Par Jacques-Henri Robert, Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas

Est-il possible d’effectuer un parallèle entre la manifestation pro-palestinienne du 12 mars à Sciences Po et les événements survenus dans de grandes universités américaines comme Harvard en 2023 ?

Les étudiants, de tous les temps et de tous les pays, constituent une population naturellement turbulente. Au Moyen Âge, ils ont provoqué des troubles fréquents et l’histoire millénaire des universités est continûment marquée par des manifestations violentes dont celles de l’année 1968 est restée le paroxysme. Les étudiants, libres d’obligations professionnelles et familiales, dirigent leur vindicte contre les dépositaires de l’autorité : évêques, seigneurs, puis recteurs, ministres, bourgeois et militaires quand ils sont sujets à la conscription. Les établissements étatsuniens sont particulièrement affectés par cette agitation et l’ont montré dès avant 1968, mais les étudiants européens n’avaient pas besoin de ce modèle pour se manifester. L’autre face du rejet estudiantin de l’autorité est la défense des plus faibles. En ce moment même, ce sont les Gazaouis. Il existe en effet une coïncidence entre les événements de Harvard et ceux de Sciences Po, mais pas de lien de causalité. La forte adhésion des étudiants de l’établissement parisien aux thèses de la France Insoumise suffit à expliquer leur réunion pro-palestinienne.

La manifestation ayant eu lieu sans l’accord de la direction, que risquent les organisateurs, les participants et l’école elle-même ?

Les articles 431-22 et R. 645-12 du Code pénal répriment l’intrusion dans un établissement « scolaire », mais cet adjectif est interprété comme ne désignant que les institutions primaires et secondaires, en excluant celles de l’enseignement supérieur. L’usage d’un amphithéâtre pour un autre objectif que la dispensation de cours ne peut donc être réprimé que par des sanctions disciplinaires appliquée aux organisateurs. L’institution elle-même n’est pas suspecte d’avoir suscité la réunion du 12 mars.

Quid de l’intervention de l’État dans le cadre de cette manifestation ayant eu lieu dans un établissement universitaire autonome ?

L’État ne gère pas Sciences Po dont le nom officiel est Institut d’études politiques de Paris. Il appartient à une catégorie particulière d’établissements d’enseignement supérieur, distincte des universités, dénommée Grands établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel qui jouissent de l’autonomie et de la liberté d’enseignement. Si des infractions ont été commises dans son enceinte, le gouvernement peut néanmoins être concerné, comme il le serait par n’importe quel crime ou délit perpétré en un lieu quelconque du territoire, même privé ou religieux, comme une usine ou une église.

Quid du recours à l’article 40 du Code de Procédure Pénale annoncé par Gabriel Attal ? Quelles seraient les conséquences de son utilisation ?

C’est précisément pourquoi le Premier ministre, appliquant l’article 40, alinéa 2 du Code de procédure pénale, a dénoncé les faits au procureur de la République de Paris. Ce texte est ainsi rédigé : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Les membres du gouvernement entrent dans la catégorie des personnes habilitées à donner cet avis. Ainsi, par exemple, en 2013, le ministre de la consommation avait informé le procureur du scandale des lasagnes à la viande de cheval. Mais aucun ministre, pas même le Garde des Sceaux, n’a le pouvoir de déclencher l’action publique ni, selon l’article 30, alinéa 3, du même code, celui d’enjoindre au procureur de l’exercer. En conséquence, ce magistrat appréciera librement la suite à donner à la communication du premier ministre.

Peut-on parler ici de liberté d’expression ?

La réunion litigieuse était l’occasion d’exprimer une opinion sur la guerre en cours entre Israël et le Hamas et, sauf l’occupation non autorisée d’un amphithéâtre, cette démarche est parfaitement licite et même conforme à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme. Les orateurs étaient fondés à prendre parti pour l’un ou l’autre des belligérants.

Cependant, dans ce cas particulier, les massacres commis le 7 octobre 2013 par le Hamas, organisation officiellement qualifiée de terroriste par la France, sont des crimes terroristes dont l’apologie est punissable en vertu de l’article 421-2-5, alinéa 1er du Code pénal, et fait encourir cinq ans d’emprisonnement et 75.000 € d’amende. L’apologie est l’approbation, la justification ou la glorification d’une infraction ou de son auteur. C’est sous cette qualification qu’a été punie l’assimilation des meurtres et viols du 7 octobre à des actes de résistance, tant le mot « résistance » est entouré d’admiration dans notre pays.