Par Vincent Rivollier, Maître de conférences à l’université Savoie Mont Blanc, Membre du conseil de gestion du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides

Qu’est-ce que le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides ?

Le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides existe depuis 2020. Il vient prendre en charge les personnes exposées en raison de leur profession aux pesticides et développant une pathologie causée par ces produits. Il concerne d’abord les travailleurs : salariés, indépendants et retraités du régime agricole, salariés et retraités du régime général, en France métropolitaine comme dans les Outre-mer. Cependant, les agents publics ou les travailleurs indépendants non-agriculteurs, tels que les fleuristes installés à leur compte, ne bénéficient pas de ce fonds. Le fonds prend également en charge les enfants exposés de manière prénatale aux pesticides en raison de la profession de leurs parents.

À l’égard des travailleurs, le fonds fonctionne comme un régime de maladie professionnelle : application des tableaux de maladies professionnels dédiés aux pesticides, ou à défaut reconnaissance par un comité de reconnaissance des maladies professionnelles. Plusieurs pathologies ont été inscrites dans les tableaux de maladies professionnelles au cours de dernières années : cancer de la prostate provoqué par les pesticides, pour les travailleurs du régime agricole comme les salariés du régime général ; maladie de Parkinson et hémopathies malignes pour les travailleurs du régime agricole.

L’indemnisation correspond à celle prévue pour les salariés en matière de maladies professionnelles. En 2023, 671 demandes ont été déposées ou transmises au FIVP, environ 80% d’entre elles sont acceptées. Les prestations versées par le fonds sont financées par les cotisations patronales dédiées aux accidents du travail et aux maladies professionnelles ainsi que par une taxe sur la vente des produits phytopharmaceutiques.

Quels sont les enfants qui peuvent être indemnisés par ce fonds ?

Peuvent demander à être pris en charge les enfants atteints d’une pathologie résultant directement de leur exposition prénatale du fait de l’exposition professionnelle de l’un ou l’autre de leurs parents à des pesticides. L’exposition doit être prénatale, c’est-à-dire qu’elle doit résulter de l’exposition aux pesticides de leur mère ou de leur père dans la période précédant la conception de l’enfant, ou de l’exposition de leur mère pendant la grossesse. L’exposition des parents doit résulter de leur profession, quelle que soit leur profession : salariés, indépendants du régime agricole ou salarié, agents publics, etc. Il n’y a pas de limite d’âge des enfants pour que leur maladie soit prise en charge par le fonds.

Une commission médicale dédiée à ces pathologies apprécie le lien entre l’exposition aux pesticides et la pathologie de l’enfant. Pour cela, les experts s’appuient notamment sur les rapports de l’INSERM rendus en 2013 et 2021. Ces rapports soulignent notamment le lien possible entre l’exposition prénatale aux pesticides et diverses malformations ou maladies : leucémies et tumeurs cérébrales, malformations congénitales (fentes labiopalatines, hypospadias) et troubles du neurodéveloppement (notamment les troubles du spectre autistique). La liste n’est pas limitative et le fonds examine toutes les demandes de manière individualisée.

Lorsque le lien entre la pathologie et l’exposition des parents est retenu, le montant de l’indemnisation est fixé par application d’un barème indemnitaire, qui prévoit une indemnisation à la fois de l’enfant lui-même et de ses ayants droit, notamment de ses parents.

Pour l’heure, le fonds a été saisi d’un nombre très limité de demandes concernant les enfants. Entre 2021 et 2023, six dossiers ont été étudiés, la commission a émis cinq avis favorables et un avis défavorable. Parmi les personnes indemnisées, on peut citer le cas d’un jeune homme atteint de graves malformations du larynx, de l’œsophage et du système respiratoire. Par ailleurs, plusieurs salariés et enfants de salariés exposés à l’oxyde d’éthylène, utilisé dans l’industrie médicale, ont également annoncé vouloir saisir le fonds.

Quelles sont les principaux domaines d’intervention du fonds d’indemnisation ?

Le fonds peut intervenir dès lors qu’une pathologie a été causée par un pesticide, qu’il s’agisse d’un produit phytopharmaceutique, d’un produit biocide ou d’un médicament vétérinaire antiparasitaire. L’exposition professionnelle peut prendre des formes très diverses : la fabrication, la manipulation ou l’usage des pesticides, mais aussi le contact avec des végétaux ou des animaux traités. Comme cela a été documenté par une étude belge, les fleuristes apparaissent particulièrement exposés aux pesticides par les fleurs qu’ils manipulent.

En pratique, le FIVP intervient avant tout pour les travailleurs de l’agriculture. En 2023, 57% des demandes ont été formées par des travailleurs ou des retraités non-salariés du régime agricole, en particulier des secteurs « polyculture/élevage », « viticulture » et « cultures céréalières légumineuses/industrielles). Le fonds couvre également les victimes professionnelles du chlordécone, pesticide massivement utilisé dans les bananeraies des Antilles et qui est à l’origine d’une pollution des sols et nappes phréatiques. Ainsi, en 2023, 93 dossiers concernant les travailleurs émanaient de Martinique ou de Guadeloupe (sur 671 dossiers déposés).

Cependant le fonds n’intervient que lorsque l’exposition aux pesticides est d’origine professionnelle, c’est-à-dire lorsque la personne malade a été exposée aux pesticides dans un cadre professionnel ou lorsque l’enfant y a été exposé en raison de la profession de l’un de ses parents. Les riverains des cultures traitées aux pesticides ne sont pas éligibles. La frontière d’entre l’exposition professionnelle et les expositions dites environnementales ne sera probablement pas aisée à tracer, spécialement aux Antilles où on estime de 90% de la population présente des traces de chlordécone dans le sang.