Condamnation des époux Balkany, un tournant dans la lutte judiciaire contre la fraude fiscale
Le vendredi 13 septembre 2019, Patrick Balkany a été condamné à 4 ans de prison avec incarcération immédiate. Isabelle Balkany, sa femme, a été condamnée elle à 3 ans de prison sans incarcération immédiate. L’affaire n’est pas encore terminée, car une autre décision de justice est attendue pour le 18 octobre [sur le volet corruption et blanchiment].
Décryptage par Evan Raschel, Professeur de droit à l’Université Clermont Auvergne, Directeur adjoint du Centre Michel de l’Hospital EA 4232.
« Isabelle Balkany est la première adjointe de Levallois : c’est bien à elle que revient, juridiquement, la charge d’administrer la ville »
Pourquoi Patrick et Isabelle Balkany ont-ils été condamnés par la justice ? Et en quoi consiste le volet blanchiment et corruption, qui sera jugé le 18 octobre ?
Le tribunal correctionnel de Paris a condamné les époux Balkany pour le délit de fraude fiscale (art. 1741 du Code général des impôts). Si celle-ci fait l’objet d’un important contentieux, les juges ont souligné l’originalité de cette affaire : des « montages sophistiqués » recourant à une « kyrielle de sociétés extraterritoriales » ayant permis une « fraude fiscale massive », mais plus gravement, « De tels faits d’enrichissement personnel sont d’autant plus intolérables au corps social qu’ils ont été commis par des personnes élues au suffrage universel ». Ces manquements auraient « aggravé la déchirure désormais ancienne du pacte républicain, et ce quand bien même nul argent public n’a formellement été détourné ».
Autant de circonstances qui ont conduit les magistrats vers une sanction exemplaire, en parfait accord avec les réquisitions du Parquet national financier (PNF – lui-même créé à la suite d’une autre célèbre fraude fiscale mettant en cause Jérôme Cahuzac).
Au-delà des peines d’emprisonnement sans sursis (ferme), c’est la décision d’incarcération immédiate qui a marqué les esprits, et symbolise un tournant – largement encouragé par les pouvoirs publics et le législateur – dans la lutte judiciaire contre la fraude fiscale.
La situation des époux Balkany pourrait encore s’aggraver. La 32ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris devra de nouveau se prononcer le 18 octobre sur les faits de blanchiment de fraude fiscale, corruption et blanchiment de corruption, qui l’avaient occupée près d’un mois. Patrick Balkany y comparaîtra vraisemblablement détenu car, à supposer même que sa demande de mise en liberté soit acceptée, il n’est pas sûr que la cour d’appel de Paris ait statué d’ici là.
Les enjeux de ce second jugement seront très importants : le PNF avait requis à l’encontre du maire de Levallois une peine d’emprisonnement plus sévère encore (sept ans sans sursis, avec mandat de dépôt) et de lourdes peines de confiscations et d’inéligibilité. Isabelle Balkany n’y sera jugée que pour blanchiment de fraude fiscale, et le PNF n’avait requis à son égard qu’une peine d’emprisonnement avec sursis (quatre ans tout de même) et une amende. D’autres protagonistes, aux rôles nébuleux mais a priori secondaires, y seront également jugés, dont le propre fils des époux Balkany.
Qu’est-ce qu’un mandat de dépôt ? Dans quelle mesure Patrick Balkany peut-il espérer sortir rapidement de prison ?
Le mandat de dépôt est l’ordre donné à un établissement pénitentiaire de recevoir quelqu’un. Ordonné par une juridiction de jugement (il peut aussi l’être dès l’instruction), il permet la mise à exécution de la condamnation, sans attendre qu’elle devienne définitive ou exécutoire (comp. la règle de principe : art. 708, al. 1er CPP). Il suppose que la personne soit à la disposition de la justice (ce qui était le cas de Monsieur Balkany, présent au délibéré).
