Par Margot Musson, Docteure en droit et ATER à l’Université Jean Moulin Lyon III

Quel est le contexte de l’affaire ?

En 2021, les associations e-Enfance et La Voix de l’enfant ont saisi la justice afin qu’elle contraigne plusieurs fournisseurs d’accès à Internet à bloquer l’accès à des sites pornographiques ne contrôlant l’âge de leurs utilisateurs que par une simple déclaration de majorité. Refusée par les juges du fond qui ont été sanctionnés par la Cour de cassation, la demande a de nouveau été portée devant la cour d’appel de Paris qui, cette fois, a donné raison aux associations. En effet, depuis la loi du 30 juillet 2020, les sites pornographiques ne peuvent plus se contenter d’une simple déclaration de majorité : un mécanisme plus sûr, pour prévenir l’accès des mineurs à la pornographie en ligne, doit être mis en place. À défaut, ils commettent une infraction pénale et encourent 75 000€ d’amende.

Pourquoi cette obligation des sites pornographiques ?

L’obligation des sites pornographiques de mieux contrôler l’identité de leurs utilisateurs fait suite au constat d’une fréquentation massive par les mineurs de contenus pornographiques. Une étude de l’Arcom de 2023 est alarmante : 28 % des moins de 18 ans sont concernés, c’est-à-dire 2,2 millions de mineurs qui sont très majoritairement des hommes. La simple déclaration de majorité est largement inefficace : il suffit de mentir en confirmant avoir plus de 18 ans. Cela explique le changement opéré par le législateur qui impose qu’une solution plus fiable soit mise en œuvre.

Quelles sont les solutions envisageables pour un contrôle efficace de l’accès à ces sites ?

Plusieurs dispositifs sont envisageables pour vérifier la majorité de l’utilisateur d’un site pornographique : la transmission d’un document d’identité, le renseignement de données bancaires, la transmission d’une identification électronique opérée par un tiers de confiance, etc. Toutefois, la difficulté réside dans le fait que ces mécanismes portent atteinte au droit à la protection de la vie privée et des données personnelles. L’identité de chaque consommateur de contenus pornographiques sera en effet connue des sites et d’un éventuel tiers de confiance, avec au surplus le risque d’une fuite de données partagées sur les réseaux sociaux. Une balance doit donc être opérée avec l’intérêt supérieur de l’enfant à être protégé contre ce type de contenus dont la cour d’appel rappelle qu’ils sont « susceptibles de mettre en péril leur construction intime, de contribuer à des phénomènes addictifs et de favoriser la diffusion d’une image inexacte et dégradée de la sexualité ». Elle rappelle d’ailleurs que cet intérêt doit être une considération essentielle, conformément à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, et doit être privilégiée aux intérêts des consommateurs majeurs.

Une solution partielle a finalement été trouvée, puisque l’Arcom a adopté le 9 octobre 2024 un référentiel qui détermine les exigences techniques minimales que doivent respecter les dispositifs de vérification de l’âge. Il tient compte des différents intérêts en présence et les sites doivent s’y conformer dans un délai de 3 mois. Le choix du dispositif leur est laissé, mais ils doivent privilégier les solutions les plus protectrices des enfants. En attendant de trouver la plus satisfaisante, ils sont temporairement autorisés à vérifier l’âge grâce à l’utilisation de la carte bancaire : l’objectif est qu’une première mesure soit rapidement mise en place, mais des exigences sont posées (authentification forte) pour que ce dispositif soit réellement efficace et protecteur des adultes.

Pourquoi seuls certains sites pornographiques risquent-ils un blocage ?

Plusieurs sites pornographiques parmi les plus fréquemment consultés, tels que Pornhub ou Youporn, ne tombent pas sous le coup de la menace d’un blocage par les fournisseurs d’accès à Internet. L’explication réside dans l’attente de la réponse à la question de l’incompatibilité du droit français avec le droit de l’Union européenne soulevée par les éditeurs tchèques de ces sites : établis dans un autre État membre de l’Union, ils estiment ne pouvoir être soumis à la loi française. En effet, conformément à la directive européenne du 8 juin 2000 relative au commerce électronique, un service numérique établi dans un État membre de l’Union est soumis – s’agissant de l’accès et de l’exercice de ses services – au droit de cet État. La Cour de justice de l’Union européenne en a déduit qu’un autre État membre ne peut lui imposer des règles supplémentaires à celles établies dans la directive qui ont vocation à coordonner le droit des différents États membres. En d’autres termes, le législateur français aurait outrepassé ses pouvoirs en régissant l’accès aux sites pornographiques. Seuls sont concernés les éditeurs de ces sites établis dans un État membre ; or, les sites menacés d’un blocage par la décision de la cour d’appel du 17 octobre sont établis en-dehors de l’Union.

Le 6 mars 2024, le Conseil d’État a décidé d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne à ce propos. Reste à attendre sa décision : une sanction de la France limiterait la portée des règles protectrices des mineurs aux seuls sites dont les éditeurs sont établis en-dehors de l’UE.