?
Aucune difficulté ne se posait pour la filiation paternelle : dès lors qu’elle correspond à la vérité biologique, ce dont aucun élément ne permet de douter, elle peut être transcrite. La jurisprudence de la Cour de cassation était déjà en ce sens, conformément aux injonctions de la Cour EDH.
En revanche, l’Assemblée plénière a considéré qu’une difficulté existait pour la filiation maternelle. La Cour a toujours refusé la transcription de l’acte de naissance lorsqu’il désigne la mère d’intention comme mère, car l’acte ne correspond pas sur ce point à la réalité ; en droit français en effet, la mère est la femme qui accouche, donc la mère porteuse. Elle a cependant admis en 2017 que le conjoint du père adopte l’enfant.
L’assemblée plénière choisit aujourd’hui d’interroger la Cour EDH sur la compatibilité de cette solution avec l’article 8 de la convention, qui protège le droit à la vie privée et familiale ; elle demande également s’il y a lieu de distinguer selon que la mère d’intention est ou non la mère biologique de l’enfant.
Cette demande d’avis est surprenante ; l’avocat général s’y était d’ailleurs opposé. En effet, dans toutes les décisions relatives à des enfants nés de gestation pour autrui, la Cour EDH met en avant la dimension biologique de la filiation. L’arrêt rendu précisément dans l’affaire Mennesson en 2014 était particulièrement net : « La Cour estime, compte tenu de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée de l’enfant, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de son lien de filiation à l’égard de son père biologique, l’Etat défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation ». Seul le lien de filiation à l’égard du père biologique est visé et justifie la condamnation. A contrario, dans l’affaire Paradiso et Campanelli de 2017, où les autorités italiennes avaient réagi de manière particulièrement vigoureuse en enlevant l’enfant à ses parents d’intention pour le placer, la Cour n’a pas condamné l’Italie, en s’appuyant en particulier sur le fait qu’aucun n’était lié biologiquement à l’enfant. La position française n’apparaît donc pas contraire à l’article 8 de la Convention lorsque la mère d’intention n’est pas la mère biologique de l’enfant, ce qui est le cas dans l’affaire Mennesson.
Peut-être la Cour de cassation a-t-elle voulu se protéger contre une évolution ultérieure de la jurisprudence de la Cour EDH, laquelle aurait exposé la France à une nouvelle condamnation.
Par Antoine Gouëzel