3 questions à Hubert Alcaraz sur le référendum pour l’indépendance de la Catalogne
La Catalogne organisait le week-end du 1er octobre un référendum invitant les citoyens à se prononcer en faveur ou contre l’indépendance de la région autonome. Cependant, le gouvernement espagnol a jugé cette consultation illégale, entraînant ainsi une forte contestation d’une partie de la population catalane.
Décryptage de la situation de la Catalogne avec Hubert Alcaraz, Maître de conférences en droit public à l’Institut d’études ibériques et ibéro-américaines de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.
« Les suites politiques sont imprévisibles compte tenu de l’absence de dialogue entre Madrid et Barcelone »
Le référendum organisé par la Catalogne le 1er octobre 2017 est-il illégal ?
L’organisation d’un référendum, comme toute procédure de vote permettant de consulter directement les citoyens, est soumise en Espagne à des règles très strictes. Celles-ci sont précisées, avant tout, par la Constitution espagnole du 27 décembre 1978, actuellement en vigueur, et par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel espagnol. A cet égard, l’article 149 de la Constitution prévoit, notamment, que seul l’Etat espagnol est autorisé à « convoquer les électeurs à des consultations populaires par voie de référendum ». Autrement dit, les Communautés autonomes espagnoles, bien qu’elles jouissent de l’autonomie politique, ne peuvent prendre l’initiative de l’organisation d’un référendum, quel que soit le sujet en cause.
La Catalogne a, malgré tout, adopté un certain nombre de textes en vue de préparer l’organisation d’un référendum d’autodétermination le 1er octobre. Le Parlement catalan a, en particulier, voté une loi, le 6 septembre, relative au référendum d’autodétermination. Le gouvernement espagnol a alors immédiatement formé un recours devant le Tribunal constitutionnel contre cette loi afin qu’elle soit déclarée non conforme à la Constitution. A ce jour, le Tribunal n’a pas encore tranché ce recours, de telle sorte que, strictement, le référendum n’a pas encore été déclaré non conforme à la Constitution. Toutefois, lorsqu’un recours d’inconstitutionnalité est formé par le gouvernement espagnol contre une loi adoptée par une Communauté autonome, l’article 161, alinéa 2, de la Constitution prévoit que cette loi est suspendue de plein droit pour un délai minimal de cinq mois. Dès lors, l’organisation du référendum du 1er octobre était, au minimum, dépourvue de tout fondement juridique, y compris au regard d’une prétendue loi catalane en la matière.
Par ailleurs, le Tribunal constitutionnel avait déjà annulé cette année plusieurs lois catalanes qui tentaient de préparer la tenue d’un tel référendum d’indépendance. Toutes ont été déclarées contraires à la Constitution espagnole, aussi bien la loi catalane du 17 mars 2010 relative aux consultations populaires par voie de référendum que la loi catalane 10/2014 du 26 septembre relative aux consultations populaires non référendaires et aux autres formes de participation citoyenne. La violation de la Constitution par la loi catalane ne fait donc pas de doute.
Quelles peuvent être les suites de cette quête d’indépendance pour la Catalogne ?
Même si, à ce stade, il est difficile d’envisager les conséquences politiques du référendum du 1er octobre, des suites institutionnelles et pénales sont d’ores et déjà engagées. Ainsi, la Généralité, l’organisation politique de la communauté autonome de Catalogne a-t-elle créé, en février dernier, le commissaire pour la transition nationale, imaginé pour être la cheville ouvrière de l’indépendance. Chargé de la mise en place d’un plan pour la préparation des structures de l’Etat et d’un plan d’infrastructures stratégiques, le commissaire pour la transition nationale doit aussi mettre en place des structures telles qu’un ministère des finances catalan, une sécurité sociale catalane et développer l’action extérieure du gouvernement catalan. Le 10 mai, le décret a cependant été annulé par le Tribunal constitutionnel pour non-conformité à la Constitution.
Sur le plan pénal, les responsables politiques catalans qui ont permis, préparé ou directement déclenché la tenue du référendum d’autodétermination, en particulier la présidente du Parlement catalan et le président de la Communauté autonome, font l’objet de poursuites.
Pour le reste, les suites politiques sont davantage imprévisibles, compte tenu de l’absence de dialogue entre Madrid et Barcelone. Face à l’intention affichée du président de la Catalogne de proclamer l’indépendance de la Communauté dans les tous prochains jours, le gouvernement espagnol a indiqué qu’il mettrait en œuvre l’article 155 de la Constitution qui lui permet de prendre le contrôle d’une Communauté autonome en cas de non-respect de la Constitution ou d’atteinte grave à l’intérêt général de l’Espagne.
L’organisation de ce type de référendum d’autodétermination dans certaines collectivités territoriales françaises est-elle envisageable ?
Les règles espagnoles sont très spécifiques, en particulier car l’article 2 de la Constitution y proclame « l’unité indissoluble de la nation espagnole », en même temps qu’il « reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui en font partie ». Les Communautés autonomes jouissent donc d’une autonomie, non pas administrative, mais véritablement politique, que leur garantit la Constitution.
Rien de comparable n’est prévu par la Constitution française qui, au contraire, consacre le caractère indivisible de la République et ne permet pas l’organisation au sein des collectivités territoriales françaises de référendum d’indépendance ou d’autodétermination. Si des adaptations institutionnelles et statutaires sont envisageables, en particulier au profit des collectivités territoriales situées outre-mer, elles n’interviennent que dans le cadre fixé par la Constitution (en particulier dans ses articles 73 et 74) ou par la loi.
Au-delà, et hors le cas particulier de la Nouvelle-Calédonie*, la sécession d’un territoire de la République n’est concevable que dans le respect des règles rappelées par le Conseil constitutionnel. Dès lors, si l’autodétermination des territoires situés outre-mer est une application du principe de libre détermination des peuples, elle exige la consultation des populations locales non seulement à propos de leur volonté d’accéder à l’indépendance mais aussi de leur évolution statutaire au sein de la République. Par ailleurs, la sécession est strictement encadrée puisque c’est le Parlement qui fixe les termes de la question posée aux populations intéressées et qui en tire les conséquences, sans être lié par les résultats de la consultation. L’autodétermination n’aboutit pas nécessairement à l’indépendance et c’est toujours le Parlement français qui conserve le pouvoir d’autoriser la sécession.
Par Hubert Alcaraz
*Pour aller plus loin sur le sujet, retrouvez la note de Jean-Jacques Urvoas sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie