Par Jules Lepoutre, professeur de droit à l’Université Côte d’Azur (Nice)

Une série d’amendements adoptés au Sénat, en première lecture du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, modifient le « droit du sol » à la française, c’est-à-dire l’acquisition de la nationalité française par les enfants nés en France de parents étrangers, à la condition de leur résidence habituelle – cette acquisition intervenant au plus tôt à l’âge de treize ans. Ces amendements, qui restreignent de manière inédite l’accès à la nationalité par cette voie, seront débattus à partir du 11 décembre à l’Assemblée nationale. 

Quels sont les objectifs d’une réforme du droit du sol ?

La droite sénatoriale renoue d’abord avec les débats sur la nationalité « élective » de la fin des années 1980 et du début des années 1990 qui avaient conduit à l’adoption de la loi « Pasqua » du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité. Le législateur souhaitait alors, à la suite des travaux de la Commission de la nationalité présidée par Marceau Long entre 1987 et 1988, subordonner l’accès à la nationalité par le droit du sol à une manifestation de volonté. De cette manière, l’individu est invité à exprimer solennellement et formellement son désir d’être Français, en lieu et place d’une acquisition automatique à la majorité qui existait depuis 1889. La troisième cohabitation conduit à l’abrogation de cette réforme par la loi du 16 mars 1998 relative à la nationalité.

Ce projet de réforme s’inscrit ensuite dans une dynamique restrictive. Il complique l’accès à la nationalité pour les enfants nés en Outre-mer (Guyane et Saint-Martin), en exigeant une condition supplémentaire de résidence régulière des parents à la naissance, à l’instar de ce qui existe à Mayotte depuis 2018, sans que toutefois le territoire continental soit concerné. Le projet recrée également une possibilité ouverte au gouvernement de s’opposer à l’acquisition de la nationalité par le droit du sol pour défaut d’assimilation, possibilité que la droite avait elle-même supprimée en 1993 par la loi « Pasqua », suite aux recommandations de la commission Long. Celle-ci avait constaté le travail considérable que représentait pour l’administration l’examen des milliers de situations individuelles chaque année, pour un résultat quasi nul. 

Une réforme de la nationalité a-t-elle sa place dans une loi sur l’immigration ?

Depuis le début des années 2000, il n’est pas rare que le législateur associe les questions de nationalité et d’immigration. Pour autant, ces sujets ne sont pas nécessairement liés. Un jeune né en France de parents étrangers est un étranger sans être un immigré. Dans le présent projet de loi, ni son titre ni ses dispositions initiales ne portaient sur les questions de nationalité. Dès lors, les amendements sénatoriaux encourent le risque d’être qualifiés de cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel, en raison de leur défaut de lien avec le projet de loi déposé par le gouvernement. C’est la position du gouvernement, qui a émis un avis favorable aux amendements de suppression déposés par la gauche sénatoriale, et a déclaré par la voix de Gérald Darmanin que les dispositions portant sur la nationalité sont « d’évidents cavaliers législatifs », appelant à ne pas « mélanger le Code civil [qui contient la législation sur la nationalité] avec le Ceseda [Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile] ».

Quels seraient les effets juridiques de la réforme ?

Le projet prévoit d’abord que les jeunes doivent, entre seize et dix-huit ans, manifester leur volonté pour acquérir la nationalité française à la condition d’une résidence habituelle d’au moins cinq années (ce qui, sur ce dernier point, n’est pas une évolution). Ce délai de deux ans pour manifester sa volonté est particulièrement contraint et contraste avec la loi Pasqua de 1993 qui prévoyait une fenêtre de cinq années, de seize à vingt et un ans. Une telle contrainte fait écho au Code civil de 1804, qui établissait un délai d’un an à compter de la majorité pour réclamer la nationalité, avant que l’accession ne devienne automatique en 1889.

Le Gouvernement pourrait également empêcher un individu né en France de devenir Français en apportant la preuve d’un défaut de connaissance suffisante de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société française, des droits et devoirs conférés par la nationalité française ou d’un refus des principes et valeurs essentiels de la République.

Enfin, la restriction du droit du sol en Guyane et à Saint-Martin  aurait pour effet d’empêcher les enfants nés de parents en situation irrégulière d’accéder à la nationalité française. Il s’agit d’une préoccupation exprimée de longue date par certains parlementaires mais qui s’est cristallisée en 2018, lorsque  Mayotte est devenu le premier territoire où une telle restriction a été mise en place. Même si le Conseil constitutionnel a déjà validé ce dispositif au regard des spécificités mahoraises, notamment l’importance des flux migratoires, on ne peut que constater qu’il divise le droit de la nationalité et rompt l’égalité entre les enfants nés en France, traités différemment selon leur lieu de naissance. Au surplus, aucune étude n’a fait la preuve que le droit du sol, qui ne prend effet au mieux qu’à treize ans, serait un réel facteur d’attraction pour les étrangers.

Quels seraient les risques d’une telle réforme ?

Un rapport de 1997 commandé par Lionel Jospin, et publié sous la présidence de Patrick Weil,  tirait un premier « bilan » des effets pratiques de l’application de la réforme Pasqua, notamment sur l’exigence de manifestation de volonté. Il relevait que, statistiquement, les jeunes filles réclamaient souvent moins la nationalité que les jeunes garçons, ce qui laissait deviner des pressions familiales et inégales selon les sexes. 

Par ailleurs, d’autres jeunes n’avaient pas même connaissance de la procédure, avec des taux de réclamation variant énormément d’un département à l’autre. Les politiques d’information à l’égard de la nécessité de souscrire une déclaration pour devenir Français étaient ainsi particulièrement inégales d’une mairie à l’autre, d’une école à l’autre, etc. Certains jeunes pensaient, à tort, donc être devenus automatiquement Français sans qu’aucune information suffisante ne leur ait été délivrée. L’ensemble avait justifié, pour des raisons plus pragmatiques que de principe, le retour de l’automaticité dans la loi du 16 mars 1998 relative à la nationalité. L’histoire se répète.