Par Hélène Pauliat, Professeure de droit public à l’Université de Limoges et ancien membre du Conseil supérieur de la Magistrature

« Les représentants de nos délégations, dans nos équipes de France, ne porteront pas le voile lors des Jeux olympiques de 2024 », a affirmé la ministre des sports Amélie Oudéa-Castera, malgré l’avis favorable de l’ONU et du CIO ; le Haut-commissariat aux droits de l’homme a en effet déclaré que « de manière générale, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme estime que personne ne devrait imposer à une femme ce qu’elle doit porter ou non » ; de son côté, le Comité international olympique autorise le port du voile lors des compétitions, en considérant que le port de ce vêtement relève d’un facteur culturel et non cultuel. Dans un tel contexte, pourquoi la France souhaite-t-elle une aussi stricte neutralité dans le domaine du sport ?

Laïcité à la française

Notre pays a une conception très spécifique de la laïcité, liée à son histoire ; mais elle est désormais souvent convoquée pour régler tous les problèmes sociétaux (J. Morange, La laïcité de la République : garantie ou menace pour les libertés ?, LGDJ, 2023), ce qu’elle ne peut évidemment pas faire. La particularité française réside également dans le champ qu’elle assigne au service public, qui lui-même, se voit imposer une stricte neutralité. Une approche très significative de cette exigence a été menée par le Conseil d’Etat lors de la décision rendue sur le port du hijab pendant les matchs de football (CE, 29 juin 2023, n° 458088, Association Alliance citoyenne et a.). Alors qu’il est juridiquement logique que les personnels affectés au service public du sport soient soumis au respect de la laïcité, cette exigence a été étendue aux arbitres professionnels, dès lors que la loi du 24 août 2021 impose le respect des exigences de neutralité et de laïcité aux personnes, participant à l’exécution d’un service public, sur lesquelles l’organisme de droit public ou de droit privé en charge d’une mission de service public exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction (art. 1er).

Fondement juridique

La difficulté porte sur les athlètes eux-mêmes : peut-on leur imposer de ne pas manifester leurs croyances religieuses, et sur quel fondement juridique ? Le Conseil d’Etat a souligné que cette prohibition devait s’appliquer notamment aux « personnes que la Fédération sélectionne dans les équipes de France, mises à sa disposition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent à ce titre », estimant que les joueurs étaient alors des participants au service public du sport. Ainsi, selon le rapporteur public dans cette affaire : « lorsqu’ils jouent pour les équipes de France, les joueurs sélectionnés poursuivent effectivement une mission de service public, c’est-à-dire une finalité d’intérêt général orientée vers la cohésion sociale ».

Dès lors, lorsque des athlètes sont sélectionnés par des fédérations sportives pour participer aux Jeux Olympiques, ils vont concourir en représentant la France et, si l’on suit le raisonnement du Conseil d’Etat, participer au service public délégué par les fédérations et seront soumis au pouvoir de ces fédérations le temps des compétitions. En tant que participants à un tel service public, ils se voient imposer une stricte exigence de neutralité et de laïcité. En tant que représentants de la France, Etat laïc, dans les compétitions internationales, ils doivent s’astreindre à ne porter aucun signe religieux.

Une approche fragile

On peut mesurer la relative fragilité d’une telle approche juridique : la jurisprudence du Conseil d’Etat, sur laquelle s’appuie la ministre des sports, n’étend-elle pas exagérément la notion même de service public sportif, et partant, celle de participant à cette mission ? Mais dans cette même décision, la haute juridiction s’est fondée sur l’ordre public pour admettre l’interdiction de signes religieux pour les autres sportifs licenciés. La peur de favoriser le communautarisme et la volonté de renforcer la cohésion nationale en limitant tout signe qui peut apparaître comme porteur de divisions conduisent à une extension de l’exigence du respect de la laïcité bien au-delà du champ classique des agents du service public. On notera qu’une proposition de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans la pratique du sport, a été déposée au Sénat le 25 mai 2022 (texte n° 638 (2021-2022)) ; elle préciserait que « la pratique du sport, au sein des équipements sportifs publics ainsi que pour la participation aux événements sportifs et aux compétitions sportives organisés par les fédérations sportives et les associations affiliées, respecte le principe de laïcité ». Preuve que le sport tient aussi une place particulière dans la société, et qu’il se veut le reflet des valeurs de la République.