Par Romain Laffly, Avocat associé, Lexavoué Lyon, et Matthieu Boccon-Gibod, Avocat associé, Lexavoué Paris-Versailles

La loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 a déclaré l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire pour un délai de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 24 mars 2020, date de sa publication au Journal officiel.

Différentes ordonnances liées à la crise sanitaire ont été publiées au Journal officiel le 26 mars 2020 et, parmi celles-ci, l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 dite de prorogation des délais.

Cette ordonnance n’interrompait pas ou ne suspendait pas les délais mais prorogeait simplement leur terme, et les parties conservaient la faculté d’accomplir leurs diligences procédurales durant la période d’état d’urgence sanitaire, laquelle était susceptible d’évoluer.

Ainsi, pour les juridictions de l’ordre judiciaire, statuant en matière non pénale et hors les actes prévus par des stipulations contractuelles, les délais étaient prorogés pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Initialement, puisque la fin de l’état d’urgence sanitaire devait s’achever au 24 mai 2020, et qu’avait été retenue une rétroactivité au 12 mars, les parties disposaient donc d’une « période juridiquement protégée » comprise entre le 12 mars et le 24 juin, les délais recommençant à courir à compter de cette date, dans la limite d’un délai de deux mois pour les accomplir, soit jusqu’au 24 août 2020.

Dans un deuxième temps était publiée l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais, complétant l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020.

Si elle ne modifiait pas les modalités de calcul, notamment pour les délais d’appel, cette nouvelle ordonnance pouvait laisser présager des changements à venir.

Dans son rapport de présentation au Président de la République, la garde des Sceaux insistait en effet sur le caractère provisoire du régime dérogatoire et précisait : « Vous avez annoncé dans votre allocution du 13 avril 2020, que la fin du confinement devrait s’organiser à compter du 11 mai 2020. Selon les modalités de sortie du confinement qui seront définies par le Gouvernement, il conviendra d’adapter en conséquence la fin de la « période juridiquement protégée » pour accompagner, le cas échéant plus rapidement qu’il était initialement prévu, la reprise de l’activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais. ».

On pouvait ainsi craindre un raccourcissement de la période de référence afin de faire coïncider la fin de la période juridiquement protégée avec celle du confinement, soit un gain de quelques jours : le 11 mai au lieu du 24 mai, le 11 juin au lieu du 24 juin.

Non seulement l’intérêt économique avancé, pour quelques jours donc, était discutable, mais l’on pouvait craindre une insécurité juridique pour des parties contraintes de calculer à nouveau leurs délais de procédure.

La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 a finalement prorogé l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de covid-19 jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.
Cette prorogation aurait dû conduire, en application de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, à étendre jusqu’au 10 août 2020 les différents délais échus depuis le 12 mars 2020.

Devant les cours d’appel, en matière civile, commerciale et sociale, de nombreux délais préfixés n’auraient ainsi expiré que le 10 octobre 2020.

Conscient de cette situation, le Conseil d’État avait d’ailleurs, dans son avis sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, invité le gouvernement à réexaminer le mécanisme de prorogation des délais résultant principalement de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.

C’est finalement sur le rapport du Premier ministre, du ministre des Solidarités et de la Santé et du ministre de l’Action et des comptes publics que ce texte a été réformé, par une nouvelle ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 parue au Journal Officiel du 14 mai 2020.

Aux termes de ce troisième acte, la prorogation des délais est ainsi confirmée pour les délais et mesures qui ont expiré entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus (art. 1 ord. 2020-306 du 25 mars dernier, réformé par l’art. 1 ord. 2020-560 du 13 mai dernier) et :
« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er [entre le 12 mars et le 23 juin 2020] sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. »

Aussi, il ne s’agit plus de raccourcir ou d’allonger le terme de la « période juridiquement protégée » en fonction de l’état d’urgence mais, on le voit, d’adopter un critère de fixité avec une durée désormais décorrélée de celle de l’état d’urgence sanitaire.

Il n’est donc plus possible de se référer à la date de cessation de l’état d’urgence pour calculer la date à laquelle le terme du délai est reporté, et la « période juridiquement protégée » apparaît sans équivoque possible : du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 inclus.

Comme le prévoit l’article 2 de l’ordonnance 2020-306 modifiée, durant la nouvelle période de référence courant du 12 mars au 23 juin 2020 inclus, un acte sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir mais dans la limite de deux mois.

