Fusillade de la rue Custine : la légitime défense des forces de l’ordre de nouveau dans l’actualité
Par Jacques-Henri Robert, Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas
Le samedi 4 juin, ce qui devait être une simple opération de police a viré au drame. Les faits sont encore flous mais il semblerait qu’alors qu’un véhicule aurait refusé d’obtempérer à l’ordre de policiers en vélo, le conducteur aurait fait mine de redémarrer sur les policiers. Ces derniers ont tiré et la passagère a succombé par la suite. L’IGPN a diligenté une enquête, les tireurs ont été placés en garde à vue et le conducteur mis en examen.
Les policiers soutiennent avoir agi par légitime défense : que devront-ils établir pour le prouver ?
Les règles qui définissent la légitime défense n’ont pas varié depuis que la matière a fait l’objet des précédents billets que notre Blog lui a consacrés (voir ici et ici). La personne qui prétend bénéficier de cette cause de justification doit démontrer trois données : (i) une attaque à laquelle le défenseur a pu raisonnablement se croire exposé, (ii) une riposte nécessaire et simultanée à l’attaque, enfin (iii) l’absence de disproportion entre moyens choisis pour la défense, eu égard à la gravité de l’attaque.
Dans le cas de l’affaire de la rue Custine (Paris 18ème), les faits ne sont pas encore complètement établis. Selon la passagère survivante de l’automobile interceptée par les policiers, ce véhicule était immobilisé dans « un genre d’embouteillage » et les agents de la force publique en auraient brisé les vitres puis tiré sur ses occupants : si ce témoignage est avéré, la seconde condition, celle de la nécessité de la défense, manque et il n’est pas utile de s’interroger sur sa proportionnalité. En effet, une riposte postérieure à l’attaque constituerait vengeance ou des représailles, tout à fait étrangères à la légitime défense.
Selon les policiers au contraire, ils auraient fait usage de leurs armes alors que le conducteur les chargeait, menaçant de les écraser. L’attaque était alors certaine, l’usage des armes nécessaire pour protéger la vie des policiers. C’est ce que permet de penser l’instruction judiciaire puisque le conducteur a été mis en examen du chef de « tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique » Or la mise en examen est un acte grave qui doit reposer sur des « indices graves ou concordants (art. 80-1 du Code de procédure pénale). S’ils sont confirmés, seule pourrait être discutée la direction des tirs des policiers qui pourraient être jugés maladroits : la poursuite exercée contre ces fonctionnaires serait alors fondée sur un homicide par imprudence et non sur un meurtre.
Les policiers invoquent aussi le fait justificatif tiré de leur droit d’intercepter les véhicules fuyards, rebelles à leurs injonctions, qu’en penser juridiquement ?
M. Mélenchon, dans ses attaques contre la police a en effet évoqué cette possibilité en affirmant que « ce n’est pas normal qu’on tue quelqu’un parce qu’il refuse d’obtempérer à la loi ». Le cas est prévu par l’article L. 435-1, 3° et 4° du Code de la sécurité intérieure : « Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent …faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :(…)
3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».
Sauf une incertitude factuelle relative à l’émission des sommations, imposées par le 3° mais non le 4°, les conditions du texte sont remplies : l’ordre de s’arrêter était fondé sur le défaut d’usage des ceintures de sécurité. La suite de l’enquête a révélé bien d’autres infractions commises par le conducteur (conduite sans permis sous l’empire de l’alcool et de stupéfiants), mais ces données, parce que découvertes après coup, ne peuvent pas justifier rétroactivement l’interception.
La seule question qui sera débattue devant les juridictions est celle de savoir si l’usage des armes était nécessaire et proportionné, comme dans le cas où la légitime défense est invoquée.
Ce drame intervient peu de temps après celui du Pont Neuf. L’équilibre trouvé entre la réglementation des armes par les forces de l’ordre et la protection du droit à la vie vous semble-t-il satisfaisant ?
Les règles gouvernant la légitime défense ne méritent plus d’être remises en question (cf arrêt CEDH Bouras c/ France, Article sur notre Blog du 22 mai 2022).
Les commentateurs ont seulement contesté les règles d’engagement des armes à feu par la police nationale assimilée, sur ce point, à la gendarmerie. Cette disposition, inscrite dans l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure, ne remonte qu’à la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité intérieure. Auparavant, les agents de la police nationale devaient observer des conditions bien plus strictes que celles fixées à l’égard des gendarmes.
La gendarmerie est en effet une des composantes de l’Armée, et ses membres sont formés très sérieusement à l’usage des armes. Tel n’est pas le cas des fonctionnaires de la police nationale, dont il été observé qu’ils faisaient feu plus souvent que les gendarmes et avec moins de précautions.