Un gynécologue peut-il légalement refuser l’examen d’une femme transgenre ?
Par Caroline Lantero, Maître de conférences HDR en droit public à l’UCA, UPR4232
Un gynécologue a refusé durant le mois d’août de pratiquer un examen sur sa patiente, jeune femme transgenre. Celle-ci entend alors dénoncer la transphobie derrière ce refus de soin tandis que le médecin souhaite saisir la justice pour agression verbale et diffamation. Quelle est la position du droit ?
Un gynécologue peut-il légalement refuser de prendre en charge une femme transgenre ?
Les refus de soins autorisés par la loi ne concernent que les clauses de conscience, qu’un praticien peut activer vis-à-vis des interruptions volontaires de grossesse (Art. L2212-8 du code de la santé publique), des stérilisations (art. L2123-1) et des recherches sur l’embryon (Art. L2151-10).
Pour autant, le code de déontologie réserve la possibilité plus générale de refuser de prendre en charge un patient, ou de refuser de continuer à le prendre en charge. Ainsi, un gynécologue, à l’instar de tout médecin, et même de tout professionnel de santé, peut refuser de soigner un patient « pour des raisons professionnelles ou personnelles » (art. R4127-47). Ses seules obligations sont évidemment d’informer le patient de cette impossibilité, et de s’assurer de la continuité des soins, en l’orientant par exemple vers un ou plusieurs confrères susceptibles de le prendre en charge. Le professionnel de santé n’est pas tenu de justifier des motifs d’un tel refus. En pratique, il surgit parfois en cours de relation de soin, en raison d’une perte de confiance dans cette relation. Lorsque ce refus est initial, il peut s’agir d’absence de créneau disponible (Ch. disc. nationale de l’Ordre des médecins, 7 oct. 2021, n° 14599), de problème de capacité d’accueil, voire de problème d’accessibilité, ce qui va conduire un professionnel de santé à refuser d’accueillir une personne handicapée, sans que cela ne soit un refus de soins discriminatoire en raison du handicap (CDNOM 3 fév. 2022, n° 14429). Il peut enfin s’agir d’un problème de compétence. En somme, un refus de soin qui n’est pas discriminatoire est autorisé.
Qu’est-ce qu’un refus de soin discriminatoire ?
La définition amorcée dans la loi (L1110-3) a été précisée par décret en 2020 et inscrite à l’article R1110-8 du code de la santé publique. Il s’agit de toute pratique refusant, empêchant ou dissuadant d’accéder au professionnel de santé, et qui est fondée sur un motif discriminatoire. Ces motifs sont notamment liés à la vulnérabilité économique du patient (visible lorsqu’il est bénéficiaire d’une complémentaire santé solidaire ou de l’aide médicale d’État), et tous ceux qui sont énumérés par le Code pénal (articles 225-1 et 225-1-1), au sein desquels l’identité de genre.
Si ce refus est fondé sur la transidentité, ne s’agit-il pas d’un refus de soins discriminatoire ?
Pour un gynécologue, pas forcément. Il est précisément tenu à des obligations de compétence, qui peuvent lui manquer pour la prise en charge de patientes transgenres. Les règles déontologiques interdisent toujours au médecin d’intervenir dans des « domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose » (art. R4127-70). Un gynécologue qui expliquerait que son refus est fondé sur la transidentité de la patiente ne s’inscrirait donc pas nécessairement en violation de ses obligations légales et déontologiques. Même chose pour un urologue qui refuserait de prendre en charge un patient transgenre. La connaissance, par ces spécialistes, de l’appareil génital féminin ou masculin, des fonctions sexuelles et des fonctions reproductives, n’implique pas nécessairement une compétence pour les corps en transition, ou après transition.
En revanche, tout professionnel de santé qui refuserait de prendre en charge un patient en raison de sa transidentité, alors même que la situation médicale est sans lien avec celle-ci, s’expose à ce que ce refus soit qualifié de discriminatoire. De même, un gynécologue qui exprimerait une franche hostilité à l’égard d’une patiente en raison de sa transidentité s’inscrirait dans une attitude discriminatoire proscrite. Le fait, pour un gynécologue, de refuser une consultation sans s’interroger sur la raison de la demande de rendez-vous pourrait également être qualifié de refus discriminatoire (un problème mammaire, par exemple, est le même pour une femme cis ou une femme trans).
La médecine doit-elle faire sa transition ?
On imagine mal une obligation de se former aux corps trans dans le contexte d’une pénurie généralisée de gynécologues, où les refus de soins sont avant tout fondés sur l’absence de créneau. Mais on peut le recommander. Il convient de noter que les parcours de transition sont pris en charge depuis peu de temps, et que de nombreux gynécologues accueillent évidemment des patientes transgenres. Des difficultés sont encore à résorber. Par exemple, le changement de numéro NIR par la sécurité sociale est dépendant de l’état civil, et les numéros commençant par un 1 posent encore des difficultés pour le remboursement des actes. Par exemple, et alors que la chose est admise pour les gynécologiques, les sages-femmes ont toujours interdiction de prendre en charge des « 1 ». Une réflexion est clairement à l’œuvre pour acculturer le monde médical (v. Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans, janv. 2022), et des recommandations de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé sont attendues à l’automne 2023.