Par Jean-Marie Brigant, Maître de conférences en droit, Le Mans Université

Afin d’assurer la transparence des rapports entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite Sapin 2 est venue réglementer l’activité des lobbyistes en soumettant ces personnes à des obligations déclaratives et déontologiques dont le non-respect est sanctionné pénalement (Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, une section 3 bis – art. 18-1 à 18-10). Dans son rapport annuel rendu en juin dernier, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) dresse un bilan de l’exercice déclaratif 2019 relativement positif  (plus de 2300 entités inscrites et 38 000 activités déclarées) malgré certaines lacunes (des délais de dépôts tardifs et un important travail de relance). Toutefois, après trois années d’exercice, ce dispositif apparaît particulièrement complexe et limité selon la HATVP (Rapport annuel 2020, p. 118 paru début juin 2021) qui propose ainsi plusieurs modifications afin de renforcer la lisibilité et l’efficacité du cadre juridique. Parmi les propositions formulées, on retiendra surtout le souhait de doter la Haute autorité d’un pouvoir de sanction administrative, à l’instar d’autres AAI.

Quelle est la définition légale du lobbyiste ?

Pour le législateur français, définir le lobbying présentait une double difficulté : la connotation négative du terme et la grande hétérogénéité de l’activité.  C’est pour cette raison que la loi Sapin 2 a retenu la notion de représentant d’intérêts, qui fait l’objet d’une double définition – positive et négative.

L’approche positive permet de désigner deux catégories de personnes. Il s’agit d’une part des « personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les organismes mentionnés au chapitre Ier du titre Ier du livre VII du code de commerce et au titre II du code de l’artisanat, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en communication avec des responsables publics limitativement énumérés par le législateur » (ex : membre du Gouvernement, parlementaire, collaborateur,.. – l’extension du dispositif aux responsables publics locaux ayant été repoussée au 1er juillet 2022). Il s’agit d’autre part des « personnes physiques qui ne sont pas employées par une personne morale mentionnée au premier alinéa du présent article et qui exercent à titre individuel une activité́ professionnelle répondant aux conditions fixées au même premier alinéa » (L. n° 2013-907 du 11 oct. 2013, art. 18-2).

L’approche négative permet d’exclure expressément de la définition cinq catégories de personnes physiques ou morales en raison de la loi ou de leur statut : les élus, dans l’exercice de leur mandat ; les partis et groupements politiques, dans le cadre de leur mission prévue à l’article 4 de la Constitution ; les organisations syndicales de fonctionnaires, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs (dans le cadre de la négociation prévue à l’article L. 1 du Code du travail) ; les associations à objet cultuel et enfin les associations représentatives des élus dans l’exercice des missions prévues dans leurs statuts (L. n° 2013-907 du 11 oct. 2013, art. 18-2).

Dans son rapport annuel, la Haute autorité propose une double modification de cette définition légale. La première consiste à supprimer le critère de l’initiative qui revient à exclure de la définition de l’action de représentants d’intérêts les entrées en communication qui émanent d’un responsable public (ce qui constitue un pan important des activités de lobbying). La seconde modification vise la définition de « l’activité régulière » de représentation d’intérêts qui est remplie lorsqu’au sein d’une personne morale, une personne physique « entre en communication au moins dix fois au cours des douze derniers mois » (D. n° 2017-867, 9 mai 2017, art. 1er). Une telle disposition revient à exclure celles dont plusieurs salariés réalisent chacun neuf actions. La HATVP propose judicieusement d’apprécier ce seuil minimal à l’échelle de la personne morale.

Quelles sont les obligations imposées par le législateur ?

La volonté du législateur d’encadrer le lobbying a conduit à la création d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts géré par la HATVP (en 2020, 2183 entités inscrites soit 11,6% de plus par rapport à 2019). Rendu public par la Haute autorité, ce registre d’inscription « assure l’information des citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics » (L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 18-1). Il découle de cette inscription à ce répertoire numérique pour les représentants d’intérêts une double obligation contrôlée par la HATVP.

