Par Philippe Bonfils, Professeur à Aix-Marseille Université, Doyen honoraire de la faculté de droit et de science politique et Avocat au barreau de Marseille

Faut-il réformer le droit pénal des mineurs ?

L’ordonnance de 1945 avait été réformée plus de soixante-dix fois, avant d’être remplacée par le Code de la justice pénale des mineurs, entré en vigueur le 30 septembre 2021. Ce nouveau code a déjà été modifié à plusieurs reprises, et les annonces du Premier Ministre permettent de penser que la frénésie législative en la matière n’est pas près de ralentir, au gré des faits divers et de l’émotion qu’ils suscitent dans l’opinion publique. Mais cette réforme annoncée du Code de la justice pénale des mineurs est-elle possible, en ce qu’elle vise à traiter les mineurs ou certains d’entre eux comme des majeurs ? La question est parfois posée, et elle l’avait été notamment dans le cadre de la campagne électorale pour les élections présidentielles de 2002, centrée sur des préoccupations sécuritaires. Jusqu’à présent, le législateur s’y était toujours refusé, et la consécration constitutionnelle du principe d’autonomie du droit pénal des mineurs devrait l’empêcher.

En effet, le Conseil constitutionnel a dégagé en 2002 un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui énonce que « la responsabilité pénale des mineurs doit être atténuée en fonction de leur âge » et que « la réponse des pouvoirs publics aux infractions que commettent les mineurs doit rechercher autant que faire se peut leur relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité et prononcées selon les cas par des juridictions spécialisées ou selon des procédures juridictionnelles aménagées ». Dans une perspective similaire, la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 fixe à 18 ans l’âge de la majorité et stipule en son article 3-1 que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Dans ce contexte, on voit mal comment un mineur pourrait être traité comme un majeur. Et il n’est pas certain que, même si on limitait ce rapprochement aux mineurs âgés de 16 à 18 ans, ce dispositif serait conforme aux principes supra-législatifs évoqués précédemment, puisqu’ils visent l’ensemble des mineurs et non telle ou telle catégorie d’âge. Du reste, cela ne règlerait pas évidemment la situation des mineurs de moins de 16 ans, qui parfois commettent aussi des infractions graves. On rappellera aussi que, sous la pression du Comité international des droits de l’enfant, la France a relevé le seuil de responsabilité pénale en adoptant récemment, dans le Code de la justice pénale des mineurs, une présomption de discernement et de responsabilité pénale à l’âge de 13 ans (art. L. 11-1) ; là encore, le cadre international est essentiel et devrait au moins tempérer les tentations sécuritaires du moment.

L’excuse de minorité peut-elle être atténuée ?

Le Code de la justice pénale ne parle pas d’excuse de minorité, mais de diminution de peine (art. L. 11-5). Le principe est que les mineurs âgés d’au moins 13 ans encourent une peine d’emprisonnement égale, au maximum, à la moitié de la peine encourue par un majeur, et à 20 ans de réclusion criminelle lorsque la perpétuité est prévue pour les majeurs. Cette règle est obligatoire pour les mineurs entre 13 et 16 ans (au jour des faits), et elle peut être écartée par la juridiction pour les mineurs de 16 à 18 ans. Il est donc déjà possible de faire application à des mineurs âgés de 16 à 18 ans d’une peine égale à celle encourue par les majeurs, la seule différence étant que les mineurs encourent 30 ans de réclusion criminelle lorsque c’est la perpétuité qui est prévue pour les majeurs. On conviendra qu’une peine de 30 ans de réclusion criminelle est déjà une peine particulièrement sévère pour un mineur. En outre, il convient de rappeler que la réponse à l’égard des mineurs doit faire primer l’éducation sur la répression, et que ce n’est que lorsque les circonstances de l’infraction et la personnalité du mineur le justifient que des peines d’emprisonnement peuvent être envisagées pour les mineurs.

Que penser de l’extension de la comparution immédiate aux mineurs ?

La justice des mineurs s’efforce de concilier deux impératifs contradictoires, une certaine rapidité de l’intervention de la justice et une durée inhérente à la réalisation d’investigations sur la personnalité des mineurs, pour pouvoir envisager une réponse éducative. Suivant les préconisations de la Commission Varinard dans le rapport remis au ministre de la Justice en 2008, le Code de la justice pénale des mineurs a généralisé le principe de la césure du procès pénale des mineurs en matière correctionnelle en deux audiences : l’une sur la culpabilité, appelée à intervenir dans un délai rapide (en principe 10 jours à 3 mois à compter du défèrement ou de la remise de la convocation), et l’autre sur la sanction, 6 à 9 mois après la première, au terme d’une période de mise à l’épreuve éducative qui permet la réalisation des investigations sur la personnalité du mineur et l’intervention d’un éducateur. De manière exceptionnelle, le Code autorise que le mineur soit jugé en une seule et unique audience, qui peut même intervenir plus rapidement, dans un délai de 10 jours à 1 mois, et il prévoit même qu’avant cette audience au fond le mineur puisse être placé sous contrôle judiciaire, voire en détention provisoire jusqu’à l’audience unique. Ce dispositif est déjà applicable et appliqué.

Faut-il aller plus loin et étendre aux mineurs la comparution immédiate ? Je ne le pense pas. La procédure de comparution immédiate est en soi assez brutale, même pour les majeurs auxquels elle est appliquée, et elle ne permet que rarement une défense de qualité, malgré l’investissement des avocats. En outre, s’agissant plus spécifiquement des mineurs, on peut légitimement se demander si la comparution immédiate pourrait vraiment préserver la spécificité de la réponse pénale à l’égard des mineurs et la primauté d’une réponse éducative, principes à valeur constitutionnelle.

A dire vrai, la délinquance des mineurs a moins besoin d’une énième réforme du droit applicable que de moyens pour son application, en termes de magistrats, de greffiers, d’avocats, d’éducateurs, de policiers et de gendarmes.