Les « comptes adolescents » d’Instagram : des parents « apaisés », mais des enfants vraiment protégés ?
Instagram propose des « comptes adolescents » pour les mineurs, une initiative destinée à soutenir les parents dans l’accompagnement numérique de leurs enfants. Cette mesure est-elle vraiment efficace ? Que change-t-elle ? Les parents peuvent-ils, en quelque sorte, déléguer leur mission à une plateforme ou doivent-ils réinventer leur rôle à l’ère numérique ?

Par Laurence Gatti, Maître de conférences à l’Université de Poitiers
Ne pas parler aux inconnus
Cette règle, élémentaire dans la vie physique, trouve une application nouvelle dans l’univers numérique, mais avec des limites évidentes. Autrefois, un enfant était à l’abri dans sa chambre, ses parents assurant sa protection physique. Mais l’écran, désormais grand ouvert sur le monde, a mis fin à cette illusion de sécurité. À travers les « comptes adolescents », Instagram promet de fermer certaines de ces fenêtres numériques : les interactions avec des adultes inconnus sont limitées, les comptes des jeunes utilisateurs sont privés par défaut, bref : un cadre semble posé, qui actualise la consigne de ne pas parler aux inconnus.
Le Code civil n’a pas attendu les réseaux sociaux pour définir l’autorité parentale, « ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». L’article 371-1 impose aux parents de protéger leur enfant dans sa sécurité, sa santé, sa moralité et, depuis la loi n°2024-120 du 19 février 2024, dans sa vie privée. En d’autres termes, le numérique est saisi par le droit de la famille. Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’Enfance, l’a affirmé : « un parent ne peut plus ne pas concevoir le numérique dans l’exercice de l’autorité parentale ». Le message est clair : les parents doivent rester actifs, conscients que l’écran ne protège pas autant qu’il expose.
En somme, laisser un algorithme gérer les paramètres de sécurité ne saurait suffire. Comme dans la vraie vie, les parents doivent être présents dans le monde virtuel.
Distinguer l’âge réel de l’âge ressenti
Instagram promet des « parents apaisés » mais la tranquillité d’esprit promise est-elle assurée ? Les « comptes adolescents » ajoutent une couche de protection sans faciliter pour autant l’exercice délicat de l’autorité parentale, qui suppose aujourd’hui de protéger l’image du mineur et, en même temps, de respecter son droit à la vie privée (article 372-1 du code civil modifié par la loi de février 2024).
Parce que nombre de mineurs n’ont pas encore de papiers d’identité, le contrôle d’Instagram ne peut reposer que sur l’âge déclaré. Et comme l’humain ment sur son âge, c’est bien connu, les tiers sont invités à dénoncer le mensonge ou l’usurpation auprès de la plateforme, qui fera de son mieux pour procéder à des vérifications, qu’elle ne peut pas faire, si bien que « s’il est raisonnablement impossible de prouver que l’enfant a moins de 13 ans », il se peut qu’elle ne puisse « rien faire sur le compte ». Le procédé semble tiré de l’univers ubuesque d’un Alfred Jarry deux point zéro.
L’ensemble se complique avec la loi n° 2023-566 du 7 juillet 2023 et la notion de majorité numérique : dès l’âge de 15 ans, un adolescent peut s’inscrire seul sur un réseau social, sans aucune autorisation parentale. Avant cet âge, un seul parent peut déjà donner son feu vert. Une simple case cochée suffit ainsi à ouvrir la porte du monde numérique, à l’insu d’un parent ou des deux.
L’apaisement affiché par Instagram comme un slogan pourrait bien être illusoire, si les parents n’ont pas ou ne se donnent pas les moyens de surveiller activement les activités en ligne de leurs enfants. « Un enfant vous engage et doit être protégé. Vérifiez votre capacité à exercer votre autorité avant de devenir parent ». On prévient davantage les risques des crédits à la consommation que ceux de la parentalité. S’il est risqué de ne pas bien réfléchir avant d’emprunter, que dire alors du laisser-aller face à l’utilisation des réseaux sociaux par un mineur ?
Associer les parents
La multiplication des outils numériques, loin de réduire le poids de l’autorité parentale, en transforme les exigences. Les « comptes adolescents » redistribuent, en quelque sorte, l’autorité parentale.
La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, en visant à réguler l’espace numérique, impose aux plateformes des devoirs de vigilance accrus, mais ces exigences ne suppriment en rien la charge parentale et ne jugulent pas les risques.
Comme le rappelle l’article 371-1, les parents doivent associer l’enfant aux décisions qui le concernent, en fonction de son âge (qu’ils connaissent, eux) et… de sa maturité. Mais comment évaluer la maturité et quelle peut être l’incidence du contexte numérique ? Les parents, déjà confrontés à la complexité des interactions sociales classiques, doivent aussi maîtriser celles qui se nouent en ligne. Si l’autorité parentale ne se délègue pas à une plateforme, elle se réinvente pour accompagner l’enfant dans un environnement où chaque clic augmente sa vulnérabilité.
Cette évolution nécessite de nouveaux outils juridiques, mais oblige aussi, avec ou avant tout, à renforcer le dialogue. L’enfant doit être guidé dans son apprentissage numérique, ce qui implique assurément davantage que des comptes restreints ou des messages filtrés. La loi et la société évoluent, mais c’est bien l’autorité parentale qui demeure le socle de la protection. Et voilà que ce sont les parents, les premiers, qui ont besoin d’être guidés dans leur propre apprentissage numérique.
En bref…
Les « comptes adolescents » sur Instagram sont une réponse technique contribuant à la protection des mineurs, mais les parents doivent rester attentifs et actifs dans l’accompagnement de leurs enfants. Oui, « un enfant engage » et aucun algorithme ne suffira à le protéger ni à exonérer les parents de cette responsabilité, quoi qu’en disent les conditions d’utilisation d’un service en ligne et parfois, les parents doivent fermer la fenêtre.