Par Charlotte Dubois, Professeur en droit privé à l’Université Paris-Panthéon-Assas

Comment se sont récemment manifestées les atteintes au patrimoine culturel français ?

Il semble possible de distinguer plusieurs profils de délinquants, ceux qui relèvent du banditisme et ceux qui agissent par militantisme. Les premiers relèvent tantôt de la criminalité organisée, tantôt du banditisme de moindre envergure. Le butin peut être colossal : les joyaux de la couronne dérobés au Louvre, outre leur valeur historique inestimable, sont évalués à 88 millions d’euros. Parfois, les aspirations des voleurs sont beaucoup plus modestes, quoique le préjudice au patrimoine national puisse être considérable. On pense à cet égard à la cloche du Beffroi de Bouc-bel-Air, œuvre de 1763, dérobée en septembre dernier. La cloche a été fondue et revendue au prix du métal, soit 1500 euros : un piètre butin mis en perspective avec l’importance du dommage culturel.

À côté du banditisme et répondant à des aspirations non plus vénales mais idéologiques, les militants écologiques prennent pour cibles les œuvres culturelles. La faiblesse de la réponse judiciaire, tant sur le terrain pénal que sur celui de la responsabilité civile, explique que les musées nationaux soient devenus le terrain d’action privilégié de ceux qui souhaitent alerter sur le réchauffement climatique. En janvier 2024, la Joconde a été visée par un jet de soupe ; en février 2024, c’est le tableau de Monet Le Printemps qui a été pris pour cible ; en juin 2024, un autocollant rouge a été apposé sur Les Coquelicots du même peintre.

Comment le droit pénal intègre-t-il la dimension culturelle de l’infraction ?

Sur le terrain procédural, le Code du patrimoine permet, sous certaines conditions, aux associations de défense du patrimoine culturel de se constituer partie civile (art. L.114-6 C. du patrimoine). En droit pénal de fond, le même code prévoit des infractions spécifiques, notamment d’exportation et d’importation de biens culturels (art. L.114-1 C. du patrimoine) et renvoie sinon au droit commun (art. L.114-2 C. du patrimoine). Des dispositions du code pénal intègrent la dimension culturelle du bien auquel il est porté atteinte. À titre d’exemple, l’article 322-1 du Code pénal sanctionne « la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui » d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende (réserve étant faite du « dommage léger »). La peine est portée à sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende lorsque les faits sont commis sur « un bien culturel qui relève du domaine public mobilier ou qui est exposé, conservé ou déposé, même de façon temporaire, soit dans un musée de France, une bibliothèque, une médiathèque ou un service d’archives, soit dans un lieu dépendant d’une personne publique ou d’une personne privée assurant une mission d’intérêt général, soit dans un édifice affecté au culte » (art. 322-3-1 c. pén.). Le vol connaît une circonstance aggravante lorsque la soustraction porte sur les mêmes biens culturels, la peine étant alors de 7 ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende (art. 311-4-2, 3°) contre trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende pour le vol simple. Les peines peuvent être portées à la moitié de la valeur du bien volé ce qui s’avère délicat à chiffrer (la valeur doit-elle s’apprécier au regard de son importance culturelle ou de sa valeur marchande laquelle, à l’instar de celle de la cloche du Beffroi de Bouc-bel-Air, peut s’avérer modique ?).

Mais en réalité, cette circonstance se trouve rapidement neutralisée parmi d’autres circonstances aggravantes, la loi ne permettant pas une prise en compte de l’aggravation liée à la nature culturelle du bien lorsque le vol répond à une qualification criminelle. Ainsi, si l’on raisonne sur le braquage du Louvre, le vol était commis en bande organisée et, qui plus est, avec l’usage d’une arme par destination (les disqueuses utilisées pour pénétrer dans le bâtiment). Ces circonstances font, à elles seules et individuellement, basculer les faits sous une qualification criminelle. En somme, la peine encourue n’aurait pas été supérieure si le même commando, procédant exactement de la même façon, avait dévalisé un concessionnaire automobile plutôt que le plus grand musée du monde. L’aggravation liée au caractère culturel du bien n’a donc d’effet que pour les vols simples ou peu graves.

Le constat est encore plus décevant du côté des actions militantes portées contre des œuvres d’art. Les lacunes ne sont alors plus dans la loi mais dans les prétoires. De fait, les œuvres d’art étant le plus souvent protégées par des vitres, les juges peuvent considérer que l’absence de dommage (étant entendu au sens de dommage purement matériel) justifie de prononcer la relaxe. Ce fut le raisonnement mené par les magistrats en juin 2024 dans l’affaire du Printemps de Monet, avant que la Cour d’appel de Lyon ne prononce une condamnation pour dégradation légère dans une décision du 14 janvier 2025. Surtout, les juges sont alors souvent tentés d’écarter le jeu de l’infraction au nom de la liberté d’expression du délinquant. Cette jurisprudence, insufflée par la Cour européenne (CEDH), peut conduire à des relaxes lorsque le message porté par l’auteur s’inscrit dans un débat d’intérêt général, à l’instar du réchauffement climatique. Ainsi, la 17e chambre correctionnelle de Paris a relaxé le 21 janvier 2025 la militante qui s’en était prise aux Coquelicots au terme d’un contrôle de proportionnalité mené sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne.

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Qu’en est-il de la responsabilité civile ?

La responsabilité civile est guidée par un principe de réparation intégrale : le montant des dommages et intérêts est calculé en fonction du préjudice subi par la victime. Dès lors, la résonance culturelle du préjudice est totalement indifférente à l’évaluation du montant des dommages et intérêts. Par exemple, en 2019, un gilet jaune s’en était violemment pris à la stèle du maréchal Juin. Le tribunal de grande instance de Paris l’a condamné à 72.579 euros, ce qui correspond au montant des devis présentés par la Mairie pour la restauration. En somme, s’en prendre à la mémoire de l’une des figures militaires françaises de la victoire des Alliés n’expose son auteur qu’à la réparation des dégâts matériels, donc à ni plus ni moins que s’il s’en était pris à la devanture d’un magasin ou à un abribus. L’un des remèdes à cet état du droit décevant serait la reconnaissance d’un nouveau préjudice, indépendant des atteintes pécuniaires personnellement subies. Mériterait d’être reconnu un dommage culturel sur le modèle du préjudice écologique qui a fait son entrée dans le code civil en 2016 (en ce sens, « Faut-il consacrer le dommage culturel en matière de responsabilité civile ? », J.-S. Borghetti et Ch. Dubois, Rev. dr. d’Assas, 2022, n° 23, p. 126). Un tel préjudice, qui prendrait en considération le dommage moral collectif et transgénérationnel subi du fait de l’atteinte, permettrait d’assurer une réparation plus juste de ces atteintes au patrimoine culturel français. Comme pour le préjudice environnemental, les difficultés d’évaluation d’un préjudice culturel pourraient, à n’en point douter, être surmontées. Puisse le législateur le consacrer !