Conflit Iran/USA : Jusqu’où iront les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis?
Depuis le mois dernier, les relations entre l’Iran et les États-Unis ne cessent de s’envenimer. Alors que Téhéran a suspendu certains de ses engagements pris en vertu de l’accord de 2015 qui encadrait son programme nucléaire, l’administration de Donald Trump a renforcé ses sanctions économiques contre l’Iran.
1500 soldats américains supplémentaires viennent d’être déployés au Moyen-Orient car le Gouvernement américain estime qu’il fait face à des « menaces persistantes » de la part de l’Iran.
Décryptage par Charlotte Beaucillon, professeur de droit public à l’Université de Lille, chercheur au CRDP, chercheur associée à l’IREDIES, Université Paris 1 , directrice du projet de recherche COMPLY 2018-2020.
« L’Iran souhaite que le répit promis dans les secteurs bancaire et pétrolier, spécifiquement visés par les sanctions internationales, lui soit assuré »
Téhéran a annoncé avoir suspendu certains de ses engagements. Quels sont-ils? Pour quels résultats?
La suspension par l’Iran de certains de ses engagements s’inscrit dans un contexte de grande tension (y compris militaire) avec les États-Unis. Par l’annonce du 8 mai 2019, l’Iran tente d’ouvrir un nouvel épisode de négociation stratégique à propos de l’exécution de l’accord nucléaire. Un an exactement après le retrait des États-Unis du Plan d’action global commun décidé à Vienne le 14 juillet 2015, l’Iran explique sa démarche comme une tentative d’obtenir l’exécution effective de l’accord par l’ensemble de ses parties (la France, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine et l’Allemagne), et insiste sur le fait que cette suspension ne consiste pas en son retrait pur et simple.
D’après les informations publiques disponibles, l’Iran ne respecterait plus, depuis le 8 mai 2019, les limitations qu’il avait acceptées en ce qui concerne ses réserves d’eaux lourdes et son stock d’uranium enrichi. Il s’agit d’un mécanisme de seuils généralement utilisé en matière de non-prolifération nucléaire, de manière à garantir une application civile et non militaire de cette technologie.
La suspension de certains des engagements iraniens s’accompagne d’une demande aux autres parties à l’accord d’exécuter entièrement leurs propres engagements. Plus particulièrement, l’Iran souhaite que le répit promis dans les secteurs bancaire et pétrolier, spécifiquement visés par les sanctions internationales, lui soit assuré. Le délai de 60 jours imparti aux parties à l’accord expirera au début du mois de juillet.
Quant au secteur bancaire, une difficulté particulière peut être anticipée, dans la mesure où le rétablissement des sanctions américaines contre l’Iran a des effets extraterritoriaux que l’on peine à contenir, malgré l’adoption de lois nationales/règlement européen de blocage, ou la mise en place au début de l’année 2019 de l’Instrument européen de commerce avec l’Iran (INSTEX) pour protéger les entreprises européennes des injonctions américaines. Quant au secteur pétrolier, il est notable que la décision iranienne intervienne deux semaines environ après l’annonce par les États-Unis qu’ils ne renouvèleraient pas les dérogations jusqu’alors concédées au Japon, à la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, Taïwan, l’Italie, la Grèce et la Turquie pour acheter du pétrole iranien.
Pourquoi les États-Unis ont-ils ordonné le départ d’Irak de certains fonctionnaires ? Dans quel but ?
Il est utile de rappeler que, le 8 mai 2018, le Président américain justifiait le retrait des États-Unis de l’accord iranien par des motifs de sécurité nationale qui ne se limitaient pas à l’éventuelle acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran. Ce dernier avait également été accusé de soutenir des groupes terroristes au Moyen-Orient, d’alimenter les violences en Irak et les guerres civiles au Yémen et en Syrie.
Quant à la question terroriste, les États-Unis ont décidé le 8 avril 2019 d’inscrire les Gardiens de la révolution iranienne sur la liste américaine des organisations terroristes. En retour, l’Iran a déclaré considérer les forces armées américaines déployées au Moyen-Orient, dans la Corne de l’Afrique et en Asie centrale, comme des groupes terroristes.
C’est un nouveau seuil qui a été franchi depuis le 5 mai 2019, les États-Unis semblant avoir entrepris d’exercer une pression militaire sur Téhéran, qu’ils ont qualifié de menace pour les États-Unis. Ils ont ainsi annoncé avoir déployé plusieurs bombardiers nucléaires B-52 et le porte-avions USS Abraham Lincoln vers leur Commandement central au Moyen-Orient. Ils disposent en effet de deux bases militaires dans le golfe Persique, à Doha (Qatar) et à Manama (Bahrein) et d’une base dans le golfe d’Aden, à Djibouti.
Le rappel, le 15 mai, du personnel diplomatique américain non essentiel en poste à l’ambassade de Bagdad et au Consulat d’Erbil matérialise à la frontière terrestre irano-irakienne les tensions diplomatiques croissantes entre les deux États ; les États-Unis accusant l’Iran de préparer des attaques contre les intérêts américains au Moyen-Orient et se déclarant prêts à intervenir.
Dans la même logique, et suite à un tir de rocket non revendiqué dans la Zone verte où se trouve l’ambassade américaine à Bagdad, on peut signaler la tenue, le 2 juin 2019, d’exercices conjoints entre le USS Abraham Lincoln et un bombardier nucléaire américain proche des bases militaires du golfe Persique, vers la frontière maritime iranienne.
Jusqu’où iront les tensions entre les USA et l’Iran ? Une guerre entre les deux pays est-elle envisageable ?
Les tensions entre les États-Unis et l’Iran semblent pour l’instant se matérialiser principalement en Irak et dans le golfe Persique. L’Iran a financé en Irak des groupes paramilitaires qui ont combattu Daesh, et c’est notamment une action de ces groupes irakiens pro-iraniens que les États-Unis redouteraient aujourd’hui lorsqu’ils évoquent une menace potentiellement indirecte de l’Iran contre les intérêts américains au Moyen-Orient.
Le droit international public pose des règles très claires en matière de paix et de sécurité internationales. Le recours à la force est interdit dans les relations internationales depuis l’adoption de la Charte des Nations Unies, et seule la légitime défense peut justifier, dans des conditions strictes d’immédiateté, de nécessité et de proportionnalité, un recours modéré à la force pour se protéger d’une agression armée avérée (et non à venir ou redoutée).
On le sait, le jeu des alliances dans la région peut jouer un rôle déterminant dans la résolution (pacifique ou militaire) de ces tensions, compte tenu non seulement du caractère dévastateur qu’aurait un nouvel affrontement en Irak, mais aussi du risque d’extension d’un éventuel conflit à d’autres États de la région.
Le 4 juin 2019, le Président des États-Unis a répété que s’il ne souhaitait pas un conflit armé avec l’Iran, cela demeurait une possibilité. L’Iran refuse quant à lui tout dialogue avec les États-Unis au regard de la dégradation de leurs relations et du rétablissement des sanctions extraterritoriales américaines à son encontre.
Pour aller plus loin :
- Rapport du Club des juristes : « Le retrait des États-Unis de l’Accord de Vienne sur le programme nucléaire iranien : une situation juridique contrastée » publié en juillet 2018, présidé par Dominique Perben, ancien garde des Sceaux et avocat associé chez Betto Seraglini et Louis de Gaulle, avocat associé chez De Gaulle Fleurance & Associés: https://www.leclubdesjuristes.com/le-retrait-des-etats-unis-de-laccord-de-vienne-sur-le-programme-nucleaire-iranien-une-situation-juridique-contrastee/
Par Charlotte Beaucillon.