Par Grégoire Loiseau, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

C’est l’une des utilisations toxiques des réseaux sociaux : le cyberharcèlement fait exploser la violence en éparpillant ses auteurs. La condamnation à des peines de prison avec sursis, le 7 juillet 2021, par le tribunal correctionnel de Paris des auteurs de cyberharcèlement dans l’affaire Mila, cette jeune femme harcelée et menacée de mort pour avoir tenu des propos polémiques sur l’islam, est l’occasion de mettre en lumière ce comportement de meute.

Qu’est-ce que le cyberharcèlement ?

Juridiquement identifié et pénalement incriminé, le cyberharcèlement est, comme son nom l’indique, un harcèlement commis au moyen d’un service de communication au public en ligne, le Code pénal envisageant aussi l’utilisation d’un support numérique ou électronique. Il se caractérise surtout par la circonstance que les propos ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de vie de la victime peuvent lui être imposés par plusieurs personnes sans que chacune agisse de façon répétée. La loi du 3 août 2018 a, de ce point de vue, étendu la conception du harcèlement, jusque-là constitué par des propos ou des comportements répétés d’une même personne, à leur réitération par des personnes différentes quand bien même chacune n’y prendrait part qu’une fois. C’est l’effet de meute qui est alors appréhendé, que les assaillants agissent de manière concertée ou à l’instigation de l’un d’eux ou qu’ils interviennent sans lien les uns avec les autres à partir du moment où ils savent qu’ils participent à une action répétée.

Pour appréhender le cyberharcèlement, les textes se présentent toutefois en pièces détachées. La prise en considération de la répétition des propos par des personnes différentes vis-à-vis d’une même victime sans que chacune de ces personnes n’agisse de façon répétée conduit à caractériser une forme particulière de harcèlement. « L’infraction est également constituée » en pareil cas, dispose le Code pénal. En revanche, l’utilisation d’un service de communication au public en ligne est retenue comme une circonstance aggravante justifiant le doublement de la peine.

Dans cette composition baroque, le cyberharcèlement est à deux faces, aussi bien moral que sexuel. De façon générale, il est dit que le harcèlement se matérialise par des propos ou par des comportements. Le cyberharcèlement emprunte, lui, sa nuisance à celle des mots. Le contenu peut être pernicieux, blessant, menaçant, insultant, intimidant, accusatoire, etc. A cet égard, les termes comptent moins que leur objet ou leur effet, qui est de provoquer une altération de la santé physique ou mentale de la victime. Les propos peuvent également avoir une connotation sexuelle ou sexiste. Les sanctions sont les mêmes mais les éléments constitutifs diffèrent. Le sens des termes importe davantage, étant un facteur de qualification, puisqu’ils doivent être à connotation sexuelle ou sexiste. De l’un à l’autre, la différence peut être perçue, selon l’analyse, comme de nature ou de degré. L’agissement sexiste vise un comportement en lien avec le genre alors que le harcèlement sexuel se réfère au champ de la sexualité. Dans tous les cas, l’impact sur la personne est considéré plus largement qu’en matière de harcèlement moral car il faut mais il suffit que les propos, soit portent atteinte à la dignité de la personne en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Qui peut être qualifié de cyberharceleur ?

Toute personne qui publie un message à tonalité malveillante ou oppressante, ou à connotation sexuelle ou sexiste, visant une personne qu’elle sait être la cible d’autres messages du même genre est co-auteur du cyberharcèlement. Si l’on peut concevoir que l’altération de la santé physique ou mentale de la victime soit le résultat de la conjugaison des messages haineux et non de chacun d’entre eux considérés distinctement, il faut toutefois que la participation de chacun soit active car, pour être harceleur, il faut tenir des propos.

Se pose alors la question de la portée d’un « like » ajouté sous un post, ou celle d’un smiley. Dans un tout autre contexte concernant la protection de la liberté d’expression, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, le 15 juin 2021, que le fait d’ajouter une mention « J’aime » sur un contenu n’a pas la même importance qu’un partage de contenu sur les réseaux sociaux, cette mention exprimant seulement une sympathie à l’égard d’un contenu publié et non une volonté active de contribuer à sa diffusion. « Liker » n’est donc pas harceler ? Probablement pas, ni même se rendre complice du cyberharcèlement car il est difficile de voir dans cette mention une assistance facilitant la consommation de l’infraction. L’analyse pourrait être la même s’agissant d’un retweet qui ne serait pas accompagné d’un commentaire.

Quel sont les contextes de cyberharcèlement ?

Il n’y a pas vraiment de contexte qui serait plus propice qu’un autre au cyberharcèlement, pas plus qu’il n’y a de profil des cyberharceleurs. La volonté de nuire, voire de détruire la cible, est commune à nombre d’entre eux. Au quotidien, ce peut aussi être, plus simplement, pour manifester l’adhésion à un groupe, afin de s’en montrer solidaire ou pour « faire comme les autres », que certains participent à l’engrenage. De son côté, le cyberharcelé peut être à l’origine de l’attaque, comme dans l’affaire Mila dont les propos ont déclenché un cyberharcèlement agrégeant, sans instigateur ni concertation, des usagers des réseaux sociaux que fédère la haine de la liberté d’expression. A l’inverse, le cyberharcèlement peut être initié par un collectif de personnes sans se focaliser sur un seul individu, les victimes étant choisies au gré des raids numériques. On se souvient, il y a quelques années, de la ligue du LOL réunissant des journalistes et communicants qui avaient constitué un groupe Facebook et adressaient, le plus souvent à des jeunes femmes, des messages sur Twitter au contenu sexiste, grossophobe ou encore homophobe.

Malgré tout, dans certains milieux, le législateur a estimé utile d’identifier juridiquement le harcèlement par des dispositions spéciales. C’est le cas du harcèlement scolaire qui fait l’objet, depuis la loi du 26 juillet 2019, d’un texte dédié dans le Code l’éducation. C’est surtout en droit du travail qu’il existe un important appareillage de règles spécifiques pour traiter des situations de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel. Etonnement pourtant, le cyberharcèlement n’est pas envisagé en tant que tel alors qu’il s’agit d’un foyer de contentieux de plus en plus important. Les contentieux sont généralement liés au licenciement de salariés qui se liguent pour diriger des messages de haine à l’encontre d’un collègue de travail, d’un supérieur hiérarchique ou de leur employeur. Le cyberharcèlement soulève alors des problématiques particulières tenant, notamment, à la conciliation des intérêts de l’employeur qui entend sanctionner les auteurs des messages avec le droit au respect de la vie privée des salariés. La Chambre sociale de la Cour de cassation a commencé à poser des principes directeurs, sous l’angle de la liberté d’expression, qui tiennent compte, lorsque les propos excèdent cette liberté, du paramétrage du compte et du nombre restreint de personnes qui y ont accès. Mais la question demeure de savoir si la qualification de harcèlement et le régime qui lui est associé peuvent être appliqués lorsque la répétition des propos est le fait d’une pluralité d’auteurs qui n’interviennent qu’une fois. Des poursuites pénales peuvent sans aucun doute être engagées. Il se discute en revanche de pouvoir sanctionner dans les relations de travail des pratiques pénalement interdites que le Code du travail ne prohibe pas lui-même.

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