Élections territoriales en Polynésie : victoire historique des indépendantistes
Par Michel Verpeaux – Professeur émérite de l’Université Panthéon-Sorbonne
Les indépendantistes ont remporté, dimanche 30 avril, les élections territoriales en Polynésie française. Une victoire historique, susceptible d’ouvrir la voie à un processus d’indépendance.
Quel est le statut de la Polynésie française ?
La Polynésie française est, depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 et la loi organique du 27 février portant statut d’autonomie, une collectivité d’outre-mer (C.O.M) régie par l’article 74, dotée de l’autonomie. Cette dernière qualification est attribuée de manière discrétionnaire par le législateur organique sans que des conditions préalables soient fixées. L’article 74 prévoit, en revanche, des conséquences attachées à l’autonomie ainsi conférée, telle que le contrôle juridictionnel spécifique exercé par le Conseil d’Etat sur certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu’elle exerce dans le domaine de la loi.
À ce jour, les îles antillaises de Saint- Barthélemy et de Saint marin sont aussi des C.O.M. dotées de l’autonomie depuis la loi organique du 21 février 2007.
En tant que C.O.M., la Polynésie française dispose d’institutions spécifiques, dont une Assemblée composée de 57 membres pourvus au scrutin proportionnel plurinominal à deux tours avec une prime majoritaire, un Gouvernement et une Présidence. Elle peut adopter, dans un certain nombre de matières, des lois du pays qui, malgré leur nom, sont des actes administratifs.
À la différence de la Nouvelle Calédonie, elle ne dispose pas d’un statut constitutionnellement garanti et il n’est pas prévu, en l’état du droit, un processus d’accession à la pleine souveraineté.
Quels étaient les enjeux de ces élections ?
Les élections territoriales polynésiennes se sont déroulées les 16 et 30 avril 2023. Se sont affrontées au premier tour sept listes dont seulement 3 ont pu se maintenir au second sans avoir souhaité fusionner entre elles.
Est arrivée en tête à l’issue de ce premier tour, la liste du parti Tavini huiraatira conduite par M. Oscar Temaru, leader indépendantiste, devançant celle du parti autonomiste Tapura Huiraatira emmenée par M. Edouard Fritch, président sortant qui a pu se présenter pour un troisième mandat, alors que le président sortant est en principe soumis à une limite de deux mandats consécutifs de cinq ans, car son premier mandat avait été interrompu après seulement quatre ans. La troisième liste était celle de l’ancien vice-président autonomiste Nuihau Laurey. Le parti indépendantiste Tavini huiraatira l’a emporté au second tour pour la première fois depuis 2004.
Historiquement divisé entre autonomistes et indépendantistes, l’espace politique polynésien est sujet en 2023 à un fort sentiment de « dégagisme », accentué par les conflits internes qui touchent le parti au pouvoir. Confronté à la pandémie de Covid-19, le gouvernement autonomiste d’Édouard Fritch est notamment accusé de laxisme envers l’attitude de plusieurs membres haut placés du parti qui refusent l’obligation vaccinale, pourtant votée par l’assemblée en 2021, dont le président de cette dernière Gaston Tong Sang. Opposé à cette attitude de laissez-faire, plusieurs élus du Tapura huiraatira vont ainsi jusqu’à faire scission en vue des élections, ce qui conduit à la création des partis A here ia Porinetia et Ia Ora te Nuna’a. Si la réponse à la pandémie — particulièrement meurtrière sur le territoire — en est le déclencheur, ces défections interviennent dans le contexte plus large d’une montée des mécontentements envers le gouvernement. Face au grave déficit des régimes sociaux du territoire, le gouvernement a ainsi été contraint d’instaurer une très impopulaire TVA sociale de 1 %.
Les élections législatives organisées en juin 2022 voient ainsi la victoire des indépendantistes du parti Tavini huiraatira. Affiliés à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale situé dans l’opposition au président Macron, le Tavini huiraatira remporte la totalité des trois sièges de députés à pourvoir en Polynésie française. Porté par cette victoire, le parti se présente aux territoriales de 2023 sur la base d’un programme centré sur les questions sociales, et met en retrait ses revendications indépendantistes pendant plusieurs mois au cours de la campagne. À la surprise générale, le thème de l’indépendance est cependant mis en avant dans la semaine précédant le scrutin, une stratégie jugée susceptible de faire perdre des électeurs au Tavini huiraatira dans l’entre-deux tours, une partie de l’électorat s’étant porté vers lui sur la base de son programme économique sans pour autant soutenir l’indépendance.