Si le terme imparti par les textes est inférieur à deux mois – on pense par exemple au délai de dix jours pour signifier une déclaration d’appel ou d’un mois pour notifier des conclusions, les deux à peine de caducité de la déclaration d’appel, dans une procédure à bref délai (art. 905 et s. du Code de procédure civile) –, l’acte devra avoir été accompli avant le 23 août 2020.

Dans l’hypothèse où le délai prévu pour accomplir l’acte est d’une durée supérieure à deux mois – comme celui imparti à l’appelant pour conclure ou répondre à un appel incident ou de l’intimé pour conclure et former appel incident (art. 908 et s. du Code de procédure civile) –, les parties ne bénéficieront pas d’un report plus important et devront donc avoir notifié leurs écritures au plus tard le 23 août (Pour des exemples de calcul de délais, voir Une autre conséquence du Covid-19 : de nouveaux délais en appel ! – Laffly – Boccon-Gibod, blog du club des juristes, 27 mars 2020).

Ainsi, aux termes du nouveau texte, les parties semblent disposer d’un régime procédural stabilisé et de bornes claires pour accomplir leurs actes.

Une difficulté imprévue pourrait néanmoins venir quelque peu compliquer la tâche.

En effet, dans la version initiale de l’ordonnance n° 2020-304 et avant la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, la période juridiquement protégée allait du 12 mars au 24 juin 2020 et la prorogation des délais pouvait s’étendre jusqu’au 24 août.

Désormais, la période juridiquement protégée expirant le 23 juin, la prorogation de deux mois des délais s’étendra jusqu’au… dimanche 23 août.

Face à cette situation, deux thèses risquent de s’opposer.

La première voudrait que le délai de deux mois soit une version raccourcie du délai originel, et qu’il s’agisse toujours d’un délai de procédure.

Dans cette perspective, les praticiens, qui avaient tous pris initialement pour délai butoir le lundi 24 août à minuit, doivent pouvoir compter sur les dispositions du code de procédure civile.

L’article 641 alinéa 2 dispose en effet que « lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai. A défaut d’un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois »,

Cette disposition bien connue est complétée par l’article 642 alinéa 2 du même code qui ajoute que « tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures. Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant ».

Selon les tenants de cette thèse, la partie qui doit conclure dans un délai de deux mois (art. 1037-1 CPC) ou trois mois (art. 908, 909 ou 910 CPC), voit son délai prorogé de deux mois, mais comme cela reste un délai de procédure, les diligences pourront encore être accomplies jusqu’au lundi 24 août à vingt-quatre heures.

Mais une seconde thèse pourrait prévaloir : la durée de deux mois n’est pas à proprement parler un délai imparti pour accomplir un acte, mais bien un délai butoir qui abrège de manière absolue le « délai légalement imparti ».

Dans cette perspective, il faut se souvenir que la circulaire de présentation de l’ordonnance précitée du 15 avril 2020 qui indique que l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 a défini une « période juridiquement protégée » et mentionne :

« A ce jour, compte tenu des dispositions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020 à 0 heures, de sorte que la « période juridiquement protégée » s’achèverait un mois plus tard, soit le 23 juin à minuit ».

On le voit, en prenant comme terme le 23 juin à minuit, le raisonnement adopté semble plutôt être celui propre au calcul des délais de prescription.

Or la Cour de cassation estime , au visa de l’article 2229 du Code civil, que les articles 641 et 642 ne sont pas applicables et que le délai de prescription expire la veille à vingt-quatre heures. Ou, dit autrement, le jour même mais à zéro heure.

Dans ce cadre, la « période juridiquement protégée » s’achèverait donc le 23 juin à minuit, faisant démarrer les nouveaux délais d’appel à compter du lendemain, avec un délai butoir, limite absolue pour accomplir l’acte, non pas le lundi 24 août à minuit comme généralement avancé, mais bien le dimanche 23 août à minuit…

Ainsi, si l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020, qui retient une « période juridiquement protégée » du 12 mars 2020 jusqu’au 23 juin 2020 inclus, a le mérite de la fixité et d’une sécurité juridique apparente, les parties qui souhaiteront en bénéficier pleinement seraient bien inspirées de retenir comme date butoir celle du dimanche 23 août, vingt-quatre heures.

Car si c’est l’un des avantages du Réseau Privé Virtuel des Avocats de permettre la notification des actes le dimanche, il est certain qu’en matière de délais d’appel, c’est le principe de précaution qui doit s’imposer.

 

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