Par Damien Connil, Chargé de recherche CNRS, Université de Pau (UMR DICE-IE2IA)

De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque les « niches parlementaires » ?

Ce sont les jours de séance réservés aux groupes minoritaires et d’opposition des assemblées. Il s’agit de la mise en œuvre de l’article 48, al. 5, de la Constitution qui dispose : « Un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l’initiative des groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’à celle des groupes minoritaires ». À l’Assemblée nationale, cette possibilité est prévue à l’article 48, al. 9, du Règlement qui prévoit que la Conférence des présidents « arrête, une fois par mois, l’ordre du jour de la journée de séance prévue par l’article 48, al. 5 de la Constitution » et que « les séances sont réparties, au début de chaque session ordinaire, entre les groupes d’opposition et les groupes minoritaires, en proportion de leur importance numérique ».

Le mécanisme avait été introduit, sous cette forme, après la révision constitutionnelle de 2008 et s’inscrivait dans la perspective de nouveaux droits reconnus à l’opposition, avec la volonté de revitaliser les débats des assemblées. Aujourd’hui, les « niches parlementaires » – ou, du moins, certaines d’entre elles – semblent toutefois cristalliser les tensions politiques. La manière dont s’est déroulée la dernière journée réservée à un groupe d’opposition, en l’occurrence le groupe LFI, le 28 novembre, en atteste.

Dans ce contexte, la configuration actuelle de l’Assemblée nationale a-t-elle une influence sur les « niches parlementaires » ?

Elle a, au moins, une incidence sur la manière dont elles sont organisées. Parce que la multiplication des groupes d’opposition et minoritaires dont la XVIIe législature est fortement marquée contraint mécaniquement le calendrier parlementaire.

À l’automne, dès lors qu’il y avait plus de groupes concernés que de mois disponibles, l’Assemblée nationale avait déjà prévu, pour la première fois, que le mois de juin 2025 compterait non pas une mais deux journées réservées à des groupes d’opposition (ceux dont les effectifs sont les moins nombreux, le groupe GDR et le groupe UDR). L’adoption de la motion de censure début décembre a conduit la Conférence des présidents à revoir le calendrier parlementaire : pour décaler la « niche » du groupe socialiste, prévue le 12 décembre au 23 janvier, et prévoir un autre mois au cours duquel les journées réservées seront doublées, à savoir le mois de février qui comptera, lui aussi comme le mois de juin, deux niches parlementaires (celle du groupe DR, le 6 février, et celle du groupe Écologiste et Social, le 20 février).

La comparaison avec les législatures précédentes est significative. Sous la XIVe législature (2012-2017), le premier groupe d’opposition disposait de cinq niches par session ordinaire quand les autres groupes en comptaient une chacun. Sous la XVe législature (2017-2022), le premier groupe d’opposition bénéficiait de trois niches contre une pour chacun des autres groupes. Sous la XVIe législature (2022-2024), chaque groupe ne disposait plus que d’une niche parlementaire, répartie sur chacun des neuf mois de la session. Sous la XVIIe législature (depuis 2024), les groupes disposent d’une niche mais certains mois, on l’a dit, compteront deux journées de séance réservées aux groupes d’opposition ou minoritaires.

La pratique des « niches parlementaires » s’en trouve-t-elle modifiée ?

Oui, mais pas seulement dans le contexte actuel. Depuis 2008, leur pratique a évolué. De la part de l’opposition comme de la majorité voire du gouvernement. À l’Assemblée nationale, la particularité des niches parlementaires sur une journée de séances est de se conclure à minuit, quel que soit l’état d’avancement de la discussion parlementaire. Autrement dit, même si l’examen d’un texte n’est pas achevé et même si l’ordre du jour n’est pas épuisé, les débats parlementaires s’arrêtent. La fin de la journée apparaît donc comme un couperet pouvant électriser les débats et décuplant, tout à la fois, la frustration des parlementaires qui portent un texte ou une proposition qui, parfois, dans ces conditions, ne sont pas même débattus et la virulence de ceux qui les contestent en ralentissant autant que faire se peut – et, le cas échéant, jusqu’au moment fatidique – la discussion et l’examen.

Au-delà des cas de consensus (qui existent), les niches parlementaires révèlent des enjeux divergents. Pour les groupes d’opposition ou minoritaires, les niches sont évidemment l’occasion de mettre en avant des questions qu’ils souhaitent porter aux débats. Les niches ont ainsi un effet d’affichage politique qui n’est pas négligeable. La plupart des groupes inscrivent d’ailleurs un nombre de textes supérieurs à ceux qui pourraient être adoptés au cours d’une seule et même journée. Mais, cela présente aussi un autre intérêt, un travail en commission avec rapporteur et appui des services de l’Assemblée. Pour la majorité et, plus récemment, pour le gouvernement, diverses stratégies dilatoires, au fil des législatures, ont pu être observées : des séances désertées ; l’exigence d’un vote bloqué et solennel ; l’adoption d’une motion de rejet préalable (qui n’est plus possible depuis 2019) ; l’utilisation du temps de parole, en particulier gouvernemental ; ou, plus classiquement et encore en 2024, l’exercice du droit d’amendement et la multiplication, en séance, des rappels au Règlement.

Reste que la pratique des niches parlementaires n’a peut-être pas livré toutes les potentialités d’un mécanisme dont on peut aussi noter qu’il est principalement utilisé à des fins de législation alors que l’éventail des possibles est plus large (résolutions, questions, débats…). La configuration de l’Assemblée nationale aussi bien que l’ouverture de nouveaux espaces transpartisans pourraient encore en modifier l’effet et l’usage… Prochaines séances : le 23 janvier.