Par Emmanuel Aubin, Professeur de droit public à l’Université de Tours

Peut-on parler d’une garantie de l’emploi dans la fonction publique ?

Il existe une confusion entre la sécurité de l’emploi et la garantie de celui-ci qui permet de comprendre l’expression, pourtant absurde, d’emploi à vie des fonctionnaires. Lorsqu’un agent public est titularisé dans un grade qui correspond à son niveau de qualification et de recrutement, il bénéficie d’une sécurité de l’emploi dans la mesure où la détention de son grade liée à son niveau de diplôme et la réussite à un concours lui donne vocation à occuper un emploi. Toutefois, l’emploi n’est pas garanti car l’Administration peut légalement décider de le supprimer dans le cadre d’une réforme ou d’une réorganisation des services publics.   De même, l’agent peut faire l’objet d’un refus de titularisation (lorsqu’il est stagiaire) ou d’une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ou inaptitude physique. La commission d’une faute grave peut également avoir pour conséquence une fin définitive des fonctions. Il convient de distinguer la procédure disciplinaire de la procédure de licenciement. Dans la première hypothèse, le fonctionnaire est révoqué en raison de la commission d’une faute grave alors que dans la seconde hypothèse, il est licencié en raison de sa manière de servir non fautive mais traduisant une incapacité à répondre aux attentes de son employeur public et aux exigences de la mission de service public. 

Le licenciement pour insuffisance professionnelle dans la fonction publique : un outil  managérial imprécis ?

Le licenciement n’est pas une mesure inconnue dans la fonction publique. Le premier Statut général républicain de 1946 prévoyait déjà le licenciement dans les causes de cessation définitive des fonctions, lorsque le  fonctionnaire faisait « preuve d’insuffisance professionnelle ». Depuis cette époque, l’administration doit respecter une procédure similaire à celle qui s’applique aux agents publics faisant l’objet de poursuites disciplinaires. Cette exigence figurant à l’article L.553-2 du code général de la fonction publique permet peut-être de comprendre le faible nombre de licenciements pour insuffisance professionnelle. Le droit statutaire oblige, ainsi, à saisir le conseil de discipline alors même qu’il n’est pas reproché de comportement fautif au fonctionnaire mais, pour faire court, son incompétence. La mise en œuvre de la procédure prend du temps et mobilise des ressources humaines en capacité de mettre en œuvre et sécuriser juridiquement une telle procédure. En outre, il existe des alternatives permettant de proposer un reclassement de l’agent public avant d’envisager son licenciement. Il peut arriver que l’insuffisance professionnelle soit la conséquence d’une mauvaise adéquation entre le grade de l’agent et l’emploi public sur lequel il a été initialement affecté. Dans ce cas de figure, l’employeur public peut proposer un nouvel emploi plus adapté à l’agent, lequel pourra peut-être, alors, donner pleinement satisfaction.  Qualifié par le ministre d’ « outil très mal défini », le licenciement pour insuffisance professionnelle ne se prête pas à une définition abstraite. Le juge administratif adopte une approche empirique de l’insuffisance professionnelle qui revêt une grande diversité la faisant ressembler à un kaléidoscope. L’insuffisance professionnelle ne se décrète pas a priori, elle s’observe et se constate dès le recrutement de l’agent en qualité de stagiaire et pendant le déroulement de sa carrière, le principe de Peters existant également dans l’administration. L’insuffisance professionnelle est l’expression d’une incompétence, d’une inaptitude à exercer les fonctions confiées à l’agent public, cette insuffisance ayant pour effet de compromettre la bonne marche du service public. Le juge administratif précise qu’une carence ponctuelle ne peut pas matérialiser une insuffisance professionnelle, l’administration devant prendre garde à bien circonstancier les faits à l’origine d’un licenciement.

Qui peut être licencié dans la fonction publique ?

Les employeurs publics peuvent prévenir les conséquences durables d’une insuffisance professionnelle en décidant de ne pas titulariser un stagiaire qui ne sera donc jamais fonctionnaire. Après avoir réussi un concours d’entrée dans la fonction publique, l’agent est placé dans une période probatoire et provisoire d’une durée variable, le stage permettant de vérifier la capacité et l’aptitude de l’agent à exercer convenablement sa mission de service public. Le stage est donc une garantie contre le recrutement sur plusieurs dizaines d’années d’un agent public révélant une inaptitude, une incapacité à poursuivre sa mission de service public. Il y a également plus d’un million d’agents contractuels de droit public dans l’Etat, les collectivités territoriales et les hôpitaux publics. Or, les employeurs publics n’hésitent pas à licencier ces agents comme l’atteste un abondant contentieux. Depuis la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 qui a importé dans la fonction publique la procédure de rupture conventionnelle, les agents recrutés dans le cadre d’un CDI de droit public ainsi que les fonctionnaires peuvent décider eux-mêmes de quitter le secteur public, plusieurs milliers d’agents ayant opté pour ce départ définitif négocié dans le cadre d’une convention.