3 questions à Ferdinand Mélin-Soucramanien sur les enjeux du référendum en Nouvelle-Calédonie
Alors que le Premier Ministre, Edouard Philippe, a présenté devant le Congrès de Nouméa, mardi 5 décembre, sa « méthode » basée sur « le dialogue » pour préparer le référendum sur l’indépendance prévu l’année prochaine, Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit à l’Université de Bordeaux, décrypte le statut de la Nouvelle-Calédonie et les enjeux du référendum à venir.
« La France entretient avec un de ses territoires un rapport de type fédéral en reconnaissant l’existence d’une « petite nation » comprise dans la grande Nation. »
Quel est le statut actuel de la Nouvelle-Calédonie ?
La Nouvelle-Calédonie bénéficie d’un statut sui generis qui la distingue nettement des départements et régions d’outre-mer (D.R.O.M.), comme La Réunion par exemple, ou des collectivités d’outre-mer (C.O.M.), telles que la Polynésie française notamment. Ce statut original, qui confère à la Nouvelle-Calédonie la plus grande part d’autonomie au profit d’une collectivité infra-étatique comprise au sein de la République française, présente au moins deux particularités remarquables.
D’une part, il s’agit d’un statut constitutionnel. En effet, depuis l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998 et la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998, ce statut est prévu au titre XIII de la Constitution, intitulé : « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». Ce titre comprend les articles 76 et 77 qui eux-mêmes renvoient à l’Accord de Nouméa qui a ainsi été constitutionnalisé. Il en résulte notamment un découpage du pays en trois provinces et l’existence d’institutions locales s’apparentant à de véritables institutions nationales : un congrès, un gouvernement, un sénat coutumier et un conseil économique, social et environnemental. L’innovation la plus remarquable est assurément représentée par la reconnaissance au profit du congrès de la Nouvelle-Calédonie de la compétence de voter des lois de pays, véritables « lois locales », soumises au contrôle du Conseil constitutionnel comme les lois votées par le Parlement national. Ce pouvoir s’exerce dans les domaines des compétences transférées progressivement au profit de la Nouvelle-Calédonie depuis 1998. Il en résulte que, contrairement à une idée reçue, bien que de tradition jacobine et centralisatrice, la France entretient avec un de ses territoires un rapport de type fédéral en reconnaissant, par une « petite Constitution » enchâssée dans la Constitution nationale, l’existence d’une « petite nation » comprise dans la grande Nation.
D’autre part, il s’agit d’un statut transitoire. La lettre même de l’intitulé du titre XIII de la Constitution est claire à cet égard en évoquant des « dispositions transitoires ». D’ailleurs, il a été prévu en 1998 que l’Accord de Nouméa produirait des effets durant une période de « vingt années ». De plus, le Conseil constitutionnel en 1999 et la Cour européenne des droits de l’homme en 2005 dans l’arrêt Py contre France n’ont validé l’ensemble du processus original mis en œuvre par l’Accord de Nouméa, y compris l’atteinte au principe d’universalité du suffrage, que dans la mesure où celui-ci s’inscrit dans une logique dynamique d’auto-détermination, par nature transitoire, même si le terme de ce processus n’est pas clairement défini.
Pourquoi un référendum est-il organisé ?
Il faut commencer par rappeler que la Nouvelle-Calédonie a été inscrite par l’O.N.U. sur la liste des territoires à décoloniser depuis 1986. Aussi, l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998, qui est un accord politique sous-tendu par une logique de décolonisation, prévoit-il dans son préambule qu’un vote portant sur le transfert des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité sera proposé aux populations intéressées : « Au terme d’une période de vingt années ».
Cet engagement créé par l’Accord de Nouméa a été précisé par l’article 217 de la loi organique de 1999. Il en résulte que, depuis mai 2014, il appartient au congrès de Nouvelle-Calédonie de prendre l’initiative de l’organisation de la consultation jusqu’à l’expiration de l’avant-dernière année de ce mandat, soit en mai 2018. Il s’agit pour le congrès d’une faculté. En cas de carence du congrès constatée à cette date, il est prévu que le Gouvernement de la République doive organiser la consultation à une date antérieure au début de la période de six mois précédant l’expiration du mandat du congrès, soit novembre 2018.
Aujourd’hui, à moins d’un an de cette échéance cruciale pour la Nouvelle-Calédonie et la République française, deux hypothèses sont donc encore envisageables. La première, de loin la plus conforme selon nous à l’esprit de l’Accord de Nouméa, serait que le congrès parvienne à dégager en son sein une majorité des trois cinquièmes afin de décider avant mai 2018 de l’organisation du référendum au plus tard en novembre 2018. La seconde serait que le Gouvernement de la République, confronté à une absence de consensus local, se trouve dans l’obligation d’organiser ce référendum à compter de mai 2018 mais toujours au plus tard en novembre de la même année.
Quelles seront les conséquences du vote ?
On peut se livrer ici qu’à des conjectures forcément hasardeuses puisque, en toute hypothèse, tout dépendra du contexte politique au lendemain du référendum. La seule chose certaine est que, quelque soit l’issue du vote, beaucoup restera encore à imaginer et à construire sur le plan juridique.
Si le oui l’emportait, la Nouvelle-Calédonie deviendrait par hypothèse pleinement souveraine. Elle aurait alors le choix de rompre complètement tout lien avec la France, ce qui demeure possible conceptuellement, mais assez peu envisageable en pratique compte tenu de la densité des liens, en particulier humains, tissés depuis 1853 entre ce territoire et la République française. De manière plus réaliste, la Nouvelle-Calédonie aurait aussi le choix de redéfinir souverainement, donc à égalité avec elle, son rapport avec la République française, par exemple dans un accord de partenariat dont le contenu devrait alors être précisé. Ce partenariat pourrait être conclu pour une durée limitée ou pour une durée indéfinie.
Si le non l’emportait, là aussi plusieurs solutions seraient envisageables : celle du statu quo jusqu’à ce que les calédoniens parviennent à trouver un accord sur leur avenir politique, confirmant la nature transitoire de l’accord de Nouméa ; la pérennisation du statut actuel en procédant à une modification de la Constitution permettant de gommer son caractère transitoire ; ou, encore, le renforcement de l’autonomie grâce à l’adoption d’un nouveau statut ce qui nécessiterait une révision constitutionnelle. Il faut souligner également que dans l’hypothèse d’une réponse négative à la consultation devant être organisée en 2018, l’Accord de Nouméa et la loi organique ont prévu que le congrès pourrait, à la demande du tiers de ses membres, provoquer l’organisation d’une deuxième, puis d’une troisième, consultation portant sur la même question que celle posée lors du premier référendum. Ce mécanisme est original, mais en même temps, on perçoit aisément qu’il pourrait se transformer en machine infernale.
Aussi, est-il essentiel que, comme il le fait actuellement, l’Etat continue de déployer des moyens importants afin que, non seulement, les conditions d’organisation du référendum de 2018 ne puissent encourir aucun reproche, mais aussi que le fil du dialogue et de la négociation ne soit jamais rompu. A ce prix, il serait permis d’espérer que la Nouvelle-Calédonie demeure sur la voie pacifique dans laquelle elle s’est heureusement engagée depuis près de vingt ans et que l’idéal du « destin commun » soit enfin atteint.
Par Ferdinand Mélin-Soucramanien
Retrouvez également la Note rédigée par Jean-Jacques Urvoas, ancien Garde des Sceaux et ancien Président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale et publiée par le Club des juristes concernant l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie