Par Antoine Touzain, Professeur agrégé à l’université de Rouen Normandie, CUREJ, UR 4703

Les dommages causés par les tempêtes sont-ils assurés ?

De tels dommages peuvent effectivement être assurés, en application de deux dispositifs distincts.

Il peut s’agir d’une couverture privée : c’est la garantie TOC (tempête-ouragan-cyclone), qui couvre les dommages causés par le vent excédant une certaine puissance (en général 100 km/h). L’indemnisation dépendra alors du contrat, les sinistres étant envisagés au cas par cas. Cette garantie n’est toutefois pas obligatoire et doit avoir été souscrite : elle peut être prévue dans l’assurance habitation pour les immeubles, dans les assurances dommages pour les véhicules (la souscription d’une garantie responsabilité civile ne suffisant pas), ou encore dans les contrats garantissant les pertes d’exploitation pour les fonds de commerce.

En revanche, lorsque l’agent naturel a été d’une « intensité anormale », donc d’une puissance telle qu’il est techniquement non assurable (car le risque est trop important pour être économiquement supportable par l’assureur), il faut se tourner vers le régime « CatNat », donc la garantie contre les catastrophes naturelles, prévue en droit français depuis la loi n° 82-600 du 13 juill. 1982 (sauf pour les calamités agricoles, qui fait l’objet d’un texte spécial, désormais issu de la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022). Par exemple, les victimes de sinistres consécutifs à des inondations ou des coulées de boue pourraient prétendre à l’application de ce régime.

Le régime CatNat est assez particulier. Il s’agit d’une extension de garantie obligatoire, adossée aux contrats-socles (assurances habitations, pertes d’exploitations, dommages aux véhicules…), la souscription de ces derniers entraînant automatiquement le bénéfice du régime. Néanmoins, la mise en œuvre de la garantie suppose que l’état de catastrophe naturelle est soit reconnu par arrêté interministériel : cela suppose évidemment une analyse circonstanciée, qui peut conduire à reconnaître la catastrophe sur certains territoires et non sur d’autres, ce dont témoigne l’arrêté pris le 14 novembre 2023 (JORF n° 0264).

Quelle est la procédure d’indemnisation ?

Tout dépend évidemment de si c’est l’assurance ou la solidarité nationale qui joue. 

Dans le premier cas, le contenu de la garantie dépendra de la formulation du contrat. En principe, la déclaration de sinistre doit être faite dès que l’assuré en a connaissance, et dans un délai maximal de cinq jours ; néanmoins, les assureurs ont annoncé – comme c’est fréquemment le cas en présence de sinistres de grande ampleur – que le délai était étendu à un mois (à la fois pour permettre à chacun de se rendre sur place, s’il n’y était déjà, et pour éviter que les assureurs soient inondés de dossiers). L’assureur nommera alors un expert pour évaluer les dommages et fixer le montant de l’indemnité, même si les assureurs ont indiqué, dans une optique de célérité, se contenter, quand cela est possible, des photos pour accélérer l’évaluation.

Pour les sinistres qualifiés de catastrophe naturelle, le rythme de la procédure est fixé par la loi n° 2021-1837 du 28 déc. 2021, qui a modernisé le régime CatNat : l’assuré doit déclarer le sinistre dès qu’il en a connaissance et au plus tard dans les trente jours suivant la publication de l’arrêté interministériel ; puis l’assureur devra procéder à l’expertise dans le mois suivant la déclaration, avant de proposer une indemnité ; dans les 21 jours de l’acceptation de celle-ci, il devra la verser. 

Le droit français est-il adapté à la multiplication des catastrophes naturelles en raison du dérèglement climatique ?

La multiplication des catastrophes naturelles est une réalité statistique : il y a, en moyenne, une catastrophe naturelle par jour dans le monde, et la tendance pourrait monter être à une augmentation à 1,5 par jour d’ici à 2030. Et les chiffres sont inquiétants : l’ouragan Andrew de 1992 a généré plus de 32 milliards de dollars de dégâts ; le tsunami japonais de 2011 a occasionné des sinistres dépassant les 200 milliards… même à l’échelle nationale, les intempéries de mai-juin 2022 ont occasionné plus d’un milliard d’euros d’indemnisation. C’est donc une réelle préoccupation pour les assureurs : à l’instar d’autres risques (cyber, pandémique), les risques environnementaux tendent à devenir systémiques. Or, un risque systémique, parce qu’il touche une part importante de la mutualité en même temps, n’est pas susceptible d’être dispersé, donc d’être dilué entre les assurés. On peut donc craindre qu’il ne soit pas assurable. C’est la raison pour laquelle le législateur, accompagné par les assureurs, tend à repenser notre dispositif législatif.

On songe à la loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021, déjà évoquée, dont l’objet était d’adapter et de moderniser notre régime CatNat : élargissement du domaine des frais pris en charge (dépenses de relogement d’urgence pour une durée de six mois ; prise en charge des frais obligatoires ou nécessaires d’architecte et de maîtrise d’œuvre pour la remise en état des constructions, en présence d’un mouvement sismique ou de glissement de terrain résultant d’une sécheresse et d’une réhydratation des sols) ; réforme du processus d’indemnisation pour le rythmer ; modification du mécanisme de modulation de la franchise, pour ne plus faire peser sur les assurés (sauf les collectivités) les conséquences de la multiplication des catastrophes naturelles ; appréhension spécifique du risque de « retrait-gonflement des argiles », donc de glissement de terrain, avec une extension du délai de prescription de deux à cinq ans, etc.

On peut également penser à la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 qui, en matière de calamités agricoles, a transformé le dispositif en prévoyant non plus une alternative entre solidarité nationale et assurance privée, mais une complémentarité : en cas de sinistre de faible intensité, l’assuré supporte la totalité (c’est une franchise obligatoire) ; en cas de sinistre de moyenne intensité, l’assuré supporte jusqu’à un certain seuil, puis l’assureur intervient ; en cas de sinistre de très haute intensité, l’assuré supporte jusqu’au même seuil, puis l’assureur jusqu’à un certain plafond, le surplus étant pris en charge par l’État. L’objectif est alors de circonscrire le coût pour les assureurs, de manière à maintenir l’assurabilité des risques naturels. Mais bien évidemment, ces mesures de réparation ne sauraient suffire et il faut aussi réfléchir en termes d’atténuation des risques climatiques, ce qui doit se faire de manière générale.