Les travailleurs des plateformes ont largement délaissé l’élection de leurs représentants
Par Franck Petit – Professeur à Aix-Marseille Université
Salariat déguisé, travail dissimulé, les relations de travail entre les plateformes de réservation et leurs travailleurs questionnent, alimentent le contentieux juridique et font sentir le besoin d’une régulation. Le rapport Mettling sur la transformation numérique et la vie au travail avait suggéré au gouvernement la création d’une autorité chargée de la régulation des relations de travail entre les plateformes de réservations et leurs travailleurs dans le secteur des VTC et de la livraison de marchandises. L’ordonnance du 21 avril 2021 lui a donné corps, en la dénommant « Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi » (ARPE). Sa première mission a consisté à organiser un scrutin national en vue de déterminer les organisations professionnelles représentatives des travailleurs de ce secteur, dont le nombre dépasse aujourd’hui 100 000.
Lundi 16 mai se sont achevées les élections des organisations représentatives des travailleurs de plateformes de VTC et de livraison à domicile. Quels ont été les résultats de ces élections ?
L’ordonnance du 21 avril 2021, ratifiée par la loi du 7 février 2022, avait prévu l’organisation d’un scrutin national permettant aux travailleurs des plateformes de VTC et de livraison à domicile d’élire les organisations qui seront chargées de les représenter auprès du conseil d’administration de l’ARPE. Du 9 au 16 mai 2022, plus de 100 000 travailleurs de ce secteur ont été appelé à s’exprimer lors d’une élection nationale, à un seul tour par voie électronique.
Sur ces 100.000 travailleurs, moins de 3.100 électeurs se sont exprimés. Mais cette faible participation n’empêchera pas les désignations attendues, car aucun quorum n’avait été prévu pour valider les résultats. Le scrutin était divisé en deux collèges, le premier rassemblant les chauffeurs VTC, le second les livreurs de marchandises. Dans le collège des VTC, les sept organisations candidates (qui pouvaient avoir le statut de syndicat ou d’association) ont toutes dépassé les 5 % qui devaient être requis à titre minimal pour ce scrutin originel. L’Association des VTC de France (AVF) a dominé avec près de 42,81 % des voix, laissant loin derrière elle l’Union-indépendants, soutenue par la CFDT (11,51%) et l’Association des chauffeurs indépendants lyonnais (11, 44 % respectivement). Les autres groupements ont aussi obtenu des scores entre 5 et 10 % : FO (9,19 %), FNAE (8,98 %), CFTC (8,84 %) et Unsa (7,23 %).
Dans le collège des livreurs, la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE) s’est placée en tête (28,45 %), juste devant la CGT (27,28 %). Arrivent ensuite l’Union-indépendants (22,32 %) et la Fédération SUD commerces et Services – Solidaires (5,69 %). Les cinq autres organisations – la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), l’Unsa, FO, la Confédération nationale des travailleurs – Solidarité ouvrière (CNT-SO) et la CFTC – ont été écartées, en raison de leurs scores inférieurs à 5 %. Il appartient maintenant au directeur général de l’ARPE d’arrêter la liste des organisations représentatives, qui seront compétentes pour désigner des représentants au sein de l’ARPE.
Quelle protection et quel accompagnement les organisations représentatives et l’ARPE pourront proposer aux chauffeurs VTC et livreurs à domicile ?
Les organisations représentatives pourront négocier avec les plateformes de réservation et signer des « accords collectifs de secteur » destinés à contenir des dispositions plus favorables aux chauffeurs VTC et aux livreurs à domicile que la loi. Les négociations porteront en général sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes (congés payés, durée de repos quotidien), plus particulièrement sur la rémunération, la formation professionnelle ou la protection sociale (mutuelle, prévoyance collective, assurance chômage…). L’ARPE pourra être sollicitée pour accompagner les négociations.
A ce sujet, la loi du 7 février 2022 habilite le gouvernement à agir par ordonnance pour fixer les modalités de représentation des plateformes dans le secteur des VTC et de la livraison de marchandises, pour approfondir la structuration du dialogue social et pour déterminer les règles permettant l’organisation des négociations. Il reste aussi à déterminer la ou les organisations appelées à représenter les plateformes elles-mêmes.
De son côté, l’ARPE a été mise en place à la fin de l’année 2021 avec comme première fonction d’organiser le scrutin destiné à mesurer l’audience des organisations professionnelles. L’ARPE aura pour mission d’assurer le financement des formations des représentants des travailleurs des plateformes, d’autoriser la rupture des contrats entre les plateformes et les travailleurs disposant d’un mandat de représentation, enfin de collecter des statistiques relatives à l’activité des plateformes en vue de produire des études et des rapports au profit des organisations représentatives. Le financement des missions de l’ARPE sera assuré par une taxe acquittée par les plateformes.
Quelle protection supplémentaire des travailleurs des plateformes de réservation propose l’Union européenne ?
L’Union européenne s’est emparée de la question de l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes, en préparant une proposition de directive, présentée le 9 décembre 2021 par la Commission en vue d’améliorer les conditions d’activité des travailleurs des plateformes. Ce texte propose d’introduire une présomption de salariat lorsqu’au moins deux des critères du travail subordonné sont réunis (par exemple, pouvoir de sanction et de déréférencement lorsque plusieurs réservations sont refusées, pouvoir de direction en imposant un itinéraire).
Ce texte prévoit aussi un nouvel ensemble de droits pour les personnes soumises à une gestion algorithmique dans le cadre d’une relation de travail avec une plateforme de réservation, notamment un droit à l’information des travailleurs sur la manière dont leur travail et leurs missions sont attribués, sur l’évaluation des tâches effectuées et sur les conditions de résiliation de leurs contrats.
La proposition de directive envisage enfin de mettre à la charge des plateformes une obligation d’information au profit des Etats-membres sur les personnes que ces structures font travailler et sur leurs conditions générales. Il semble important de suivre de près l’évolution de ce texte dans la perspective de l’enrichissement, par voie d’ordonnance, des missions de l’ARPE.