Responsabilité politique et pénale de nos dirigeants : analyse des propositions du Rapport Sauvé du 8 juillet 2022 – Par Bertrand Mathieu – Professeur agrégé des facultés de droit – Conseiller d’Etat en service extraordinaire – Expert du Club des juristes
Par Bertrand Mathieu – Professeur agrégé des facultés de droit – Conseiller d’Etat en service extraordinaire -Expert du Club des juristes
Vendredi 8 juillet dernier, aux termes d’une consultation de près de 50.000 personnes pendant 6 mois, le Comité des Etats généraux de la justice présidé par Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’Etat a remis au président de la République ses conclusions. « L’institution judiciaire se porte mal. (…) La justice ne parvient plus à exercer ses missions dans des conditions satisfaisantes » conclut de manière cinglante le rapport qui parmi les thèmes abordés, réfléchit à l’articulation entre la responsabilité politique et pénale de nos dirigeants. Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité dans le contexte post crise sanitaire actuel qui voit la responsabilité de l’Etat et de nos dirigeants pour leur gestion de l’épidémie du Covid 19 mise en cause par nombre de nos concitoyens.
Alors que près de 20.000 plaintes ont été déposées devant la Cour de justice de la République et le pôle santé publique du Parquet de Paris contre les décideurs publics depuis mars 2020, dans quelles conditions fonctionne notre système de mise en cause de la responsabilité pénale de nos dirigeants politiques ?
Cette question doit conduire à envisager plusieurs hypothèses. Notamment, la responsabilité des agents publics doit être distinguée de celle des « décideurs » politiques, à savoir essentiellement celle des membres du gouvernement, le président de la République étant pour sa part, irresponsable pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions, irresponsabilité politique et irresponsabilité pénale, ayant, en quelque sort, partie liée.
Je m’en tiendrai à la question de la responsabilité des membres du gouvernement. Le développement de leur mise en cause s’inscrit dans un contexte favorable marqué, notamment, par une exigence de sécurité, la place occupée par les victimes, un renforcement des exigences de morale et de transparence et l’appétence française pour l’égalité. Il en résulte que tout dommage, tout comportement « déviant » doit trouver, non seulement une réparation, mais aussi un responsable dont la sanction est supposée apaiser tant l’opinion publique que la victime et rétablir cette dernière dans ses droits. Cette évolution accompagne le renforcement du pouvoir du juge, bras armé de la répression pénale.
Récemment, le renvoi du ministre de la justice devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêt dans le cadre l’exercice de ses fonctions, et dans le contexte d’un conflit avec les syndicats de magistrats, les milliers de plaintes déposées devant la Cour de justice de la République dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire, traduisent l’ampleur du problème. Par ailleurs cette question s’articule avec celle relative à la démission d’un ministre mis en examen, voire mis en cause devant la justice ou le tribunal médiatique, qui tendrait à dépouiller le premier ministre et le président de la République de leurs prérogatives constitutionnelles.
Cette situation n’est pas étrangère à l’absence de fonctionnement des mécanismes de responsabilité politique, le principe même de responsabilité étant inhérent à un régime démocratique.
Par ailleurs, plus concrètement, d’une part (et le rapport Sauvé, issu des Etats généraux de la justice, le souligne), certaines infractions sont la conséquence d’une décision qui en réalité doit être imputée au gouvernement, d’autre part, pour certaines infractions, la part du pénal et du politique est difficile à distinguer. Ainsi, on y reviendra, il serait souhaitable de préciser la portée des infractions susceptibles d’être poursuivies dans ce cadre.
Que penser de la proposition de supprimer la Cour de justice de la République afin que les ministres soient responsables pénalement devant les juridictions de droit commun pour les infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions ?
Alors que la question précédente relève du champ de la responsabilité, cette seconde question, abordée par le rapport Sauvé, porte sur les immunités et les privilèges de juridiction. Elle fait l’objet d’un débat récurrent depuis les débuts du parlementarisme. Entre le risque d’impunité et le risque d’acharnement judiciaire la voie est étroite.
Aujourd’hui, s’agissant des actes commis dans l’exercice de leur fonction, les ministres sont renvoyés devant la Cour de justice de la République (CJR), juridiction de nature mixte composée de parlementaires (en majorité) et de juges (en minorité). Un filtrage est opéré, à des niveaux différents, par deux organes, la commission des requêtes, composée de Conseillers à la Cour de cassation, de Conseillers d’Etat et de Conseillers maîtres à la Cour des comptes, et la commission d’instruction, composée uniquement de magistrats judiciaires. Inscrite dans plusieurs projets de révision constitutionnelle, proposée par le rapport Sauvé, la suppression de la Cour de justice de la République et son remplacement par une juridiction de droit commun (par exemple la cour d’appel de Paris) peut se justifier au regard du caractère atypique d’une juridiction composée en majorité de politiques et, surtout, au regard de l’incohérence que représente l’existence de deux procédures différentes pour les ministres et les membres de leur cabinet ou de leur administration, dans une même affaire. Mais dans cette hypothèse, de mon point de vue, il conviendrait de réintroduire des politiques au sein d’un organe de filtrage, à la composition mixte, dont la mission consisterait justement à prendre en compte la nature politique et/ou pénale de l’infraction reprochée.
Le comité identifie la difficulté liée à la mise en cause de la responsabilité pénale d’un ministre au regard notamment de la spécificité de la fonction ministérielle quelles pistes de réforme pourraient être mises en œuvre et quel équilibre avec le principe d’égalité devant la loi ?
Comme il a été dit, le problème essentiel, concernant les ministres, est celui de l’articulation entre responsabilité politique et pénale au regard du fait que les décisions relevant de leurs missions ont un caractère essentiellement politique. Décider du recours à l’arbitrage dans l’affaire opposant un homme d’affaires à une banque publique, engager une procédure administrative contre un magistrat, décider d’un confinement ou rendre des vaccins obligatoires en cas de crise sanitaire, sont des décisions de nature politique qui relèvent d’une responsabilité de nature politique. Cette spécificité justifierait une définition spécifique de certaines infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions, ou tout du moins la détermination de conditions particulières à la constitution de telles infractions.
De ce point de vue, on relèvera que, s’il est, constitutionnellement, dérogé au principe d’égalité s’agissant de la responsabilité du président de la République, il est permis de considérer que ce principe peut s’appliquer de manière atténuée s’agissant des ministres, tant du fait de la spécificité de leur fonction (le principe d’égalité n’ayant vocation à s’appliquer que sous réserve d’exigences d’intérêt général ou de différence de situation en rapport avec l’objet de la loi qui instaure une différence de traitement) que de l’existence d’une responsabilité particulière les concernant, la responsabilité politique, qui est au cœur d’un régime parlementaire et qui s’exerce d’ailleurs dans le système de la Vème République, tant à l’égard du parlement que du président de la République.