Affaire Atlaoui : comment exécuter en France une condamnation pénale étrangère ?
Condamné à mort en 2007 pour trafic de stupéfiants par la Cour suprême indonésienne, et transféré en France après 19 ans d'incarcération, le Français Serge Atlaoui a vu sa peine commuée par le Tribunal de Pontoise en 30 ans de réclusion criminelle le 12 février dernier. Décryptage.
Par Francis Habouzit, Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Selon quelle procédure M.Atlaoui a-t-il été transféré en France ?
Serge Atlaoui a bénéficié d’un transfèrement international prévu par les articles 728-2 et suivants du Code de procédure pénale. Distinct de l’extradition ou du mandat d’arrêt européen, il s’agit d’une forme d’entraide internationale ayant pour objet le déplacement d’une personne détenue, exécutant une condamnation prononcée par une juridiction étrangère, vers un autre État pour y accomplir la partie de la peine restant à subir. Il n’est donc ni question de poursuivre ou de juger en France l’intéressé, ni de mettre à exécution une condamnation française.
Ce transfèrement peut être fondé sur une convention internationale (bilatérale ou multilatérale comme la Convention de Strasbourg du 21 mars 1983) ou un accord international ponctuel comme en l’espèce. Quoi qu’il en soit, ces textes déterminent les conditions et les modalités du transfèrement. Les éléments essentiels sont l’accord de l’État de condamnation, le consentement de la personne condamnée et les termes dans lesquels l’exécution de la peine se poursuivra dans l’État dans lequel la personne est transférée. Il ne s’agit en effet nullement d’un accord portant sur la libération de Serge Atlaoui, raison pour laquelle il a été présenté au procureur de la République de Bobigny dès son retour en France en vue de son incarcération.
À quel titre M.Atlaoui est-il détenu en France ?
Les transfèrements internationaux n’ont effectivement d’autre objet que de permettre l’exécution d’une condamnation étrangère sur le territoire national. À cet égard, le Code de procédure pénale prévoit, qu’en vertu de la convention ou de l’accord internationaux, la peine étrangère est directement et immédiatement exécutoire en France. Un problème émerge cependant dans le cas présent : Serge Atlaoui a été condamné à la peine capitale, qui ne saurait trouver une exécution en France.
Dans l’hypothèse d’une peine plus rigoureuse que celle prévue par la loi pour les mêmes faits, par sa nature ou sa durée, le tribunal correctionnel du lieu de détention peut soit lui substituer la peine qui correspond le plus en droit français ou réduire celle-ci pour la rendre compatible avec notre ordre public (article 728-4 du Code de procédure pénale). À la demande du ministère public ou de la personne condamnée, le Tribunal judiciaire de Pontoise aura donc mercredi 12 février à commuer la condamnation à mort de Serge Atlaoui en une peine de réclusion criminelle, pouvant aller jusqu’à la perpétuité selon la qualification des faits retenue par la juridiction française. Ce dernier ayant été reconnu coupable de trafic de stupéfiants en Indonésie en tant que « chimiste », en raison de la découverte de drogue dans l’usine où il travaillait, la juridiction française pourrait retenir la peine de 30 ans de réclusion criminelle prévue à l’article 222-35 du Code pénal pour la production ou la fabrication illicite de stupéfiants en bande organisée et imputer sur celle-ci la durée de l’incarcération subie jusqu’alors en Indonésie puis en France.
Quel est le régime applicable à l’exécution de la peine de M.Atlaoui en France ?
Une fois la peine prononcée par la juridiction étrangère adaptée, l’exécution en France de la condamnation étrangère soulève encore la question de son régime. De nouveau, la loi apporte une réponse en disposant que l’application de la peine est régie par les dispositions du Code de procédure pénale, ce qui exclut toute application du droit indonésien. Serge Atlaoui subira par conséquent sa peine dans les prisons françaises dans les mêmes conditions que le reste de la population pénale et il est susceptible, à l’avenir, de bénéficier de mesures d’individualisation judiciaires de sa peine. La peine privative de liberté ne saurait en effet se réduire aujourd’hui à l’incarcération et peut prendre la forme d’une semi-liberté, d’une détention à domicile sous surveillance électronique ou encore d’une libération conditionnelle.
En outre, Serge Atlaoui pourra demander une suspension de peine médicale de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale. Le transfèrement a en effet été accordé par les autorités indonésiennes pour un motif humanitaire, car ce dernier suivait de manière hebdomadaire des soins à l’hôpital. Pour autant, cela ne rend pas l’intéressé nécessairement éligible à cette mesure de libération, puisqu’elle implique que la pathologie engage son pronostic vital ou que son état de santé soit durablement incompatible avec la détention. Il faut comprendre que la libération n’est possible qu’en phase terminale d’une pathologie mortelle ou lorsqu’une personne détenue ne peut recevoir les soins appropriés en prison et, notamment, à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes.
Soulignons alors que la libération de Serge Atlaoui n’est ni automatique ni garantie, malgré son transfèrement et ses difficultés de santé. Si une loi d’amnistie est possible, elle parait très improbable ; le pouvoir exécutif pourrait quant à lui envisager une mesure de grâce pour mettre fin à l’incarcération, en modifiant la peine (commutation) ou par une remise de peine (réduction). L’une et l’autre de ces portes ont été ouvertes par les autorités indonésiennes, qui laissent à la France la liberté d’accorder « sa clémence, une amnistie ou une réduction de peine » (Le Monde, 4 février 2021). Demeure une interrogation : pourquoi cette personne devrait-elle bénéficier du fait du Prince ? À notre sens, une telle mesure ne serait légitime que si le président de la République considère que le ressortissant français a subi dans les prisons indonésiennes des traitements inhumains ou dégradants ou que son procès n’a pas été équitable. Dans cette dernière hypothèse, bien que ce dernier plaide toujours son innocence, aucun recours en révision ne saurait en effet être intenté contre la condamnation étrangère en France. La grâce se révèle ainsi susceptible, dans ces hypothèses, d’être au service de la justice.