Ces élections ouvrent-elles la voie à un référendum d’indépendance ?
Cette nouvelle victoire place le parti en position de force face à l’Etat français pour négocier un référendum d’autodétermination. « Les Polynésiens ont voté pour le changement. Le gouvernement prend acte de ce choix démocratique », a réagi Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, sur Twitter. « Nous travaillerons avec la majorité nouvellement élue avec engagement et rigueur, pour continuer d’améliorer le quotidien de nos concitoyens polynésiens. »
Figure de l’indépendantisme polynésien et toujours président de son parti, Oscar Temaru s’est peu exprimé pendant la campagne. L’homme politique de 78 ans, fatigué, a plutôt laissé sa place à son gendre, qu’il doit présenter le 10 mai à la présidence du futur gouvernement : Moetai Brotherson. L’indépendantiste de 51 ans, réputé modéré, fédère au-delà de l’électorat traditionnel et populaire de son parti. Durant toute la campagne, il a choisi d’axer son discours sur le pouvoir d’achat et de tempérer la ligne dure prêtée aux indépendantistes, allant jusqu’à écarter une indépendance rapide de la collectivité. « Je pense qu’on ne peut pas envisager un référendum avant dix ou quinze ans, mais tout va dépendre des discussions avec l’Etat », avait-il assuré à l’AFP sur l’île de Tahiti.
Son parti a aussi bénéficié d’une grande partie des reports de voix des partis éliminés au premier tour du scrutin, qui avaient tous fait campagne contre le président sortant. Nettement battu, Edouard Fritch est au pouvoir depuis neuf ans. Il s’était présenté comme un « rempart contre l’indépendantisme », mais a fait les frais de la mauvaise communication de son gouvernement pendant l’épidémie de Covid. Malgré un bilan économique plutôt positif, la forte inflation subie par la Polynésie en 2022 (8,5 %) lui a aussi été imputée par une partie de l’opinion, surtout parce qu’il a instauré une nouvelle TVA pour préserver la sécurité sociale locale.
La nouvelle Assemblée sera chargée d’élire son président à la mi-mai. Depuis sa création en 1977, le parti indépendantiste n’a cependant jamais conservé le pouvoir pendant un mandat complet. Cette fois-ci sera peut-être la bonne : pour mettre un terme à l’instabilité politique qui agitait la Polynésie depuis 2004, le mode de scrutin accorde depuis 2013 une forte prime à la liste arrivée en tête et lui assure trois quarts des sièges.
Il faut rappeler qu’il y a moins d’un an, aux législatives, les indépendantistes avaient déjà obtenu les trois sièges de députés, avec des candidats très jeunes.
Ce résultat en Polynésie fait suite, deux ans après, à une autre victoire des indépendantistes en Nouvelle-Calédonie. Le processus est bien plus avancé à Nouméa, depuis les accords de Matignon il y a trente-cinq ans maintenant. Mais on a deux exemples d’archipels, où la France a fait le pari qu’une très forte autonomie de gestion – et c’est le cas aussi à Papeete – allait atténuer les revendications indépendantistes. Il n’en a rien été.
Gérald Darmanin qui a cité ces exemples en mettant sur la table la question d’une « autonomie » pour la Corse, va sans doute y réfléchir à deux fois. En Polynésie, la France peut-elle redouter une indépendance à court terme ? Non, d’autant que paradoxalement, les indépendantistes n’ont pas spécialement fait campagne sur l’indépendance. Sans doute sont-ils trop conscients de ce que la vie de l’archipel doit aux deux milliards d’euros injectés chaque année par l’Etat français.
Le vrai défi est géostratégique. Avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, la France est présente dans le Pacifique. Elle y joue un rôle important, notamment sur le plan militaire. La France partie, le Pacifique serait le théâtre d’un simple face-à-face entre la Chine et les Etats-Unis. Un face à face aux allures de guerre économique et diplomatique. Et dans sa volonté d’expansion hégémonique, la Chine se passerait très volontiers de la présence de la France. Voilà pourquoi elle soutient clairement les mouvements indépendantistes. Et pour les Polynésiens, comme pour les Calédoniens, sous le rêve d’une indépendance arrachée à la France, il y a peut-être le cauchemar d’une autre dépendance. A l’égard de la Chine. Est-ce vraiment mieux pour eux ?
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