Violences conjugales : l’ordonnance de protection provisoire, vraie ou fausse bonne idée ?
L’ordonnance de protection a été mise en place par la loi du loi du 9 juillet 2010 pour protéger les personnes victimes de violences conjugales et les enfants du couple en organisant au plus vite le sort des enfants, la séparation et l'éloignement des membres du couple, donc la mise à l'abri des victimes. Ce dispositif civil relevant de la compétence du juge aux affaires familiales vient de connaitre une nouvelle évolution le 5 juin 2024 avec l’adoption définitive de la loi créant une ordonnance provisoire pour protéger encore plus rapidement les victimes.
Par Catherine Tirvaudey, Professeure de droit privé à l’Université de Franche-Comté et Membre du CRJFC
Fallait-il augmenter la durée de l’ordonnance de protection ?
A ses débuts, l’ordonnance de protection a peiné à s’inscrire dans le paysage juridique français : 54 ordonnances en 2010 contre 5792 en 2022. La faiblesse du recours au dispositif explique que l’ordonnance de protection a déjà été plusieurs fois réformée. La loi du 28 décembre 2019 a imposé au juge aux affaires familiales (JAF) un délai maximal de 6 jours à compter de la fixation de la date de l’audience pour rendre sa décision sur une demande d’ordonnance de protection (auparavant, 42 jours en moyenne). Elle a encore supprimé la condition d’un dépôt de plainte. La loi du 30 juillet 2020, pour sa part, a prévu que la jouissance du logement conjugal doit être attribuée au membre du couple qui n’est pas l’auteur des violences et que le JAF informe sans délai le procureur de la République de la délivrance de l’ordonnance de protection.
La proposition de loi adoptée récemment modifie l’article 515-12 du Code civil en augmentant la durée de la protection initiale de 6 à 12 mois. Cette augmentation doit être approuvée en cela qu’elle évite à la victime une demande de renouvellement, souvent indispensable auparavant. Le conseil national des barreaux (CNB) est favorable à cette disposition qui doit être approuvée, les 6 mois initialement prévus pouvant souvent se révéler insuffisants pour que la victime s’organise autrement que dans l’urgence. On peut toutefois regretter que le législateur n’ait pas prévu d’information du parquet de la fin de l’ordonnance de protection, alors même que les peines prévues par la proposition de loi définitivement adoptée en cas de violation sont relativement sévères et renforcées par rapport au droit positif : 3 ans de prison et 45.000 euros d’amende contre 2 ans de prison et 15.000 euros d’amende aujourd’hui (C.P. art. 227- 4-2). Ces peines s’appliquent de la même manière à la violation d’une ordonnance de protection provisoire.
La création d’une ordonnance de protection provisoire est-elle un réel progrès pour les victimes ?
La proposition de loi crée, à l’article 515-13-1 du Code civil, une ordonnance provisoire de protection immédiate, puisque la personne en danger peut, sur avis conforme du ministère public qui se prononce dans un délai de 24h, demander également une ordonnance provisoire de protection immédiate. Une telle ordonnance peut aussi être demandée, avec l’accord de la personne en danger, par le ministère public. Cette ordonnance provisoire protégera les personnes en danger durant le délai de 6 jours nécessaire au JAF pour se prononcer sur la demande d’ordonnance de protection. L’ordonnance sera délivrée par le juge sous 24 heures, en cas de danger grave et immédiat auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés, alors que l’ordonnance « classique » sera accordée « lorsque que la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés à la situation de danger mentionnée à l’article 515-9, au regard de la vraisemblance de la commission des faits de violence allégués ». Il parait évident qu’une ordonnance provisoire sera toujours suivie du prononcé d’une ordonnance de protection, sauf à ce que la victime se désiste de sa requête. Par l’ordonnance provisoire, le JAF peut prononcer plusieurs interdictions : d’entrer en contact avec la ou les victimes, de paraître dans certains lieux (domicile, lieu de travail de la victime…) et de détenir une arme dont il peut exiger qu’elle soit remise aux forces de l’ordre. Il peut aussi suspendre le droit de visite et d’hébergement. Le juge peut encore autoriser la victime à dissimuler son adresse. Une telle célérité, au maximum 48h, 24 h pour l’avis du parquet et 24h pour le prononcé de la décision par le JAF pour mettre en place une protection efficace de la victime, est une avancée indéniable, un réel progrès pour les victimes et, en apparence, des plus séduisantes. Pour autant, on peut craindre que l’apparence ne soit qu’illusion face aux difficultés pratiques.
L’ordonnance de protection provisoire est-elle un dispositif réaliste ?
La principale difficulté à prévoir tient évidemment au délai du prononcé de l’ordonnance provisoire. Elle exige, soit la saisine du JAF par le parquet, soit son avis conforme, lequel doit être rendu en 24h – ce qui ne sera pas toujours possible compte tenu des réalités pratiques d’organisation et de fonctionnement des juridictions. On voit mal comment le parquet, dans un délai aussi réduit, pourrait fournir un avis motivé pourtant plus qu’utile au JAF. De la même manière, la réponse en 24h du JAF risque de se heurter aux mêmes obstacles, tant il est déjà parfois complexe aujourd’hui de tenir le délai de 6 jours. Nul doute qu’il faudra que les juridictions retravaillent avec leurs partenaires les protocoles de mise en œuvre de l’ordonnance de protection à la lumière de cette nouvelle célérité pour en assurer l’effectivité, notamment avec les commissaires de justice pour assurer la signification en urgence de ces ordonnances provisoires.
Au-delà, on ne peut ignorer que, dans l’ordonnance « classique », les droits du défendeur sont parfois malmenés. Il n’est pas rare que l’audience précédant le prononcé ou le rejet de l’ordonnance se tienne en son absence s’il n’a pas été touché par une signification à personne l’informant de la date. Ses droits seront encore plus malmenés ici où l’ordonnance est rendue sans contradictoire. Enfin, le délai de 24h ne doit pas faire oublier que, s’agissant d’un dispositif civil, la charge de la preuve pèse sur le demandeur. Ce qui lui impose, avec son conseil, un long et fastidieux travail de compilation rigoureuse des éléments justifiant le prononcé d’une ordonnance de protection : copie des plaintes, collecte des certificats médicaux, attestations de témoins…. Cela ne changera pas avec l’ordonnance provisoire ! L’effectivité de la protection des victimes de violence passera aussi par un plus grand déploiement des téléphones grand danger (TGD) et des bracelets anti-rapprochement (BAR). L’objet, peut-être, d’une prochaine réforme…