Les affaires Sarkozy à l’épreuve de la justice européenne 4/4
L’ancien président Nicolas Sarkozy fait l’objet de trois affaires pénales. Deux d’entre elles ont donné lieu à des condamnations définitives : l’affaire dite des écoutes téléphoniques pour laquelle la Chambre criminelle a rendu un arrêt de rejet le 18 décembre 2024, et celle des dépenses excessives de campagnes en 2012 révélées par l’affaire Bygmalion pour laquelle le pourvoi formé par Nicolas Sarkozy a été rejeté le 26 novembre 2025. La troisième affaire, celle du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, est toujours en cours puisque l’appel aura lieu à compter du 16 mars 2026. Retrouvez le dernier épisode de la série du Club des juristes : Nicolas Sarkozy, le droit et la justice.
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Par Charlotte Dubois, Professeur en droit privé à l’Université Paris-Panthéon-Assas
La Cour européenne pourrait-elle être saisie dans ces différentes affaires ?
Pour mémoire, c’est en 1981 qu’a été introduit le recours individuel devant la Cour européenne. Ce recours a considérablement renforcé l’importance de la Cour de Strasbourg en permettant à un simple justiciable de la saisir. Des conditions procédurales sont posées : d’une part, l’épuisement des voies de recours internes ; d’autre part, la saisine doit être rapide puisqu’elle doit intervenir dans les quatre mois de la décision nationale définitive.
Sur les trois affaires que nous avons rappelées, un tel recours est donc naturellement exclu pour la dernière d’entre elles. Le caractère subsidiaire du recours devant la Cour européenne l’empêche de se prononcer tant que les juridictions nationales n’ont pas dit leur dernier mot. Relativement à l’affaires des écoutes téléphoniques en revanche, l’avocat de Nicolas Sarkozy a déposé un recours devant la Cour européenne le 20 mars 2025. La Cour européenne devra ainsi statuer sur la conformité de la décision française aux droits fondamentaux qu’elle protège ; en l’occurrence, c’est la légalité des écoutes téléphoniques présentées à titre probatoire qui est contestée.
Enfin, concernant l’affaire la plus récente, dite affaire Bygmalion, Nicolas Sarkozy « songe, avec ses avocats, à porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme ». L’arrêt ayant été rendu le 26 novembre dernier, il a jusqu’au 26 mars 2026 pour déposer un éventuel recours.
Sur quels fondements la Cour européenne pourrait-elle prononcer une condamnation ?
La Cour européenne apprécie si le droit interne, en l’occurrence le droit français, a violé un droit fondamental protégé par la Convention ou par ses protocoles additionnels. Ainsi, dans l’affaire dites des écoutes téléphoniques, on peut penser que seront au cœur de la décision deux articles essentiels de la Convention : l’article 6 garantissant le droit à un procès équitable et l’article 8 relatif à la protection du droit au respect de la vie privée. Dans l’affaire du financement libyen, on ignore pour l’heure quel droit fondamental pourrait être invoqué au soutien d’un éventuel recours, peut-être l’article 6 de la Convention.
Mais attention, le rôle dévolu à la Cour européenne reste limité. En tout état de cause, les décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme n’ont pas pour effet d’infirmer ou de substituer celles adoptées par les juridictions nationales, qu’il s’agisse du domaine civil ou pénal. La CEDH n’a notamment pas le pouvoir de créer un lien de parenté, de bouleverser une succession, ni de trancher la question de la responsabilité pénale d’un individu. De même, elle ne peut ni réécrire ni supprimer une norme interne, ni encore imposer à un État membre de modifier son arsenal législatif. Lui reconnaître de telles prérogatives reviendrait à porter atteinte à l’autonomie des États et à faire de cette juridiction européenne un nouveau degré de juridiction, ce qu’elle n’est pas.
La compétence de la Cour se limite principalement à l’octroi d’une « satisfaction équitable », c’est-à-dire une indemnité financière mise à la charge de l’État fautif pour réparer l’atteinte portée aux droits garantis par la Convention. Ainsi, si la CEDH estime, dans l’une des affaires concernant Nicolas Sarkozy, que l’un des arrêts de condamnation a méconnu ses droits fondamentaux, il pourrait obtenir que la France soit condamnée à lui verser une compensation pécuniaire.
Quelles sont les conséquences internes d’une éventuelle condamnation par la Cour européenne ?
Depuis une réforme de 2000, une condamnation par la Cour européenne ouvre la possibilité au justiciable de demander le réexamen de son affaire par les juridictions nationales. Des conditions sont posées, tant substantielles (la violation doit avoir entraîné des conséquences dommageables qui n’ont pas pu être réparées par la satisfaction équitable accordée), que temporelles (la demande de réexamen doit être formulée dans un délai d’un an à compter de la décision rendu par la Cour européenne). La Cour de cassation réunie en qualité de « cour de révision et de réexamen » rejette la demande ou annule la condamnation par une décision insusceptible de recours.
Toutefois, dans les deux affaires en cause dans lesquelles la Cour européenne sera ou pourra être amenée à se prononcer, cette possibilité de réexamen ne remettra pas en cause la peine prononcée. Et pour cause : la peine est immédiatement exécutoire de sorte que Nicolas Sarkozy a d’ores et déjà cessé de porter son bracelet électronique dans la première affaire et que sa peine sera achevée dans l’affaire Bygmalion au jour où la Cour européenne statuera, à la supposer saisie. Si la pleine exécution de la peine prononcée n’est pas de nature à conduire au rejet de la demande de réexamen, elle en amoindrit indéniablement la portée. Restent des intérêts multiples à une telle décision comme l’effacement du casier judiciaire (article 624-7 al. 6 c. proc. pén.). Nicolas Sarkozy pourrait également, en cas d’annulation de sa condamnation, demander la réparation intégrale du préjudice que cette condamnation lui a causé.