La personne placée sous mandat de dépôt est donc immédiatement incarcérée ; Patrick Balkany est arrivé à la prison de la Santé à Paris une ou deux heures après le jugement – sans être pour autant menotté, cette possibilité étant strictement encadrée (art. 803 CPP). L’idée du mandat de dépôt est d’être réservé aux condamnés nécessitant cette incarcération immédiate. En l’espèce, le tribunal n’a pas exclu que Patrick Balkany soit « incité à se soustraire, autrement que par l’exercice des voies de recours légalement prévues, à l’application de la sanction pénale prononcée ». A l’inverse, et pour tenir compte de son état de santé, il a été décidé de ne pas prononcer de mandat de dépôt à l’encontre de Isabelle Balkany, qui a pu sortir libre du tribunal.
Patrick Balkany est donc d’ores et déjà en train de subir sa peine d’emprisonnement. Il en a interjeté appel : sa condamnation n’étant pas définitive, les juridictions d’application des peines ne peuvent être saisies d’une demande d’aménagement.
A défaut, Patrick Balkany peut (et l’a d’ailleurs fait dès vendredi) déposer une demande de mise en liberté (art. 148-1 CPP). Celle-ci devra être examinée par la juridiction de jugement saisie, soit la Cour d’appel de Paris, qui devra statuer dans les deux mois de la demande (art. 148-2, al. 2 CPP).
La loi encadre peu – c’est un euphémisme – les conditions d’une telle mise en liberté, de telle sorte qu’il est particulièrement malaisé de prévoir le résultat de cette demande. Patrick Balkany pourra se prévaloir de l’absence de risque de sa liberté pour l’ordre public, mais aussi de son âge (71 ans) ; mais il devra convaincre de sa volonté de rester à la disposition de la justice.
Patrick Balkany peut-il continuer d’être maire alors qu’il est incarcéré ? Cela le rend-il inéligible pour de futures élections ?
Patrick Balkany est, pour reprendre le pudique vocable du Code général des collectivités territoriales (art. L. 2122-17), empêché. C’est la raison pour laquelle cet article s’applique, en vertu duquel : « En cas d’absence, de suspension, de révocation ou de tout autre empêchement, le maire est provisoirement remplacé, dans la plénitude de ses fonctions, par un adjoint, dans l’ordre des nominations (…) ».
En l’occurrence, il se trouve que son épouse est sa première adjointe : c’est bien à elle que revient, juridiquement, la charge d’administrer la ville. Celle-ci en effet, bien qu’également condamnée à une peine d’emprisonnement sans sursis, n’est pas empêchée. Encore qu’une polémique n’a pas tardé à apparaître : si son état de santé a été jugé incompatible avec une mesure de détention, est-elle en mesure de diriger une ville telle Levallois ?
Certes, les époux Balkany ont été par ailleurs condamnés à la peine complémentaire d’inéligibilité pour une durée de dix ans, mais ils en ont tous deux interjeté appel, lequel est ici suspensif.
C’est précisément ce caractère suspensif de l’appel qui pourra permettre à Monsieur Balkany de se représenter en 2020. En effet, le procès en appel se déroulera très certainement après les élections municipales, de sorte que la peine d’inéligibilité ne sera pas considérée comme définitive. Peu importe le résultat de la demande de mise en liberté : si l’incarcération de Patrick Balkany est un obstacle matériel de nature à complexifier sa campagne électorale, elle ne lui interdit nullement de se présenter comme candidat. S’il est de nouveau élu, l’article L. 2122-17 du Code général des collectivités territoriales continuera de s’appliquer, pour tenir compte de son empêchement.
Pour aller plus loin :
– LOI n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude : https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do?idDocument=JORFDOLE000036747507&type=general&typeLoi=proj&legislature=15
– Parquet national financier : https://www.tribunal-de-paris.justice.fr/75/le-pnf
Par Evan Raschel.