La première obligation est déclarative puisque chaque année, dans les trois mois suivant la fin de leur exercice comptable, les représentants d’intérêts inscrits sur le registre doivent communiquer à la HATVP plusieurs catégories d’informations dont notamment les actions d’influence menées auprès des responsables publics ainsi que le montant des dépenses liées à ces actions (L. no 2013-907 du 11 octobre 2013, art. 18-3 ; D. n° 2017-867, 9 mai 2017, art. 3). Le bilan dressé par la Haute autorité en 2019 a mis en évidence un taux de conformité de seulement 34% à l’obligation de déclaration d’activités à la fin du dépôt légal et qui n’a atteint péniblement les 90 % qu’après de nombreuses relances (soit 1567 sur 1734 entités inscrites). La HATVP formule trois propositions pour améliorer l’efficacité du registre :

  • Clarifier le champ des décisions publiques visées par le dispositif (notamment la catégorie « les autres décisions publiques » en annexe du décret),
  • Préciser les informations à déclarer relatives à la fonction des responsables publics rencontrés ainsi que la décision publique concernée,
  • Passer d’un rythme annuel à un rythme semestriel de déclaration d’activités.

La seconde obligation est déontologique, les représentants d’intérêts devant exercer « leur activité avec probité et intégrité » (L. no 2013-907 du 11 octobre 2013, art. 18-5). Cela se traduit tout d’abord par l’obligation de « déclarer leur identité, l’organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts ou entités qu’ils représentent dans leurs relations avec les responsables publics. Cette exigence de probité doit conduire les représentants d’intérêts à s’abstenir d’adopter un certain nombre de comportements tels que proposer ou de remettre à ces responsables publics des présents, dons ou avantages quelconques d’une « valeur significative » ; leur verser toute rémunération ; les inciter à enfreindre les règles déontologiques qui leur sont applicables ; organiser des colloques ou manifestations dans lesquels les modalités de prise de parole par ces responsables publics sont liées au versement d’une rémunération sous quelque forme que ce soit.

Quelles sont les sanctions encourues en cas de non-respect des obligations ?

La question de la répression du non-respect des obligations par les représentants d’intérêts appelle plusieurs précisions.

En premier lieu, lorsque la HATVP constate de sa propre initiative ou à la suite d’un signalement, un manquement aux deux obligations (déclarative ou déontologique), elle adresse au représentant d’intérêts concerné une mise en demeure, qu’elle peut rendre publique, de respecter les obligations auxquelles il est assujetti, après l’avoir mis en état de présenter ses observations (L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 18-7, 1º). Sur ce point, la Haute autorité propose un renforcement de ses pouvoirs d’enquête et de contrôle en lui permettant d’exercer directement son droit de communication et en introduisant une sanction administrative d’entrave aux missions de ses agents.

En deuxième lieu, le législateur punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait pour un représentant d’intérêts de ne pas communiquer à la HATVP les informations légales ainsi que le fait de méconnaître une obligation déontologique dans les trois ans d’une précédente mise en demeure. Il s’agit là d’incriminations bien modestes qui tranchent avec l’ambition initiale du législateur qui avait prévu « une amende de 50 000 euros ou représentant 1% du chiffre d’affaires de la personne morale concernée » (F. Pillet, Rapport Sénat n° 712, 22 juin 2016, p. 110) ainsi qu’une peine complémentaire d’affichage de la décision de la condamnation.

En dernier lieu, ces sanctions pénales apparaissent inadaptées aux faits incriminés qui appelle une réponse rapide et qui, en raison de leur caractère sériel, font peser une charge disproportionnée sur l’autorité judiciaire. S’inspirant d’autres AAI (AMF, AdlC, …), la HATVP souhaiterait être dotée d’un pouvoir de sanction administrative afin de rendre plus effectives ses décisions. Une telle répression administrative avait été envisagée par le législateur qui a finalement rejeté cette idée en raison du risque de confusion avec sa mission de conseil et de recommandation. Pour autant, une telle évolution n’apparaît pas impossible comme l’illustre le cas de l’Agence française anti-corruption. Bien sûr, l’exercice d’un pouvoir de sanction administrative impliquerait, afin de préserver le principe d’indépendance et d’impartialité, la mise en place d’une commission des sanctions distincte de son collège.

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