Par Maxime Boul, maître de conférences en droit public à l’Université Toulouse Capitole, IEJUC

L’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN) suscite bon nombre de critiques. Il provoque l’inquiétude voire l’hostilité d’élus locaux et de parlementaires. Certains le qualifient de « ruralicide » en ce qu’il empêcherait les petites communes de pouvoir se développer ; d’autres jugent qu’il est un obstacle à la lutte contre la crise du logement et qu’il une ruée vers un nouvel or « foncier ».

De quoi le projet d’arrêté fixant la liste des 424 projets d’envergure nationale ou européenne (PENE) est-il le nom ?

Le projet d’arrêté ouvert à la consultation le 12 avril 2024 est le résultat d’un mouvement d’assouplissement de la mise en œuvre du Zéro Artificialisation Nette (ZAN). La loi Climat et résilience a, dans un premier temps, prévu une réduction d’au moins 50% de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) entre 2021 et 2031 par rapport à la période 2011-2021. D’ici 2050, chaque mètre carré nouvellement artificialisé devra être compensé par la renaturation d’un mètre carré déjà artificialisé. Ce solde net devrait permettre les constructions tout en contenant l’étalement urbain. Inscrit par la loi dans les objectifs du droit de l’urbanisme, le ZAN est décliné en cascade dans les documents de planification (SRADDET) et dans les documents locaux d’urbanisme (SCOT, PLU, documents en tenant lieu et cartes communales). Le calendrier serré d’inscription dans ces documents ainsi que les effets contraignants de l’objectif sur les collectivités suffisaient à faire naître les critiques autour de cette mesure « jacobine » dont la mise en œuvre et la pédagogie auprès des citoyens et porteurs de projets allaient directement incomber aux élus locaux. La loi du 20 juillet 2023 a alors eu pour objet de faciliter la mise en œuvre de l’objectif ZAN et de renforcer l’accompagnent des élus. Dans le même temps, la contestation de l’objectif s’est prolongée devant le Conseil d’État, saisi par l’Association des maires de France, qui a partiellement annulé le décret du 29 avril 2022 relatif à la nomenclature de l’artificialisation des sols (CE, 4 oct. 2023, nos 465341 et 465343).

Les PENE constituent-ils le seul assouplissement de l’objectif ZAN prévu par les textes ?

Les craintes engendrées par l’objectif ZAN ont donné lieu à des assouplissements afin de rassurer les élus locaux. D’emblée, la loi Climat et résilience a mis en place des mécanismes pour assouplir le principe de non-artificialisation des sols par les autorisations d’exploitation commerciale, sauf si le pétitionnaire démontre que le projet s’insère dans un secteur urbanisé identifié ou qu’il prévoit la compensation des sols artificialisés par la renaturation d’une surface équivalente (C. com., art. L. 752-6, V). La loi du 20 juillet 2023 a reporté le calendrier de déclinaison de l’objectif dans les documents de planification de plusieurs mois. Elle a également instauré une « garantie rurale » d’1ha de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) au profit de toutes les communes pour ne pas figer leurs projets. Enfin, les élus locaux craignaient que les projets de l’État n’absorbent leur réserve disponible d’ENAF, ce qui était le cas initialement. Les projets d’aménagements d’infrastructures et d’équipements publics ou d’activités économiques qui sont d’intérêt général majeur et d’envergure nationale ou régionale étaient en effet comptabilisés dans les surfaces artificialisées au niveau régional dans le SRADDET dont l’objectif est la réduction d’au moins 54,5% de consommation des ENAF entre 2021 et 2031. La loi du 20 juillet 2023 leur a réservé un forfait national de 12 500 ha sur la décennie en question.

La publication du projet d’arrêté présentant les 424 PENE doit-elle être considérée comme un nouveau recul ?

De l’autoroute A69 à Castres aux déchets nucléaires du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) à Bure, en passant par la liaison Lyon-Turin ou la construction d’EPR2, ces projets appartiennent aux catégories de PENE prévues par la loi (art. 194, III, 7°) et ont été retenus pour faire partie de la liste dressée dans le projet d’arrêté soumis à la consultation du public. L’annexe I de l’arrêté mentionne les 167 projets suffisamment « matures » pour engendrer une artificialisation des sols d’ici 2031, alors que l’annexe II dresse une liste indicative de 257 projets pouvant être identifiés comme tels et figurer dans l’annexe I. Cette liste non exhaustive est susceptible d’évoluer. Ainsi 30% des projets en annexe I renvoient aux projets industriels et nucléaires représentant une consommation de 3568 ha ; 27% d’entre eux correspondent aux seules infrastructures routières. Si l’ensemble des projets identifiés sont confirmés au terme de la consultation publique, ils représenteront une surface de 11 870ha et consommeront la quasi-intégralité de l’enveloppe allouée par la loi. Loi qui prévoit l’hypothèse d’un dépassement ne pouvant « être imputé sur l’enveloppe des collectivités territoriales ou de leurs groupements » (art. 194 III bis). Aucun mécanisme ne permet d’éviter une telle situation qui remettrait en cause l’effectivité de l’objectif alors que la bétonisation est la cause des inondations à répétition, absorbe les surfaces agricoles encore disponibles et accélère l’érosion de la biodiversité.