Changer de culture normative : 46 propositions pour améliorer concrètement la qualité du droit, par Alain Lambert, Pierre de Montalivet et Hervé Moysan
Par Alain Lambert, président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), Pierre de Montalivet, professeur à l’université Paris-Est Créteil – Paris XII et Hervé Moysan, docteur en droit, directeur de la Rédaction législation de LexisNexis France.
Par Alain Lambert, président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), Pierre de Montalivet, professeur à l’université Paris-Est Créteil – Paris XII et Hervé Moysan, docteur en droit, directeur de la Rédaction législation de LexisNexis France
En novembre 2020, un e-colloque intitulé « Changer de culture normative. Améliorer la qualité du droit par la généralisation des bonnes pratiques » a été organisé par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) et LexisNexis, sous la direction scientifique du Professeur Pierre de Montalivet. Il a réuni des personnalités politiques, des hauts fonctionnaires et des juristes universitaires. Poursuivant cette démarche, 46 propositions sont aujourd’hui formulées pour répondre concrètement à l’appel lancé par le Conseil d’État dans son étude de 2016 à un « changement profond de culture normative » (Voir Maryvonne de Saint Pulgent et Patrick Gerard, « C’est une nouvelle culture politique qu’il faut installer, sans laquelle les réformes, comme c’est le cas pour les études d’impact, resteront sans grand effet » : JCP G, 2016, 1032, Entretien). Elles sont publiées à la Semaine juridique – Édition générale du 19 juillet 2021 et librement accessibles sur Tendance Droit : http://www.tendancedroit.fr/
De nombreux travaux ont déjà été consacrés à la qualité du droit. Quelle est l’originalité de cette démarche ?
Devant les effets limités des multiples initiatives destinées à améliorer la qualité de la réglementation et à remédier à sa dégradation, l’objectif de cette démarche est doublement original. Il s’est agi, en premier lieu, de prendre conscience du fait que les solutions à l’insécurité juridique sont moins textuelles que culturelles. Afin de favoriser un changement d’état d’esprit, il convient d’identifier les bonnes pratiques pour les généraliser. Il a semblé nécessaire, en second lieu, de réunir, dans un débat contradictoire, tous les acteurs concernés, ceux qui font la loi, ceux qui l’interprètent et ceux qui l’appliquent. Une démarche qui s’est poursuivie par un travail partenarial approfondi entre le CNEN, LexisNexis et l’Université, réunissant praticiens et théoriciens.
Cette réflexion a conduit les participants à engager la France à se fixer un cap clair pour préserver l’État de droit, défendre la compétitivité du pays, prévenir les contentieux et maintenir la cohésion sociale, comme l’ont fait l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
Parmi les 46 propositions formulées, quelles sont les recommandations les plus significatives ou pertinentes ?
Elles sont toutes significatives et pertinentes ! En effet, nous avons sélectionné des propositions réalistes et applicables, en les divisant par thèmes, suivant l’ordre des tables rondes du colloque, dans un souci de plus grande lisibilité.
La qualité du droit dépend d’abord de la formation et de l’information. Cette étape est indispensable pour changer notre culture normative. Il s’agit en cela de favoriser l’enseignement et la recherche dans le domaine de la légistique, mais également de développer une véritable pédagogie citoyenne afin de généraliser les bonnes pratiques existantes. Parmi d’autres, deux exemples concrétisent bien cette approche dans l’enseignement universitaire : les cours de légistique proposés par le master 2 « Communication juridique, sociologie du droit et de la justice » de l’université Paris II Panthéon-Assas, ainsi que les travaux menés dans la cadre de la clinique de légistique de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, la seule clinique française dans ce domaine.
Dans la formation, un axe particulier est déjà consacré à l’opportunité et à la nécessité de légiférer. Cet axe mérite la plus grande attention. Encore faudrait-t-il avoir des certitudes et disposer d’une vraie analyse mesurant avec précision l’étendue du droit en vigueur !
Nous proposons ensuite d’accroître substantiellement le champ et la qualité de l’évaluation. L’instauration d’études ex post sur nos politiques publiques est aujourd’hui plus que nécessaire : comment réformer une politique publique si cette dernière n’est pas évaluée au stade de son exécution ? En 2018, l’Assemblée nationale a instauré le « Printemps de l’évaluation », dispositif consistant à analyser rétrospectivement l’exécution budgétaire et les politiques publiques. Pérenniser cette bonne pratique à l’Assemblée nationale et l’étendre au Sénat constitue l’une de nos propositions.
Il est également urgent d’améliorer le processus d’élaboration des textes juridiques. À cet égard nous proposons par exemple d’associer étroitement des panels de juristes, universitaires, avocats ou magistrats, au stade de l’élaboration de certains projets de normes.
La qualité du droit impose par ailleurs un contrôle effectif. Nous pourrions utilement nous inspirer du contrôle qualitatif effectué à l’échelle européenne par le Regulatory Scrutiny Board (RSB), organe indépendant rattaché à la Commission européenne, qui opère un contrôle rigoureux sur les analyses d’impact.
Enfin et surtout la qualité du droit nécessite la définition et la mise en œuvre d’une véritable politique publique. Ainsi, prévoir la présentation par le Premier ministre d’une « politique juridique » dans son programme ou sa déclaration de politique générale constituerait parmi d’autres une mesure importante pour insuffler le changement de culture normative tant attendu par nos concitoyens.
Comme vous l’avez souligné, de multiples efforts ont déjà été réalisés pour renforcer la sécurité juridique, avec des résultats somme toute limités. Peut-on être optimiste en la matière ?
Nous restons optimistes. Les conditions sont aujourd’hui réunies pour effectuer ensemble cette révolution autant culturelle que juridique.
Les esprits sont mûrs et le colloque de novembre 2020 a permis de constituer un premier réseau d’acteurs déterminés. Nous sommes convaincus que la dégradation n’est pas fatale et que la complexité excessive de la norme peut cesser de peser sur notre pays.
Nous appelons les décideurs publics à un sursaut afin de promouvoir une nouvelle éthique de la responsabilité, qui engagera ce changement de culture dans la production, l’application et l’interprétation de la norme.
Changer notre culture normative commande du courage de la part de tous les acteurs associés à l’élaboration de la loi. Cette transformation requiert confiance, liberté et responsabilité.
C’est une occasion historique qui s’offre aux pouvoirs publics, en se souvenant de l’enseignement de Portalis, selon lequel : « les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ».
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