Par Nathalie Peterka, professeure de droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris-Est Créteil

Quelle mesure de protection pourrait être prononcée au bénéfice d’Alain Delon ?

Il faut d’abord préciser qu’en droit français, la mise en place d’un régime de protection des majeurs nécessite toujours le constat médical de l’altération des facultés de la personne dont la protection est demandée. Ce constat résulte d’un certificat médical émanant d’un médecin inscrit sur une liste dressée à cet effet par le procureur de la République. Le médecin traitant ne peut donc pas établir ce certificat. Il peut en revanche donner son avis au médecin inscrit, s’il le sollicite. A défaut de ce certificat, la demande de mise sous protection est irrecevable (C. civ., art. 431). Lorsque la personne refuse de se soumettre à l’examen médical, le certificat peut être établi sur pièces médicales, c’est-à-dire sans examen clinique de la personne, sur le seul fondement de son dossier médical (Cass. 1re civ., 20 avr. 2017, n° 16-17672 : D. 2017, 1455, note N. Peterka ; RTD civ. 2017, 612, obs. J. Hauser). Encore faut-il que ce dernier soit en la possession de l’auteur de la demande de mise sous protection.

Le Code civil organise trois grandes variétés de mesures de protection juridique des majeurs. La première, qui existe depuis 1968, correspond aux mesures de protection judiciaire. Ces dernières sont d’intensité variable afin de tenir compte du degré d’altération des facultés de la personne et d’individualiser la mesure de protection. La sauvegarde de justice permet de faire bénéficier la personne d’une protection a posteriori par la réduction ou l’annulation des actes qui lui portent préjudice. La curatelle implique l’assistance de la personne protégée pour les actes les plus graves, tels qu’une vente immobilière ou l’exercice d’actions en justice. Cette dernière peut être allégée, élargie ou renforcée par le juge des tutelles. La tutelle, quant à elle, est la mesure la plus forte. Elle s’applique à la personne ayant besoin d’être représentée d’une manière continue dans les actes de la vie civile. Les mesures de protection judiciaire sont exercées en principe par la famille ou l’entourage de la personne, sauf s’il n’est pas possible de les leur confier, en raison par exemple d’un conflit empêchant les proches ou l’un d’eux d’exercer la mesure dans l’intérêt de la personne vulnérable. En pareil cas, la mesure est dévolue à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) qui est une personne physique ou morale, exerçant les mesures à titre professionnel. En France, une mesure judiciaire sur deux est confiée à un MJPM.

Quelles sont les autres options ?

En 2016, le législateur a créé une nouvelle variété de mesures de protection juridique : l’habilitation familiale, laquelle peut être une mesure d’assistance ou de représentation. Cette mesure ne peut être demandée et exercée que par la proche famille de la personne (ses ascendants, descendants, frères et sœurs). Son prononcé implique un consensus au sein de la famille sur le principe et les modalités de la protection de la personne, ce qui semble exclu en l’état actuel dans le cas d’Alain Delon.

Depuis 2007, toute personne n’étant pas en tutelle ou en habilitation familiale a la faculté d’anticiper sa vulnérabilité et d’organiser sa protection, pour le cas où elle serait atteinte d’une altération de ses facultés, par la conclusion d’un mandat de protection future. La mise en œuvre de ce mandat, une fois l’altération des facultés médicalement établie, doit être préférée au prononcé d’une mesure judiciaire ou d’habilitation familiale, si elle suffit à protéger les intérêts de la personne. Toute la question est donc de savoir si Alain Delon a conclu un tel mandat et, le cas échéant, si le juge l’estimerait adapté à la protection de ses intérêts compte tenu des tensions existant entre ses enfants. Enfin, si un tel mandat n’a pas été signé à ce jour, il n’est pas forcément trop tard. La personne en curatelle peut signer, à la condition de bénéficier d’un discernement suffisant, un mandat de protection future avec l’assistance de son curateur, afin d’anticiper l’aggravation de sa vulnérabilité.