Par Camille Fernandes, Maître de conférences à l’Université de Franche-Comté

Sciences Po est-il un établissement d’enseignement supérieur comme un autre ?

L’Institut d’études politiques (IEP) de Paris – appelé « Sciences Po » – est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Au sein de cette catégorie d’établissements publics, il appartient à la sous-catégorie des « grands établissements », au même titre, par exemple, que le Collège de France. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une « université ». Même si les règles applicables à l’IEP de Paris sont proches de celles qui le sont au sein des universités, elles en diffèrent sur certains points : contrairement aux présidents d’université qui sont élus par les membres du conseil d’administration, le directeur de l’IEP de Paris est nommé par décret du président de la République. En ce qui concerne les libertés des étudiants et la sécurité des biens et des personnes, les règles sont les mêmes que dans les universités.

De quelle(s) liberté(s) les étudiants de Sciences Po bénéficient-ils ?

Outre le droit à l’éducation consacré par le Préambule de la Constitution de 1946, tous les étudiants disposent de la liberté d’information et d’expression. Le second alinéa de l’article L. 811-1 du code de l’éducation énonce ainsi qu’ils « disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels ». Cette liberté, qui permet notamment aux étudiants de s’exprimer sur des sujets politiques, s’exerce à la fois à titre individuel, mais aussi collectif (à travers les associations et syndicats par exemple). Ils bénéficient en outre de la liberté de réunion qui, bien que non mentionnée expressément dans le code de l’éducation, est le corollaire de la précédente.

Quelles sont les limites posées à ces libertés ?

Comme toute liberté, les libertés « étudiantes » ne sont pas absolues. L’article L. 811-1 du code de l’éducation rappelle ainsi qu’elles s’exercent « dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l’ordre public ». Il en résulte que le chef d’établissement, qui est responsable de l’ordre et de la sécurité en son sein, pourra faire usage de son pouvoir de police afin de préserver l’ordre public — en particulier, la sécurité des biens et des personnes —, mais aussi pour assurer le bon fonctionnement du service public. Ce pouvoir de police s’exerce sous le contrôle du juge administratif qui examine le but poursuivi par la mesure ainsi que son caractère proportionné et approprié. Le Conseil d’État juge par exemple légale la décision d’un président d’université d’interdire l’accès à l’établissement, pour une durée maximale de trente jours, à un étudiant qui aurait joué un rôle actif dans son blocage, lequel aurait « fortement perturbé le déroulement des examens (…) ainsi que l’organisation de l’enseignement » (CE, ord., 18 janvier 2019, n° 426884). De façon plus originale, il admet que le pouvoir de police puisse être utilisé afin de faire prévaloir « l’indépendance intellectuelle et scientifique de l’établissement », ce qui justifie notamment de refuser la mise à disposition d’une salle permettant à des étudiants de tenir une série de réunions publiques destinées à se faire l’écho de la campagne internationale « Israeli Apartheid Week » (CE, ord., 7 mars 2011, École normale supérieure, n° 347171).

La franchise de police dont bénéficient les universités empêchait-elle l’intervention des forces de l’ordre à Science Po ?

L’IEP de Paris jouit en effet, comme les universités, d’une « franchise de police ». Cette dernière implique que les forces de police ne puissent intervenir au sein de l’établissement qu’à la demande de son président ou directeur, sauf en cas de flagrant délit ou d’autorisation écrite du procureur de la République. Cette règle singulière, qui a été créée au XIIe siècle, devait à l’origine permettre de protéger l’indépendance de l’université de Paris à l’égard du pouvoir royal. Si elle a perduré jusqu’à nos jours, elle ne signifie nullement que les forces de l’ordre ne puissent pas pénétrer dans les enceintes universitaires, mais seulement qu’elles ne le puissent, en principe, qu’à la demande du chef d’établissement. L’article R. 712-6 du code de l’éducation dispose d’ailleurs que ce dernier « peut en cas de nécessité faire appel à la force publique ».

Les étudiants qui ont occupé les locaux risquent-ils des sanctions disciplinaires ?

Outre quelques spécificités liées à la composition de la section disciplinaire compétente, la discipline des étudiants de l’IEP de Paris relève des mêmes règles que celles applicables aux étudiants des universités. En application de l’article R. 811-1 du code de l’éducation, est passible de poursuites disciplinaires, tout étudiant « auteur ou complice, notamment (…) de tout fait de nature à porter atteinte à l’ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de [l’établissement] ». De même, l’article R. 712-7 du même code rappelle que l’autorité chargée du maintien de l’ordre au sein de l’établissement est compétente pour intenter une action disciplinaire contre les étudiants « qui se seraient livrés à des actions ou des provocations contraires à l’ordre public. » Occuper les locaux d’un établissement est susceptible de porter atteinte à son bon fonctionnement – par exemple s’il empêche le déroulement d’enseignements ou d’examens – ou à l’ordre public – par exemple si des dégradations matérielles sont commises. La compétence pour engager une action disciplinaire revient au directeur de l’IEP ainsi qu’au recteur de région académique.