Beauvau de la sécurité : l’annonce de généralisation de caméras piétons aux prises avec les libertés individuelles
Par Elise Letouzey, Maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne
À l’occasion de la restitution des consultations menées dans le cadre du Beauvau de la sécurité, le chef de l’État a annoncé la généralisation des caméras piétons permettant aux forces de l’ordre l’enregistrement de certaines opérations. La mise en place de ce dispositif s’est traduite par l’achat de plus de dix mille caméras ces dernières années mais le modèle retenu a révélé de nombreux dysfonctionnements (paramétrage complexe, faible autonomie). Ces difficultés ont conduit à la passation d’un nouveau marché public pour un modèle différent et plus performant en vue de l’achat de trente mille caméras, ainsi que le pouvoir exécutif l’a annoncé en juin dernier. L’annonce faite par le chef de l’État lors de la restitution du Beauvau de la sécurité n’est ainsi qu’une confirmation de la politique en œuvre en la matière. Les multiples enjeux de l’enregistrement audiovisuel des interventions policières et son accueil variable au sein de la population en font un instrument à double tranchant.
Comment est encadré le recours aux caméras piétons ?
Le recours aux caméras piétons portées par les forces de l’ordre est une idée qui a déjà bientôt dix ans et qui avait été avancée afin de résoudre les difficultés liées aux contrôles d’identité. Ces derniers, selon le motif sur lequel ils se fondent, pouvaient conduire à contrôler l’identité d’une personne plusieurs fois par jour, parfois sur des motifs discriminatoires. L’hypothèse d’un récépissé remis par les forces de l’ordre lors du contrôle d’identité avait alors été envisagée, mais c’est finalement l’expérimentation des caméras piétons qui avait été choisie.
D’abord mise en place à titre expérimental, son cadre légal a été formalisé au sein du Code de la sécurité intérieure en 2016. Il s’agit pour les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie de porter, lors de leur patrouille, une caméra mobile sur le haut du torse et dont ils peuvent déclencher l’enregistrement afin de capter l’image et le son d’une intervention, que cette dernière se déroule dans un lieu public ou dans un lieu privé. Les personnes concernées ne peuvent pas s’opposer à cet enregistrement. De manière plus restrictive, les agents de sécurité de la SNCF et de la RATP ainsi que les agents de police municipale peuvent aussi être autorisés à procéder à des enregistrements au moyen des caméras individuelles.
Le dispositif a été de nouveau réformé par la loi de sécurité globale du 25 mai 2021 en élargissant les possibilités d’exploitation des images et en instaurant le dispositif, à titre expérimental mais selon les mêmes modalités, au profit des gardes champêtres.
Quelles sont les finalités des caméras mobiles ?
Les finalités du dispositif sont nombreuses. Il s’agit de prévenir les incidents et de protéger les forces de l’ordre lors d’opérations sensibles susceptibles de générer des débordements. En outre, le dispositif doit permettre de renforcer la confiance et d’apaiser les relations entre les forces de l’ordre et les citoyens. En ce sens, le déclenchement de l’enregistrement se traduit par un signal visuel (par un petit point rouge lumineux) ainsi que l’information de l’enregistrement de la part de l’agent, sauf circonstances insurmontables. Mais il y aussi une finalité judiciaire en ce que les images, au même titre que les images qui peuvent être enregistrées par tout citoyen sur la voie publique, peuvent avoir une utilisation probatoire. En effet, les images peuvent permettre de constater une infraction, par exemple l’outrage ou la rébellion sur personne dépositaire de l’autorité publique. Le Code de la sécurité intérieure précise également que les images peuvent permettre la poursuite des auteurs d’infractions et, de manière plus étonnante, la formation et la pédagogie des agents. Entre les lignes il s’agit aussi de participer à une forme de contradictoire dans la guerre de l’image et de répondre à la généralisation de la captation des interventions des forces de l’ordre par tout citoyen, enregistrements que le législateur avait voulu restreindre et encadrer dans le projet de rédaction de ce qui fut un temps l’article 24 de la loi de sécurité globale. Ce recours s’inscrit par ailleurs en complément d’un usage massif de la vidéo protection à l’échelle municipale, de la pratique judiciaire de la captation vidéo de l’espace public par les enquêteurs dans le cadre d’une procédure pénale, mais aussi de la création d’un cadre légal de l’usage des drones par les forces de l’ordre, lesquels peuvent être équipés de caméras.
Quelles sont les modalités d’utilisation ainsi que les conséquences du recours aux caméras piétons ?
La caméra ne fonctionne pas de manière permanente, son déclenchement est décidé par l’agent porteur de cette dernière. L’appréciation souveraine de la mise en route du dispositif, critiquée par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme exigeant un déclenchement systématique lors de chaque intervention, est compensée par le fait qu’il s’agit d’une forme de consigne hiérarchique et que le début de l’enregistrement conduit à capter les trente secondes précédant le déclenchement de la caméra.
En outre, la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés a créé la possibilité d’une transmission en temps réel des images au poste de commandement lorsque la sécurité des forces de l’ordre ou la sécurité des biens et des personnes est menacée. Si le dispositif technique doit permettre l’intégrité de l’enregistrement, le Conseil constitutionnel, lors du contrôle de la loi de sécurité globale avant sa promulgation, a émis une réserve d’interprétation. Il a exigé d’une part, la garantie de l’intégrité des enregistrements jusqu’à leur effacement, soit durant six mois en l’absence de procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, et d’autre part que chaque consultation des enregistrements fasse l’objet d’une traçabilité. En effet, les enregistrements réalisés peuvent être consultés par les forces de l’ordre à qui les caméras sont fournies, notamment pour faciliter la recherche d’auteurs d’infractions, la prévention d’atteintes imminentes à l’ordre public, le secours aux personnes ou encore l’établissement fidèle des faits lors des comptes rendus d’interventions.
Enfin, le dispositif risque de heurter certaines libertés individuelles au premier rang desquelles le respect de la vie privée. Toutefois, le Conseil constitutionnel a vu dans le mécanisme et ses garanties une conciliation équilibrée entre, d’une part, les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée.
L’un des enjeux de l’exploitation des images enregistrées par les caméras mobiles a aussi résidé, lors des discussions parlementaires, dans l’absence d’encadrement d’un possible recours à la reconnaissance faciale. En effet, alors que la loi de sécurité globale a expressément exclu l’analyse des images issues des caméras de drones (juridiquement appelés aéronefs circulant sans personne à bord) au moyen de dispositifs automatisés de reconnaissance faciale, une telle exclusion n’a pas été jugée utile pour les caméras piétons. Il en va de même des possibles interconnexions avec d’autres systèmes de traitements de données à caractère personnel.
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