Par Romain Brutinaud, rédacteur, Le Club des juristes

Une Constitution bien armée face à des discussions parlementaires qui pourraient s’éterniser

Aux États-Unis un différend persistant sur le budget entre le Congrès et la Présidence peut entraîner la mise à l’arrêt des administrations fédérales, des activités gouvernementales et donc d’une bonne part des rouages de l’État fédéral.  Le dernier date de fin 2018-début 2019 et fut le plus long de l’histoire américaine : 35 jours.

Un scénario imaginaire en France qui a malgré tout affolé les éditorialistes tant la situation politique inédite de notre pays et sa majorité absolue désormais introuvable, nous font redécouvrir les trésors cachés d’une Constitution française finalement bien armée, même face à des discussions parlementaires qui pourraient s’éterniser.

Depuis la Constitution de 1791, le principe d’annualité budgétaire a été consacré. Les contributions publiques y étaient délibérées et fixées chaque année. Puis, la loi du 26 mai 1817 a définitivement ancré ce principe dans notre droit avec la nécessaire autorisation annuelle donnée par le Parlement au Gouvernement pour engager des dépenses publiques.

Ainsi pour chaque année civile, la loi de finances prévoit et autorise l’ensemble des ressources et des charges de l’État. Acte politique par excellence, le « Budget », par le vote de ce projet de loi de finances, permet de déterminer qui est dans la majorité et qui est dans l’opposition. 

Les règles applicables à la présentation, à la discussion et au vote des lois de finances sont présentes à son article 47 et précisées par la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, plus connue sous le nom de « LOLF ». 

Ces textes encadrent, d’une part, l’élaboration du projet de loi de finances par le Gouvernement, mais aussi son dépôt sur le Bureau de l’Assemblée nationale. En effet, l’article 39 de la Constitution lui donne expressément priorité en la matière sur le Sénat et la « LOLF » a précisé que ce dépôt doit intervenir au plus tard le premier mardi d’octobre de l’année précédant celle de l’exécution du budget. Enfin, ces deux textes imposent un examen global par le Parlement du projet de loi de finances dans un délai maximal de 70 jours. 

Plus précisément, l’article 47 dispose que l’Assemblée nationale bénéficie d’un délai limité à 40 jours pour l’examen du texte, soit le mardi 19 novembre cette année. Si elle ne respecte pas ce délai, le Gouvernement doit transmettre alors le texte au Sénat, qui dispose à son tour d’un délai de 15 jours, porté à 20 jours avec la « LOLF ». Le reste permettant d’assurer la navette parlementaire alors que la procédure accélérée est de droit sur les textes financiers, réduisant ainsi le nombre d’aller-retour entre les chambres et limitant la réunion d’une commission mixte paritaire, instance de compromis entre députés et sénateurs.

À l’issue de ces 70 jours, si le projet de loi de finances n’est pas adopté au 1er janvier, quel serait l’enjeu ? 

Comme aux États-Unis, la conséquence logique voudrait que l’État ne puisse plus percevoir de recettes ni payer les dépenses publiques en l’absence d’une autorisation du Parlement. Il serait aussi possible de ne faire adopter que la première partie de ce projet de loi de finances, concernant les recettes comme ce fut le cas en 1962. Georges Pompidou ayant fait voter la seconde partie concernant les dépenses en février 1963. 

Mais notre Constitution, dans ses trésors de rédaction, permet une sécurité pour la bonne marche de l’État : « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans ce délai, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ». Ainsi les dispositions de l’article 47 alinéa 3 de la Constitution sécurisent les conséquences d’un examen par le Parlement du PLF qui excèderait 70 jours. Dans ce cas, le Gouvernement pourrait mettre en vigueur les dispositions du projet par ordonnance, le temps de faire voter les dispositions budgétaires. Cela demeure pour lui une possibilité et non une automaticité, comme le démontrent certains précédents.

Le plus notable date de 1979, lorsque le 24 décembre le PLF pour 1980, présenté par Raymond Barre et voté par le parlement, avait été annulé par le Conseil constitutionnel. La procédure n’était pas régulière ,avait-il tranché, la seconde partie du PLF ayant été mise en discussion avant le vote de la première. Une loi a alors été présentée par le Gouvernement pour permettre à l’État de percevoir les impôts et taxes pour l’année 1980.

Une absence de limitation de l’usage de l’article 49 alinéa 3 pour la matière budgétaire

En revanche, si le projet de loi de finances était finalement rejeté par le Parlement, aucune disposition n’envisage aujourd’hui cette situation de conflit politique qui s’apparenterait au quasi-vote d’une motion de censure.

C’est pourquoi en pratique, l’article 49 alinéa 3 de la Constitution n’a pas connu de limitation en matière financière par la réforme de 2008 afin que la discussion aboutisse par la mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement.

Nombreux sont les gouvernements de la Ve République à y avoir eu recours, du premier, celui de Michel Debré, jusqu’au dernier avec Gabriel Attal. Des gouvernements dont le point commun fut l’absence de majorité absolue, comme celui de Michel Barnier.

Cette absence de limitation de l’usage de l’article 49 alinéa 3 pour la matière budgétaire permet au gouvernement d’y recourir autant de fois qu’il souhaite pour tenir les délais prescrits par la Constitution. C’est d’ailleurs cet argument qui a récemment été mis en avant lors des derniers usages budgétaires de cet article.

Cette « arme ultime », tout aussi politique que législative, permet en dernier ressort au gouvernement de parer à tout blocage à l’américaine, sans quoi sa légitimité serait directement en cause avec d’autres conséquences qu’on l’on ne peut que dessiner aujourd’hui car jamais un gouvernement n’y a fait face.

Aussi, les ressources de la Constitution et la jurisprudence adaptée du Conseil constitutionnel nous préservent en grande partie d’un « shut down » à la française même à l’expiration du délai des 70 jours, le 21 décembre prochain. Les crédits et les prélèvements des ressources de l’État pourront s’organiser, mais face au chaudron politique inédit de l’Assemblée nationale, le jeu politique peut toujours avoir raison des procédures et calendrier prévus.