Par Bertrand Faure, Professeur à Nantes Université

Un élu local est-il un justiciable ordinaire ?

En premier lieu, la loi pénale peut s’abattre sur la tête des élus locaux, membres de l’exécutif de la collectivité ou non, comme sur celle de n’importe quel particulier. Autrement dit, les élus locaux ne forment par une catégorie spécifique de justiciables qui bénéficieraient d’un privilège de juridiction censé les protéger des poursuites abusives auxquelles un responsable public peut être particulièrement sujet. Les particularités qui existaient en ce sens (L. 18 juillet 1974 abrogée par la loi du 4 janvier 1993) ont été supprimées, considérant qu’il apparaissait important de ne pas heurter la confiance placée par l’opinion publique dans la justice se prononçant sur le cas des élus. On fera pourtant observer qu’un statut politique de l’élu local ne cesse de se développer par emprunt de celui dont bénéficient les parlementaires, ceci en vertu des efforts conjugués de la loi et de la jurisprudence qui ont créé une garantie d’irresponsabilité des élus locaux qui les couvre des délits de diffamation ou d’injure qu’ils commettraient en réunion ou non (CEDH 12 avr. 2012, M.de Lesquen du Plessis-Casso contre France, n°54216/09, jugeant qu’un conseil municipal est une instance « pour le moins comparable au parlement »). Il n’a toutefois jamais été question de leur accorder une garantie d’inviolabilité, garantie relevant d’une toute autre idée, qui subordonneraient les poursuites criminelles ou correctionnelles dont ils peuvent faire l’objet à l’autorisation de l’assemblée à laquelle ils appartiennent.

En deuxième lieu, les membres des exécutifs locaux poursuivis au plan civil comme au plan pénal bénéficient d’une « protection fonctionnelle » que la loi n°2000-647 du 10 juillet 2000 leur accorde par extension de celle dont profitent les fonctionnaires (Code général des collectivités territoriales, art. L.2123-34). Au moyen de cette protection, leur collectivité peut les soulager des poursuites abusives dont ces membres de l’exécutif feraient l’objet en prenant à sa charge les frais d’instance occasionnés. Mais cette garantie ne saurait jouer dans un cas pareil où se trouve suspectée une faute grave et personnelle de l’élu dans le cadre de sa vie privée (Conseil d’Etat, 30 décembre 2015, Commune de Roquebrune-sur-Argens, sanction de la décision municipale d’accorder la protection fonctionnelle au bénéfice du maire poursuivi pour avoir fait acquérir par sa commune deux voitures de sport pour son usage personnel).

Un maire mis en examen peut-il continuer à exercer ses fonctions ?

Il n’existe pas, en droit des collectivités territoriales, de mécanisme de responsabilité pour faute pénale (sorte d’empeachment local) ou pour désaccord politique qui, par un vote de l’assemblée délibérante élue qu’il préside, le placerait dans l’obligation de quitter ses fonctions. Pareille possibilité créerait une vacance du pouvoir à la tête de la collectivité dont s’accommoderait mal la continuité de son fonctionnement administratif. Jusqu’à présent, le législateur n’a souhaité déroger à cette grande règle d’organisation des collectivités qu’au bénéfice de statuts particuliers de collectivité (Corse, Nouvelle-Calédonie et Polynésie). Cette assemblée pourrait, tout au mieux, lui retirer les délégations de pouvoir qu’elle lui avait consentie dans l’intérêt de faciliter la gestion de la collectivité. Mais ces retraits n’empêcheraient pas l’exécutif d’administrer la collectivité dans le cadre de ses pouvoirs personnels.

Deux procédés pourraient cependant être mise en œuvre pour aboutir à la révocation du maire. En premier lieu, un décret en conseil des ministres peut décider de la révocation du maire, cette révocation pouvant être précédée, si l’urgence le justifie, d’une mesure de suspension prise par un arrêté ministériel (Code général des collectivités territoriales, art. L.2122-16). Ainsi, le gouvernement est en mesure de sanctionner les irrégularités commises à l’occasion ou en dehors des fonctions qui sont de nature à empêcher le maintien en fonction. On notera qu’un maire mis en examen pour corruption a pu, à ce titre, faire l’objet d’une révocation sans même attendre que les juridictions répressives aient définitivement tranché son cas (Conseil d’Etat, 7 novembre 2012, M.S.), solution qu’on pourra trouver peu respectueuse de la présomption d’innocence. Sous la Vème République, 7 maires ont fait l’objet d’une révocation gouvernementale, le plus souvent pour avoir été placés dans le viseur de la justice (condamnation pour attentat à la pudeur, détournement de fonds publics, favoritisme ou corruption passive, soupçon pour aide aux étrangers en situation irrégulière).

En second lieu, la démission concertée d’au moins un tiers des membres du conseil municipal emporterait vacance de ce conseil, créant ainsi la nécessité de le renouveler intégralement par de nouvelles élections générales (Code électoral, art. L.270 al.3). Une fois élue, cette nouvelle assemblée, lors de sa première réunion d’installation, se chargerait de désigner un nouvel exécutif à la tête de la collectivité. Cette démission concertée constituerait évidemment un acte politique dont les auteurs mesureraient l’opportunité et auquel ne sauraient s’opposer ni le maire ni le gouvernement, dès lors que les démissions ont été régulièrement données.

Le même résultat peut être obtenu si les membres du conseil municipal obtiennent du gouvernement qu’il prononce la dissolution de leur assemblée en rébellion contre leur maire, rébellion se manifestant par des dissensions suffisamment graves qui auront pour effet de rendre le fonctionnement de cette assemblée impossible (Code général des collectivités territoriales, art. L.2121-6).

Et si la maire d’Avallon écopait d’une sanction pénale ?

Dans le cas où une sanction pénale frapperait l’exécutif de la collectivité, il y aurait lieu de considérer que la faute morale qui a été établie serait incompatible avec le service de l’intérêt général. C’est pourquoi cette sanction entraînerait une peine complémentaire d’inéligibilité. Toutefois, le principe constitutionnel de nécessité et d’individualisation des peines adossé à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen s’opposerait à ce que cette peine complémentaire soit décidée de plein droit. C’est en fonction des « circonstances propres » de l’espèce que le juge estimera nécessaire de la prononcer ou pas, éventuellement de la moduler au regard des circonstances (Conseil d’Etat, 29 juillet 2002, Elections municipales d’Anse-Bertrand).

Les procédés, directs ou indirects, permettant d’obtenir le départ de l’exécutif de la collectivité dont le maintien en fonction paraîtrait contraire à la morale publique et à l’intérêt général ne manquent pas. Ils sont tantôt des procédés de tutelle administrative, tantôt des armes politiques. Mais, dans tous les cas, la décision relève du jeu politique, car ces procédés ne formulent pas des obligations pour ceux qui les mettent en œuvre mais de simples possibilités. C’est ainsi que, dans une précédente affaire impliquant le maire de Saint-Etienne, dont la responsabilité pénale est mieux discernée que dans le cas présent pour un chantage à la sextape visant son premier adjoint et conduisant à 3 mises en examen personnelles, ni sa majorité municipale dans son ensemble, ni le gouvernement, ne se sont opposés à son maintien dans ses fonctions municipales.