Pourquoi la Contrôleure générale veut fermer un établissement pour mineurs à Marseille ?
A la suite de multiples signalements faisant état d’une dégradation des conditions de détention et de travail au sein de l’EPM de la Valentine à Marseille (Bouches-du-Rhône), le CGLPL a visité l’établissement du 7 au 11 juillet 2025 et dresse un constat édifiant des violations constatées dans des recommandations prises en urgence.
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Par Eudoxie Gallardo, Maître de conférences HDR, LDPSC, UR 4690, Aix-Marseille Université
Pourquoi le CGLPL a-t-il pris des recommandations en urgence ?
Le CGLPL est une autorité administrative indépendante créée par la loi du 30 octobre 2007 en charge du contrôle des lieux de privation de liberté. S’il est dépourvu d’un pouvoir d’injonction, le CGLPL dispose de la faculté de prendre des recommandations, notamment en urgence, lorsqu’il « constate une violation grave des droits fondamentaux d’une personne privée de liberté » (article 9 al. 2 de la loi de 2007). Le CGLPL adresse sans délai ses observations aux autorités compétentes tout en leur donnant un délai contraint pour y répondre, le tout étant rendu public. C’est dans ce contexte que la recommandation en urgence du 31 juillet 2025 (JORF du 29 août 2025, texte 118) relative à l’EPM de la Valentine est intervenue. Il s’agit ici de la quatrième recommandation en urgence portant spécifiquement sur un lieu de privation pour mineurs et sans nul doute celle constatant les atteintes les plus graves aux droits fondamentaux de ceux-ci.
Aux conditions matérielles de détention contraires à la dignité (locaux dégradés et vétustes, équipement hors d’usage, absence de distribution de produits d’hygiène corporelle, invasion de fourmis, difficultés pour se protéger de la chaleur et s’hydrater en période de canicule…), le CGLPL constate l’existence de pratiques exposant les adolescents « à un fort risque d’arbitraire ». Outre un recours accru aux fouilles à corps, les mesures de contrainte et de sécurité appliquées aux mineurs ne sont pas suffisamment tracées, ne permettant aucun contrôle au regard des dispositions légales applicables (art. L. 225-1 du Code pénitentiaire et Circ. 24 mai 2013, relative au régime de détention des mineurs NOR : JUSK1340024C). On soulignera également l’application combinée des régimes différenciés et de mesures « censées répondre à l’exigence d’individualisation de la prise en charge » pouvant aboutir à un isolement factuel du mineur. Les mesures de bon ordre créées par une note du 19 mars 2012 (NOR : JUSK1240025N) sont ainsi décriées en ce qu’elles peuvent conduire à des « mises à l’écart assimilables à l’isolement » (à ce sujet, cf. : A. Simon, Les effets de l’enfermement sur les mineurs détenus, Ministère de la Justice, Sept. 2023, 74p, p. 15). S’ajoute la pratique de « la mise en grille » considérée par le CGLPL comme un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et contournant également l’interdiction de l’isolement carcéral des mineurs.
Enfin, les recommandations font état de graves difficultés en ressources humaines aussi bien du côté de l’Administration Pénitentiaire que de la Protection judiciaire de la jeunesse qui impactent les conditions de vie en détention. Comme le souligne la contrôleure « les agents semblent avoir perdu la connaissance mutuelle de leurs missions et cultures professionnelles respectives, socle d’une collaboration efficace », sonnant ainsi le glas du binôme éducateurs-surveillants pourtant clé de la détention des mineurs. Les absences répétées entravent le bon déroulé des activités collectives et les accompagnements des mineurs vers les locaux d’enseignement et les équipements sportifs.
Quelles solutions sont envisageables pour remédier à ces violations ?
Face à un tel constat, des réponses sont vivement attendues. De façon inédite, le CGLPL préconise la fermeture au moins partielle de l’établissement. Le Ministre répond, dans ses observations, en annonçant la fermeture, dès septembre 2025, d’une à deux unités de la prison pour la réalisation de travaux.
On rappellera que le recours en cessation des conditions de détention indignes, créé par la loi du 8 avril 2021 (JORF du 9 avril 202, texte n°3), en réponse à la condamnation de la France dans l’arrêt J.M.B. (CEDH, 30 janvier 2020, req. N°9671/15), est également ouvert aux mineurs. Les articles R. 124-42 et suivants du CJPM fixent des règles spécifiques de compétence selon que le mineur est détenu au titre de la détention provisoire ou pour l’exécution d’une peine. Mais on sait que l’effectivité de ce recours est limitée (CGLPL, L’effectivité des voies de recours contre les conditions indignes de détention, 2024, 138p – E. Senna, AJ Pén. 2024, p. 540). La saisine du juge administratif en référé mesures-utiles est toujours possible (L. 521-3 Code de justice administrative), notamment pour ordonner la réalisation de travaux de réfection. S’agissant des mesures de bon ordre, le Conseil d’État a eu l’occasion d’affirmer que ces mesures n’étaient pas susceptibles de faire grief en raison de leur faible intensité, gravité, durée ou modalités particulières (CE, 10ème / 9ème SSR, 24/09/2014, 362472). Cependant, la combinaison de ces mesures avec une affectation en régime renforcé interroge la légalité des décisions prises par l’administration pénitentiaire. Enfin, il faut préciser que la détention des mineurs n’est conforme à l’article 5-1d de la CEDH qu’à la condition de présenter un aspect éducatif, aspect qui dépasse de loin la simple obligation scolaire à laquelle sont soumis les mineurs jusqu’à 16 ans (CEDH, D.G. c. Irlande, 16 mai 2002 ; JCP G 2002, I, 157, n° 2, chronique F. Sudre, CEDH, Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, A. 129.). Autant d’impératifs qui imposent de repenser la détention des mineurs délinquants.
Comment repenser la détention des mineurs délinquants ?
L’ensemble de ces réflexions aboutit à s’interroger sur le devenir la détention des mineurs. Si la loi du 9 mars 2004 avait permis de dessiner un horizon optimiste à cette détention en investissant le juge des enfants des fonctions de JAP et en faisant entrer les services de PJJ en prison. Les rapports réalisés ces dernières années montrent les difficultés, voire l’impasse dans laquelle le binôme éducateur-surveillant se trouve désormais (M. Amiel, Rapport d’information n° 726, 2017-2018). A cela s’ajoute les violations généralement constatées par le CGLPL des droits fondamentaux des mineurs (CGLPL, Rapport, Les droits fondamentaux des mineurs enfermés – CGLPL, Avis du 31 janvier 2024 relatif à l’accès des mineurs enfermés à l’enseignement).
Une véritable réflexion devrait être menée, et ce d’autant plus compte tenu de la réduction des durées de détention provisoire prononcées dans le cadre des procédures d’audience unique et de mise à l’épreuve éducative prévues par le Code de la Justice pénale des mineurs. Une telle réduction invite à repenser le travail éducatif en prison et, en définitive, le sens de la privation de liberté des mineurs.