Fouille des sacs des élèves : quel cadre juridique ?
Les attaques au couteau sont fréquentes, y compris dans les établissements scolaires, comme ce fut encore le cas le 4 février 2025 dans un lycée à Bagneux. C’est dans ce contexte que, le 21 février dernier, la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Élisabeth Borne, a annoncé qu’à partir du printemps, des fouilles des sacs des élèves seront régulièrement organisées aux abords de ces établissements. De quoi parle-t-on ?
Par Marc-Antoine Granger, Maître de conférences HDR en droit public à l’Université Côte d’Azur, administrateur de l’AFDSD, membre du CERDACFF
Qu’est-ce que la fouille d’un sac ?
Disons-le d’emblée, il convient de distinguer la fouille d’un sac – ou d’un « bagage » en termes juridiques – de son inspection visuelle.
La fouille permet à l’auteur du contrôle de procéder à une vérification manuelle de la présence d’objets prohibés situés à l’intérieur du bagage. Par exemple, dans le respect des conditions prévues par le code de la sécurité intérieure (CSI), les agents privés de sécurité peuvent effectuer de telles fouilles avec le consentement de la personne contrôlée (voir notamment l’art. L. 613-2, al. 1er, du CSI). En revanche, l’inspection visuelle relève exclusivement d’une « police de l’œil » : l’auteur du contrôle demande l’ouverture d’un bagage à son propriétaire ou à son détenteur afin d’en rendre visible le contenu. Il s’agit alors de vérifier attentivement et visuellement si des objets interdits sont présents.
Ces fouilles et inspections visuelles sont largement répandues. Par exemple, elles sont réalisées aux postes d’inspection-filtrage dans les aéroports (art. L. 6342-4 du code des transports) et aux points d’accès des périmètres de protection institués par le préfet afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement exposé à un risque d’actes de terrorisme (art. L. 226-1 du CSI). En guise d’illustration, on a tous à l’esprit les périmètres de protection instaurés l’année dernière à l’occasion des cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques (voir Marc-Antoine Granger, « La surveillance périmétrique des sites d’épreuves et de célébrations des Jeux de 2024 », AJDA, 2024, pp. 1424 et s.).
Dans un établissement d’enseignement, le chef d’établissement peut-il fouiller un sac ?
La réponse est clairement négative. Tout au plus peut-il procéder ou faire procéder à une inspection visuelle du sac, sous réserve du consentement de l’élève et en cas de suspicion avérée de violation au règlement intérieur de l’établissement (voir, en particulier, la circulaire du 2 octobre 1998, l’instruction ministérielle du 12 avril 2017 et la réponse ministérielle à la question écrite n° 14889). Au demeurant, le cadre juridique de ces inspections mériterait d’être précisé dans le code de l’éducation. En ce sens, l’adoption de la loi visant à protéger l’école de la République et les personnels qui y travaillent (proposition de loi n° 234 du 10 janvier 2025) pourrait changer la donne. En effet, au cours des travaux parlementaires au Sénat, précisément le 19 février 2025, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sports’est exprimée en faveur d’ « une base législative » relative à ces inspections (rapport n° 365, enregistré à la présidence du Sénat le 19 février 2025, p. 20).
Mais aux abords des établissements, les fouilles envisagées par la ministre sont-elles possibles ?
En l’état actuel du droit, les fouilles des sacs des élèves aux abords des établissements sont possibles en vertu des dispositions du code de procédure pénale (CPP), et tout particulièrement de celles de son article 78-2-2. Elles sont d’ailleurs pratiquées ici ou là (par exemple, le 26 mars 2024 à Dijon).
Ces « opérations coups de poing » sont menées par les policiers et gendarmes nationaux (c’est-à-dire, les officiers de police judiciaire, assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 du CPP) sur réquisitions écrites du procureur de la République, dans les lieux et pour la période que ce magistrat détermine, laquelle ne peut excéder vingt-quatre heures. Elles visent à rechercher et poursuivre un certain nombre d’infractions strictement énumérées par le législateur, telles que les infractions en matière d’armes et de trafic de stupéfiants. Au moins trois précisions méritent d’être apportées.
En premier lieu, le procureur ne peut « retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions » (Cons. const., décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, M. Ahmed M. et autre, § 23).
En deuxième lieu, les réquisitions sont renouvelables sur décision expresse et motivée, mais le procureur ne saurait « autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles (…) généralisés dans le temps ou dans l’espace » (ibid.).
En dernier lieu, « le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République, ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes » (Cour de cassation, civ. 2e, 19 février 2004, n° 03-50.025 et Cons. const., décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, Loi relative aux contrôles et vérifications d’identité, cons. 6).
Quelles pourraient être les difficultés liées à la mise en œuvre de ces fouilles ?
On l’aura compris, les difficultés ne sont pas d’ordre juridique. À la vérité, ces fouilles inopinées dans les établissements identifiés supposeront une gestion subtile des moyens humains disponibles, car les acteurs du continuum de sécurité sont déjà largement sollicités. Par ailleurs, il sera nécessaire de veiller à ce que ces fouilles s’inscrivent dans une relation de confiance avec les élèves contrôlés (sur cette relation de confiance entre les forces de sécurité intérieure et la population, voir CE, Ass., 11 octobre 2023, Amnesty international France et autres, n° 454836, § 11).